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02/04/2024

Trêve, cessez-le-feu : une voix diplomatique ?

Trêve, cessez-le-feu : une voix diplomatique ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie
 Alain Le Roy
Auteur
Expert Associé - Géopolitique et Diplomatie
 Bruno Tertrais
Auteur
Expert Associé - Géopolitique, Relations Internationales et Démographie

Trêve, trêve humanitaire, cessez-le-feu : quelles réalités recouvrent ces notions et comment influent-elles sur le cours des guerres, alors que les appels à un cessez-le-feu à Gaza se succèdent sans résultat et que les médiateurs ne parviennent à aucun accord ? Exigences humanitaires à l’égard des civils, enjeu des otages mais aussi nécessité de l’effort de guerre et impératif d’une condamnation du Hamas : à travers cette quadrature du cercle sans solution apparente, nous revenons sur les fondements juridiques, les récents exemples historiques, les attendus stratégiques et le bien-fondé politique de la trêve et de ses notions parentes telles que cessez-le-feu ou trêve humanitaire. Dans le contexte plus large des conflits en cours et des espoirs rémanents d’une "trêve olympique" conforme à l’esprit des jeux, la trêve est-elle un chemin possible vers la paix ? Entretien croisé avec nos trois experts, Michel Duclos, Alain Le Roy et Bruno Tertrais.

Quelles sont les différences entre un cessez-le-feu, une trêve et un armistice ?

Alain Le Roy : Ces termes ont tous les trois pour objectif la cessation, au moins provisoire, des combats dans un conflit armé et ils sont souvent employés dans le débat public de manière interchangeable.
On peut toutefois préciser que la trêve résulte généralement d’un accord informel entre les parties pour une durée courte, alors que le cessez-le-feu fait, la plupart du temps, l’objet d’un accord formalisé, de dispositifs écrits et d’un mécanisme de supervision de la cessation des combats. Quant à l’armistice, il s’agit d’un cessez-le-feu signé entre des États dans le but de mettre fin de façon permanente à un conflit : il est donc destiné à être suivi rapidement par un accord de paix, comme ce fut le cas en 1918.

Michel Duclos : On a en effet constaté un glissement sémantique au fil des décennies. Les distinctions, claires au départ, sont devenues plus floues. Un signe assez révélateur de la confusion actuelle est que l’on se croit obligé d’apposer un qualificatif à "trêve" ou "cessez-le-feu" : on parle de trêve "humanitaire", de cessez le feu "humanitaire" : ce n’est plus un terme juridique mais bien du vocabulaire politique.

Aujourd’hui que les conflits n’opposent plus des gouvernements mais de multiples acteurs aux statuts divers (milices, groupes, partis…), la notion d’accord intergouvernemental perd de sa pertinence.

On doit aussi recourir à des qualifications de divers ordres tels que "trêves en vue d’un cessez-le-feu". Il faut sans doute en chercher la raison dans l’asymétrie des conflits contemporains. Dans les guerres classiques opposant des armées traditionnelles, la nation qui perdait du terrain demandait un armistice. Mais, aujourd’hui que les conflits n’opposent plus des gouvernements mais de multiples acteurs aux statuts divers (milices, groupes, partis…), la notion d’accord intergouvernemental perd de sa pertinence.

Bruno Tertrais : La question semble peut-être d’ordre sémantique, elle recouvre en réalité des enjeux très politiques. Plutôt que d’assigner à chaque terme une définition stricte, il convient plutôt de voir qu’ils ouvrent un spectre assez large dans l’arrêt des combats, où l’on peut distinguer six degrés :

  • L’absence de violence ouverte, mais encore dans l’état de guerre.
  • La trêve, qui est par essence provisoire et s’inscrit dans une logique d’humanité, pour porter secours, à l’occasion d’une fête religieuse, ou pendant une compétition sportive…
  • Le cessez-le-feu, qui peut être plus durable, mais demeure encadré et provisoire.
  • L’armistice, qui consiste à "faire taire les armes" en vertu d’un accord intergouvernemental, même si le mot fleure le passé et renvoie à une conflictualité traditionnelle.
  • L’accord de paix et la fin de l’état de guerre.
  • Le règlement du conflit voire la réconciliation des parties (qui passe, par exemple, par la reconnaissance d’un État, l’indépendance, la création d’un nouvel État…).


Le recours aux cessez-le-feu est-il une pratique courante depuis l'après-guerre ?

