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Document de travail
Février 2019

La France en morceaux
Baromètre des Territoires 2019

Auteurs
Victor Poirier
Ancien directeur des publications

Victor Poirier était directeur des publications de l’Institut Montaigne jusqu’en décembre 2022. Il était spécialiste des questions de finances publiques et industrielles.

Chargé d'études entre 2015 et 2018, il a notamment contribué à la réalisation des rapports Pour une transition énergétique réussie, Industrie du futur, prêts, partez !, ETI : taille intermédiaire, gros potentiel, Quelle place pour la voiture demain ? ainsi qu’aux publications des notes Retraites : pour une réforme durable et L’impossible Etat actionnaire ?. Il était directeur adjoint des études depuis septembre 2018.

Victor a intégré Sciences Po Lille en 2010, en filière franco-britannique. Après une licence en Politiques et Relations internationales à l’Université du Kent et un master en Commerce et Finances Internationales à Sciences Po Lille, il a réalisé en 2014 un master of arts en Business et Econométrie à UCL (University College London). Il a ensuite intégré l’Université Paris-Dauphine en 2015 pour un master 2 en Diagnostic Economique International, réalisé en apprentissage.

Paris contre régions. 
France des métropoles contre France périphérique.
France urbaine contre France rurale.

Ces oppositions territoriales sont régulièrement invoquées pour expliquer les maux et les fractures de notre société. En toile de fond : un sentiment d’inégalité et d’injustice, et la peur du déclassement. En 20 ans, la structure sociale et spatiale de notre pays a changé, les emplois sont de plus en plus concentrés dans le coeur des métropoles alors que l’habitat, lui, s’est davantage canalisé dans le périurbain. Certains Français ont pu bénéficier de ces évolutions alors que d’autres se sont sentis mis à l’écart. Cette souffrance sociale a un impact important sur notre société.

Le Baromètre des Territoires 2019, mené par Elabe et l’Institut Montaigne, analyse l’impact de ces fractures sur notre cohésion sociale. En interrogeant plus de 10 000 personnes, nous avons cherché à comprendre quels étaient les ressorts de ces divisions : que faut-il attribuer à la géographie ? Aux facteurs socio-économiques ? Quels rapports les Français entretiennent-ils avec leurs territoires ? Sont-ils des lieux dans lesquels il se réalisent et s’épanouissent pleinement, ou au contraire un espace qui les entrave et les assigne ?

Les conclusions de notre baromètre proposent un portrait des Français d’aujourd’hui ainsi qu’un paradoxe original : celui d’un sentiment de bonheur privé largement partagé, mais percuté par un sentiment d’inégalité et d’injustice. Ces sentiments sont également modulés par le rapport que les Français entretiennent avec leur territoire et leur mobilité, subie ou choisie. Apparaît alors l’image d’une France non pas fracturée, mais en morceaux.
 

"Le Baromètre des Territoires révèle que les fractures sociales sont plus déterminantes que les fractures territoriales pour comprendre les parcours de vie des Français. Ces fractures sociales divisent la société française qui se retrouve éclatée en quatre grandes familles qui se côtoient, voire se croisent assez largement au sein des mêmes territoires. Apparaît ainsi l’image d’une France en morceaux, qui expriment pourtant un commun attachement à la France et, à travers cet attachement, l’envie ou l’espoir d’un destin commun."

Bernard Sananes, président d’Elabe

 


"Le Baromètre des Territoires permet d’apporter un nouveau regard sur les dynamiques de notre société, notamment à l’heure du mouvement des Gilet Jaunes. Il fait le constat d’une société française heureuse, attachée à son pays plus qu’à ses territoires, mais frappée d’un sentiment d’injustice qui ne pourra être résolu que par un important travail de la part des pouvoirs publics."

Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne
 

Fiche technique de l’enquête "Baromètre des Territoires 2019"

Interrogation
Echantillon de 10 010 personnes, divisé en 12 sous-échantillons régionaux de 800 individus (1 200 en Ile-de-France), représentatifs de la population résidente de chaque région administrative métropolitaine âgée de 18 ans et plus. Les régions Corse et Provence-Alpes-Côte d’Azur ont été regroupées.

