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Note
juin 2022

​​Économie chinoise :
la voie de Xi Jinping

Auteur
François Godement
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Asie et États-Unis

François Godement est Expert Résident principal et Conseiller spécial – Asie et États-Unis à l’Institut Montaigne. Il est également Nonresident Senior Fellow du Carnegie Endowment for International Peace et assistait le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français en tant que consultant externe  jusqu'à l'été 2024.

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Deux informations surprises nous sont récemment parvenues de Chine. D’abord, la manne des exportations chinoises, qui avait gonflé sous l’effet de la pandémie, a repris de plus belle. Ensuite, les importations de la Chine en gaz naturel liquéfié et même ses importations totales de pétrole (à l’exception en mai de la Russie) ont baissé par rapport à l’année précédente, le pays se tournant une fois de plus vers une énergie bon marché produite sur le territoire national. Ces évolutions sont à voir en rapport avec les signes prononcés de ralentissement économique de ces derniers mois, mais aussi dans le contexte du succès passé de l’économie chinoise pendant deux ans face à la pandémie. Cette note de recherche, qui s’appuie sur les dernières statistiques économiques disponibles en Chine, tire des leçons contrastées sur la trajectoire économique actuelle et à venir de la Chine. 

Où est le long terme, où est le court terme ?

Distinguer ce qui relève du court terme de ce qui correspond à des tendances de long terme n’est pas un exercice facile dans le cas de la Chine. Le fait que la Chine en revienne à un mix énergétique à bas coût et une dépréciation - modérée - du renminbi indique que la Chine n’est pas à ranger dans les causes directes de la flambée des prix de l’énergie qui frappe le monde entier. Les zigzags de sa politique charbonnière - production, consommation - et ses émissions de CO2 ont toutefois un impact fort sur le climat et la demande globale d’énergie.

Bien sûr, les confinements et restrictions décidés en 2022 au nom de la politique "zéro Covid" constituent la cause principale du ralentissement économique de ce printemps. Mais la tendance s’inverse à nouveau. Le net regain des exportations constaté pour le mois de mai après trois mois consécutifs de baisse est une bonne nouvelle pour les chaînes d’approvisionnement mondiales. La probabilité de la survenue de nouvelles infections de Covid-19 reste là ; la Chine est peut-être en train d’entrer dans une ère de confinements à répétition.

Le choc exogène de la pandémie aura moins d’impact durable que les déficiences endogènes

La pandémie demeure un choc exogène qui a porté un coup brutal à l’économie chinoise, mais dont les effets sont limités dans le temps. Les facteurs endogènes (un rendement du capital faible et à la baisse, une démographie et une population active déclinantes, l’augmentation de la dette totale, et la fin - contrainte - d’une croissance fondée en partie sur l’immobilier) pourraient se révéler bien plus tenaces. 

Beaucoup d’économistes parlant de l’intégration chinoise au marché mondial sont victimes d’un préjugé de confirmation alors qu’ils entrevoient aujourd’hui un changement de cap économique. Ils ont longtemps plaidé en faveur d’un changement structurel conséquent qu’ils jugeaient nécessaire pour prolonger la courbe de croissance. Ils en viennent facilement à la déduction que le cours des événements conduira mécaniquement à un élan réformiste à Pékin. En témoignent les interprétations qu’on a pu lire d’extraits de discours non officiels prononcés par le Premier ministre chinois Li Keqiang. Certains commentateurs y ont vu une prise de position contre Xi Jinping avec une opposition axée précisément sur la politique économique. Cette conclusion hâtive est trompeuse.

Les réorientations de la politique économique chinoise se font sous l’autorité de Xi Jinping

L’État-parti chinois a opté pour des mesures strictes au service de sa politique zéro Covid au prix de lourdes contraintes humaines et de pertes économiques importantes. Si Xi Jinping s’est sans doute débarrassé du leadership collectif, il prend soin de ne pas être seul sous le feu des projecteurs lorsqu’il est question de choix politiques difficiles, afin de détourner les critiques qui pourraient lui être adressées.

En réalité, le discours attribué à Li Keqiang constitue une description et une justification prudentes des 33 mesures de "stabilisation" et de relance décidées au mois de mai. Le Premier ministre fait l’éloge de l’orthodoxie des politiques monétaires et de crédit menées ces deux dernières années - tout en indiquant sans ambiguïté que les portes doivent s’ouvrir davantage aujourd’hui. Les réorientations économiques se font sous l’autorité générale de Xi Jinping, mais leur révélation au public et leurs ajustements sont endossés par le gouvernement.