Alain Le Roy : Bien sûr, en voici quelques exemples :

  • La première guerre israélo-arabe qui a débuté le 15 mai 1948, le lendemain de la proclamation de l’État d’Israël, a été ponctuée de plusieurs trêves et cessez-le-feu supervisés par la première opération de maintien de la paix de l’ONU, l’ONUST (Organisme des Nations unies chargé de la surveillance de la trêve) créé fin mai 1948, et qui existe encore aujourd’hui, de façon symbolique, car plusieurs pays arabes veulent son maintien pour rappeler qu’il n’y a eu que des trêves ou cessez-le-feu mais jamais d’accord de paix entre eux et Israël.
  • Le cessez-le-feu en 1949 entre l’Inde et le Pakistan au Cachemire, supervisé depuis lors par des casques bleus de l’ONU.
  • L’armistice de Panmunjeom en 1953 entre les deux Corées, les deux pays étant encore officiellement en guerre.
  • Le cessez-le-feu en 1964 à Chypre entre les communautés chypriote grecque et chypriote turque, supervisé depuis lors par une opération de maintien de la paix de l’ONU.
  • Le cessez-le-feu et retrait des forces israéliennes du sud Liban en 2006 et leur supervision depuis lors par la FINUL (Force intérimaire des Nations unies au Liban).
  • Le cessez-le-feu en Géorgie en 2008 et la supervision de la situation au début par des observateurs de l’OSCE, puis par une mission de l’Union européenne (EUMM Georgia).


Quel rôle ont joué les cessez-le-feu dans les conflits récents ? Les cessez-le-feu ont-ils contribué à accélérer la résolution des conflits ou, au contraire, les ont-ils installés dans la durée ?

Michel Duclos : Les cessez-le-feu ou les arrêts des combats sont a priori un bien, il paraît difficile d’être contre ! Néanmoins, dans les faits, ils sont loin de déboucher sur la paix et peuvent être utilisés pour toutes sortes de motifs tactiques. Le régime de Bachar al-Assad et ses alliés russes les ont utilisés pour figer la situation à leur avantage dans certaines zones, se laissant ainsi les mains libres pour recentrer les efforts là où cela leur paraissait opportun...

Bruno Tertrais : Les cessez-le-feu ont aussi contribué à faire pourrir certains conflits dans un statu quo d’où, des décennies plus tard, on n’est toujours pas sorti. Les conflits "gelés" ne le sont jamais réellement… Le désir de cessez-le-feu doit venir des deux parties : si une seule partie le demande, c’est parce qu’elle y cherche son avantage, soit qu’elle n’en puisse plus, soit qu’elle veuille un délai pour reconstituer ses forces.

Sans volonté de paix des parties, cela ne conduit donc qu’à figer une situation à l’avantage du dominant. En Ukraine, personne ne demande de cessez-le-feu, sauf les néo-munichois… Un cessez-le-feu serait une capitulation.

En Ukraine, personne ne demande de cessez-le-feu, sauf les néo-munichois… Un cessez-le-feu serait une capitulation.

À quelles conditions un État peut-il prétendre au rôle de médiateur ?

Bruno Tertrais : Tout d’abord, notons que ce n’est pas le médiateur qui crée les conditions d’une négociation mais c’est quand les conditions sont réunies (lassitude de la guerre, écrasement d’une des parties, reconfiguration amenée par une intervention extérieure…) que l'intervention du médiateur est possible. Il ne faut pas inverser la causalité !

Le médiateur est un instrument d’autant plus utile quand le dialogue direct des parties est impossible, qu’il soit refusé par l’une des parties ou que l’un des belligérants ne reconnaisse pas la légitimité ou même l’existence de l’autre. Un tiers de confiance est alors nécessaire, à la  condition sine qua non que le médiateur soit admis par les deux parties. Or, dans le cadre du conflit israélo-palestinien, les  Palestiniens disent ne plus reconnaître  la légitimité des États-Unis...

Alain Le Roy : Il y a naturellement plusieurs types de pays médiateurs : quelques grandes puissances, capables d’imposer leurs vues et leurs volontés, ou bien des pays qui font valoir leur neutralité ou leur impartialité, comme la Suisse ou la Norvège, ou encore des pays qui disposent de moyens financiers substantiels et peuvent proposer un lieu pour accueillir les négociations.

Et bien entendu des institutions, en premier lieu l’ONU avec ses envoyés spéciaux, ou l’Union africaine et ses organisations sous-régionales, comme la CEDEAO pour l’Afrique de l’Ouest ou la SADEC pour l’Afrique australe, ainsi que des ONG comme la communauté de Sant’Egidio, sous l’égide de laquelle a été signé l’accord de paix mettant fin à la guerre civile au Mozambique en 1992.