Constitution de l’échantillon
La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas appliquée par région aux variables de genre, âge, catégorie socio-professionnelle et taille d’agglomération.

Mode de recueil et dates de terrain
Interrogation par Internet entre le 14 décembre 2018 et le 8 janvier 2019.

Questionnaire
L’enquête est composée de 5 parties : "Confiance et regard sur sa qualité de vie", "Lien social", "Regard sur son territoire", "Relation du territoire avec l’Etat et l’Union Européenne", et "Vision de la société". 
Au total, le questionnaire comprend 120 questions.

Marges d’erreur
 

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Heureux ET malheureux : un portrait paradoxal des Français

Au cours des dernières décennies, la France a connu des évolutions socio-économiques et sociétales majeures. L’essor de la mondialisation et les effets de l’intégration européenne ont généré davantage de flux économiques, plus de mobilité sociale et une multiplication des connexions territoriales. Ces changements ont dans le même temps généré des craintes, de l’instabilité et des incertitudes chez de nombreux Français.

En croisant entre elles des données portant sur le lien social, l’évaluation de la vie personnelle, du cadre de vie et de l’habitat, le sentiment de justice sociale, les attentes comparées aux réalités en matière de qualité de vie, ou encore d’accès aux services publics et aux infrastructures, nous parvenons à dresser un portrait original des Français illustrant un paradoxe résumé par la célèbre formule du sociologue Jean Viard "bonheur privé et malheur public".

Premier enseignement de notre enquête, les Français évaluent positivement leur vie personnelle :

  • 73 % des Français déclarent être heureux (dont 33 % très heureux) ;
  • 67 % font le récit d’un équilibre trouvé entre temps de vie personnelle, familiale, sociale et professionnelle ;
  • 61 % ont le sentiment d’avoir choisi la vie qu’ils mènent.

Dans la plupart des régions, cette vision positive s’étend aussi au territoire local :

  • 66 % trouvent qu’il fait "bon vivre" dans leur quartier ou leur commune ;
  • 59 % estiment que l’endroit où ils vivent va "plutôt bien".

Mais dès que l’on s’éloigne de la sphère personnelle et locale sur des thèmes qui touchent leur vie économique ou celle du pays, les traces du pessimisme se font sentir. Le bonheur privé est percuté par la crise du pouvoir d’achat et le sentiment de relégation et d’exclusion :

  • 78 % jugent la société actuelle injuste (dont 28% très injuste) ;
  • 63 % sont convaincus qu’en France la réussite sociale est jouée d’avance et dépend beaucoup des origines des gens ;
  • 42 % sont convaincus que la société dans laquelle vivaient leurs parents était plus juste ;
  • 48 % vivent des fins de mois difficiles dont 35 % parviennent difficilement à finir leurs fins de mois en se restreignant, et 13 % sont obligés de puiser dans leurs réserves ou d’emprunter ;
  • 50 % ont retardé ou renoncé à des soins de santé en 2018.

Cette crise du pouvoir d’achat et les représentations d’une société inégalitaire fragilisent la confiance et la capacité des Français à se projeter dans l’avenir :

  • 47 % des Français seulement sont optimistes pour leur avenir personnel ;
  • 45 % pensent que quand leurs enfants auront leur âge, ils vivront moins bien qu’eux ;
  • 70 % sont pessimistes sur l’avenir de la société française (dont 26 % très pessimistes).

Malgré cette souffrance sociale, la France reste le point d’ancrage le plus rassembleur, loin devant nos territoires : 

  • 73 % des répondants sont attachés à la France ;
  • 58 % à leur région ;
  • 53 % à leur département ;
  • 52 % à leur commune ;
  • 45 % à leur quartier ;
  • 34 % seulement à l’Union européenne.
     