Deux moteurs de croissance sur trois se sont arrêtés

Comme le disent souvent les économistes chinois, il y a en Chine trois moteurs principaux qui propulsent l’hypercroissance chinoise : les investissements, les exportations, et la consommation et les services. Les sévères restrictions sanitaires du printemps en ont simultanément coupé deux. L’investissement est ainsi l’unique locomotive qui tire l’économie. 

La Chine a pris en mai le virage d’une politique se traduisant par un soutien plus dynamique à l’économie. Mais la majeure partie de cet effort de relance est encore fléchée vers des projets traditionnels d’investissement. Davantage de relance entraîne davantage de points de PIB, mais au prix de "ponts menant nulle part" (bridges to nowhere), dans la mesure où la dotation en infrastructures du pays frôle un seuil de saturation. Notons tout de même une approche nouvelle vis-à-vis de l’innovation, des petites entreprises et d’enjeux comme le chômage. Cette approche, à l’image des projets traditionnels d’investissement, se concentre néanmoins sur le volet offre de l’économie. Le volet demande ne récolte pratiquement rien. En cela, la politique économique centrale de la Chine reste marxiste, avec la priorité au développement des forces productives.

La perspective d’une récession de bilan à la japonaise

Jusqu’à présent, les politiques de l’offre n’ont pas été très fructueuses, ce pour plusieurs raisons. D’abord, la réduction des taux d’intérêt et la baisse des réserves obligatoires, ou l’assouplissement des quotas de prêts, ont certainement profité au système bancaire et aux grandes entreprises débitrices. Mais ces fonds peinent à filtrer à travers l’économie réelle. Ensuite, les restrictions sanitaires à la fois répétées et imprévisibles découragent les consommateurs et investisseurs privés. La faiblesse de la demande est une contradiction fondamentale de l’économie chinoise. Le troisième facteur, enfin, qui est peu relevé en dehors de la Chine, réside dans une inflation quasi inexistante, d’environ 1 %. Cette stagnation des prix n’est pas si positive qu’on pourrait le croire pour l’économie nationale chinoise. 

On aperçoit en effet la possibilité d’une "récession de bilan", un concept appliqué par Richard Koo (Koo Chaoming) à la "décennie perdue" de l’économie japonaise dans les années 1990. La création massive de liquidités était alors allée vers une épargne de précaution et le remboursement des dettes, au détriment de l’investissement par les entreprises et de la consommation des ménages. Dans cette situation, les efforts de relance monétaire ou de crédit, quelle que soit leur ampleur, ne sont pas à même de provoquer un retour rapide de la croissance.

S’il y a débat, il porte sur la poursuite de l’endettement de la Chine et ses implications monétaires

La Chine est encore loin des niveaux de création monétaire atteints par le Japon lors de cette longue phase de semi-stagnation. Mais confinements et récession ont déjà créé un déficit fiscal nouveau, surtout sur le plan local. Plusieurs économistes chinois, qu’ils citent ou non les conclusions de Richard Koo, soulignent qu’un endettement public important et l’augmentation de la dette qui en résulte ne sont viables que s’ils sont accompagnés d’une "politique monétaire accommodante"

À cet égard, deux économistes célèbres, Huang Yiping et Zhang Bin, proposent des trajectoires de politiques publiques très différentes, qui portent chacune leurs propres dangers. Le premier met en avant le besoin d’un renforcement du contrôle des capitaux, tandis que le second avance la nécessité de libéraliser le taux de change, pour désamorcer les pressions spéculatives qu’entraîne une politique de change trop rigide. 

Xi Jinping privilégie encore et toujours la stabilité plutôt que la croissance

Ce débat a certes une longueur d’avance sur la direction prise par le gouvernement lui-même. Celle-ci consiste en un soutien supplémentaire à la croissance, en partie plus ciblé et plus qualitatif, mais sans porter atteinte aux préceptes fondamentaux. La première décennie de Xi Jinping a vu les risques économiques croître, en dépit d’une ligne conservatrice sur le budget central, la gestion monétaire et la politique de crédit. Il ne faut pas attendre de la Chine de Xi Jinping un retour des réformes ou un changement systémique majeur : elle ne rompra pas avec l’économie politique de l’État-parti.

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