Enfin, pour tenir sur la durée tout en bénéficiant d’une dynamique favorable aidant à l’engagement des nouvelles recrues, les jihadistes doivent multiplier les enlèvements (contre rançons), les pillages d’équipement et la levée des taxes sur les populations et entreprises. Ce système complet permet un financement de ce jihad.
Cette fragmentation à venir du Mali et du Burkina Faso, qui deviendront des bases de projection pour soutenir et poursuivre le combat dans le golfe de Guinée, risque d’engendrer des problèmes structurels forts pour le JNIM qui aura, dans un premier temps, tout intérêt à négocier des trêves pour obtenir un sanctuaire et du répit. Animer un mouvement jihadiste aussi étendu n’est pas sans présenter des défis importants. La multiplication des ennemis locaux, dont certains resteront soutenus par la France, les États-Unis, les Européens ou les pays de la région, est un facteur pris en compte par les émirs du JNIM pour moduler l’intensité de leur engagement.
Peut-on anticiper l’avenir ?
Ainsi, sans changement dans les politiques actuelles, il est probable que se poursuivent les dynamiques suivantes :
- l'accroissement des opérations FAMa/Wagner dans le centre du pays va accélérer le recrutement des populations, notamment peules, par la katibat Macina. L'inaction des rebelles de la CMA et l’absence de résolution des accords de paix d'Alger va accélérer le recrutement des populations arabes et touarègues du nord du pays par le JNIM ;
- l'augmentation des tensions entre la CMA et les FAMa/Wagner conduira à la reprise des affrontements armés au nord, avec une CMA objectivement alliée au JNIM, qui l’appuiera pour reprendre le contrôle total du nord de la boucle du Niger, voire de la moitié nord du pays. À la fin de ces affrontements, le statu quo réapparaîtra au nord du pays et le JNIM s’en prendra aux groupes non islamistes pour s’imposer progressivement ;
- la fragmentation de fait du centre du pays entraînera des combats réguliers entre la katibat Macina et les milices d’autodéfense communautaires. Ces dernières ne parviendront probablement pas à s’imposer et l’ensemble du centre du pays passera progressivement sous le contrôle effectif du JNIM (sans groupes armés pour le contester) ;
- la capitale malienne sera encerclée dans sa campagne, augmentant le nombre d’embuscades dans la zone, asséchant partiellement l'économie locale au bon vouloir des katibates du JNIM. Elle sera aussi soumise à des attentats ponctuels. Sauf à ce que l’armée malienne s’effondre totalement, il est peu probable que la ville soit occupée comme avec le mouvement taliban. Les dynamiques ne sont pas les mêmes, car le JNIM dispose d'un nombre bien plus réduit de combattants et n’a jamais gouverné le Mali (à la différence des Talibans en Afghanistan), mais aussi parce que les institutions maliennes sont anciennes, relativement légitimes bien que questionnées, et n’ont pas été entièrement conçues par une entité étrangère comme cela était le cas à Kaboul. Pour leur part, les villes moyennes feront l’objet de sièges informels et le JNIM verrouillera les axes alentours pour imposer un contrôle des hommes et des marchandises ;
- la zone des trois frontières et de l'Est malien (région de Ménaka) restera contestée longtemps, la branche sahélienne de l'État Islamique étant dans une impasse géographique mais disposant encore de moyens humains et militaires conséquents. Sans accord politique du Niger avec les contingents nigériens de l'EI, la zone deviendra l'épicentre d’un nouvel émirat local de l'État Islamique. Cette unique et dernière raison pourrait hypothétiquement amener l’Algérie à revoir sa doctrine de non intervention militaire en dehors de sa frontière, désormais permise par l’article 31 de la constitution algérienne révisée, l'EI au Sahel étant considéré comme une menace prioritaire pour ce pays ;
- cette perte de contrôle du Mali amènera à des regains de tensions politiques et in fine à l’ouverture d’un dialogue politique avec le JNIM pour définir les modalités d’une trêve durable, qui amputera le Mali d’une grande partie de son territoire, voire qui imposera un changement constitutionnel très important. La pression des institutions religieuses maliennes sera forte pour amener le politique à négocier ;
- au Burkina Faso, les objectifs seront de même nature et réalisés de manière plus rapide encore, en raison de la plus petite taille du pays et des tensions déjà très fortes au sein d'une armée plus décimée encore qu'au Mali. La dimension religieuse chrétienne/musulmane pourra aussi devenir le ferment d'une fragmentation plus forte encore et de violences inter-communautaires de grande ampleur. Sauf à accepter d’amputer le pays d’une partie nord/nord-est/est de son territoire, il est peu probable qu’une trêve soit trouvée.
Le JNIM est dans une dynamique politico-militaire favorable au Mali et au Burkina Faso, comme l'étaient les Talibans (et la branche sahélienne de l’EI est là pour durer). Toutefois, à la différence des Talibans, le JNIM est un mouvement qui a des faiblesses : aucun soutien étatique structuré ; une difficulté accrue à contrôler ses troupes ; un étalement qui rend difficile la coordination et l'obtention d'objectifs stratégiques ; une multiplication progressive des ennemis même si la France n'est plus en première ligne. La déstabilisation durable des institutions militaires maliennes et burkinabé par de multiples coups d'État est donc une aubaine pour le JNIM qui attend patiemment que les systèmes politiques perdent pied, comme il l'a souligné dans une communication récente. Pour cette raison, la cohésion nationale doit être recherchée dans ces pays divisés.
Si ces scénarios venaient à se réaliser, la communauté internationale risquerait de devoir à nouveau s'appuyer sur des solutions militaires pour revenir au statu quo ante. Est-ce la bonne solution ? Quelles seraient les autres voies à explorer pour apaiser durablement les violences dans la région ?
Copyright image : SOULEYMANE AG ANARA / AFP
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