Mobilités et choix de vie : le territoire à la croisée des chemins

Cette ambivalence entre bonheur privé et malheur public s’incarne dans le rapport que les Français ont au territoire et à la mobilité. Le territoire est le lieu dans lequel ils s'épanouissent dans leur vie personnelle, familiale, sociale et professionnelle mais ont-ils choisi de vivre là où ils vivent ? Ont-ils choisi ou non de rester sur un territoire, ou de quitter un territoire pour un autre ? Si la mobilité n’est ni bonne ni mauvaise en soi, elle peut être perçue de manière radicalement différente si elle est choisie ou subie. 

Mobilité voulue, enracinement assumé, enfermement contraint sur un territoire,... Nous avons identifié quatre situations types de rapport à la mobilité qui coexistent sur notre territoire national et leur avons associé des caractéristiques socio-démographiques :

Les Français affranchis

21 % des Français sont affranchis des contraintes territoriales et sociales. Ils ont peu d’attache territoriale, ils réalisent leur projet de vie sans entrave, ou ont les moyens socioculturels de surmonter les obstacles, de s’emparer des opportunités et de tirer parti des évolutions de notre société, telles que la numérisation de nos vies personnelle, sociale et professionnelle, l’Union européenne ou la mondialisation.
 

Baromètre des Territoires - affanchis

Les Français enracinés

22 % font le choix résolu d’un enracinement dans leur territoire. Heureux de vivre là où ils ont choisi de vivre, leur bulle personnelle est un bouclier qui les protège de la violence sociale, sans pour autant la masquer.

Baromètre des Territoires - enracinés

Les Français assignés

25 % sont assignés à leur territoire et subissent de plein fouet les inégalités sociales et territoriales. Ils sont bloqués géographiquement et socialement. Ils dessinent leur avenir et celui de leurs enfants avec pessimisme.
 

Baromètre des Territoires - assignés

Les Français sur le fil

32 % vivent une forte tension entre leur aspiration à la mobilité sociale et territoriale d’une part, et une difficulté à s’affranchir de leur situation socio-économique et des inégalités territoriales d’autre part.
 

Baromètre des Territoires - sur le fil

Le Baromètre des Territoires révèle ainsi que ce ne sont pas les territoires qui déterminent les trajectoires sociales. Le regard porté sur la société et l’évaluation de son propre parcours de vie, le pouvoir d’achat et le capital socio-culturel des individus sont des déterminants beaucoup plus puissants que les caractéristiques objectives de nos territoires.

Le baromètre région par région

Découvrez les résultats de notre baromètre dans votre région.

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Conclusion

L’aménagement, la qualité de la présence des services publics et la topographie socio-économique de nos territoires amortissent ou amplifient les fragilités individuelles. Néanmoins, le Baromètre des Territoires révèle que, sur le regard porté sur la société et l’évolution de son propre parcours de vie, le pouvoir d’achat et le capital socio-culturel des individus sont des déterminants plus puissants que les caractéristiques objectives de nos territoires. 

Les Français ont une perception positive de leur pays et de leur territoire. Dans leur grande majorité, ils ont une bonne image du lieu dans lequel ils vivent, trouvent que celui-ci offre une qualité de vie satisfaisante et sont plutôt confiants quant à son avenir. 

Pour autant, plusieurs signaux pessimistes sont à mettre en avant : le sentiment d’injustice sociale partagé par 78 % des sondés, celui d’avoir du mal à finir ses fins de mois pour 49 % des interrogés, ou encore un consentement à l’impôt remis en question - 36 % des Français estiment que les taxes et impôts sont inutiles.

"Bonheur privé, malheur public" résume donc bien le leitmotiv d’une France non pas scindée entre métropoles et zones rurales, mais selon le rapport que les citoyens entretiennent à leur territoire, et en particulier le fait qu’ils aient choisi - ou non - d’y vivre au quotidien. C’est donc plutôt le fait de choisir le territoire dans lequel on se trouve, plutôt que les caractéristiques du territoire en lui-même, qui permet de répartir les Français au sein des 4 profils (Affranchis, Enracinés, Assignés, Sur le fil) que nous avons dessinés.

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