Bruno Tertrais : Il est très difficile, pour une puissance moyenne  telle que la France, de se positionner en tant que médiateur. Elle n’a ni le poids des États-Unis, ni la neutralité de la Suisse… En 1973, Paris, à la demande des États-Unis, avait accueilli les accords sur la paix au Vietnam mais seulement au titre "logistique" de l’hébergement des négociations. C’est ce que l’on appelle la "diplomatie hôtelière"…

Il est très difficile, pour une puissance moyenne  telle que la France, de se positionner en tant que médiateur. Elle n’a ni le poids des États-Unis, ni la neutralité de la Suisse.

La France pompidolienne en avait certes conçu une certaine fierté mais l’aspiration à jouer le rôle de médiateur est assez récente. Cela n’était même pas dans l’horizon mental du général de Gaulle par exemple. La légitimité de la France est toutefois assez forte dans certains cas, par exemple dès que le Liban est partie prenante.

Michel Duclos : Dès lors qu’un médiateur n’est admis qu’à la condition de sa neutralité stratégique, les États candidats à ce titre sont censés ne pas avoir d’intérêt en lice. En réalité, il est rare que les États-Unis ou la France, par exemple, se proposent comme médiateurs simplement pour la bonne cause. Des intérêts majeurs, ne serait-ce qu’en termes d’image et de prestige, sont en jeu. Durant la Guerre Froide, les opérations de médiation des États-Unis au Proche-Orient visaient surtout à distancer l’URSS. Washington s’est beaucoup moins intéressé à ce rôle après 1990.

La France se rêve souvent en tiers de confiance, en médiateur, mais n’est pas réellement parvenue à acquérir une réputation ou une capacité en tant que telle. Quelques tentatives, qui ont avorté, auraient néanmoins pu ouvrir des perspectives de résolution de certains conflits.  Ainsi de la conférence de Rambouillet visant une résolution dans le conflit entre la Serbie et le Kosovo sous la co-présidence d’Hubert Védrine en 1999. Paris avait également tenté de s'impliquer dans le conflit afghan en 2010, sans résultat malgré une réelle expertise française sur le terrain.

Existe-t-il des modalités de contrôle efficaces du respect des trêves ? Quelle est la place respective de l'ONU, des pays tiers "médiateurs" et des belligérants ?

Alain Le Roy : Le plus souvent, le contrôle des accords de cessez-le-feu est confié à l’ONU, comme le montrent les exemples précités. Ce contrôle peut également être exercé par des pays voisins ou des États tiers acceptés par les parties.

Bruno Tertrais : Les moyens techniques dont disposent les États, mais aussi les ONG voire les  think tanks pour vérifier l'application des accords de cessation des combats sont aujourd’hui très supérieurs à ce qu’ils étaient il y a cinquante ans : images satellitaires, drones, technologies de communications, ce qui facilite les choses.

Alain Le Roy : C’est vrai que les moyens de contrôle sont de plus en plus perfectionnés, mais une des grandes difficultés est la faiblesse des sanctions en cas de non-respect de la trêve ou du cessez-le-feu. Ces non-respects sont généralement relatés dans un rapport au Conseil de sécurité, et conduisent au mieux à des condamnations ou à des sanctions, souvent peu ou pas appliquées.

Que peut-on attendre du cessez-le-feu à Gaza ? Un cessez-le-feu serait-il envisageable en Ukraine ?

Bruno Tertrais : À Gaza et en Ukraine, dans les deux cas, il s’agit de conflits perçus comme existentiels par au moins l’une des parties concernées : on est donc très loin d’envisager un accord de paix durable. On peut s’attendre à ce que les prochaines années soient ponctuées de trêves, pour raisons humanitaires ou pour reconstitution des forces, sans avancée déterminante. Les pauses, s’il y a lieu, ne permettront pas, dans un horizon prévisible, le règlement durable du conflit. Une différence majeure sépare toutefois la guerre à Gaza et en Ukraine : si l’Ukraine et la Russie sont deux États souverains et membres des Nations Unies, censés se reconnaître l’un l’autre, ce n’est pas le cas dans la guerre en Israël.

Là, l’une des parties essentielles au conflit n’est pas membre de l’ONU. Le Hamas est une entité sui generis : peut-elle être tenue pour juridiquement responsable au même titre que les États, pour lesquels la Charte de l’ONU a été conçue ? Certes, le Hamas n’est pas le Jihad Islamique palestinien, il a un organigramme connu, une charte… Mais peut-on le prendre au sérieux ?

Le Hamas est une entité sui generis : peut-elle être tenue pour juridiquement responsable au même titre que les États, pour lesquels la Charte de l’ONU a été conçue ?

Michel Duclos : Et si les combats devaient s’arrêter à Gaza et en Ukraine, comment pourrait-on établir qui a gagné ou perdu ? Allons plus loin dans la réflexion : en Terre Sainte, il y a une situation, sinon de conflit, du moins de tension depuis des décennies, entrecoupée de périodes de paix ou de paix relative. Beaucoup d’experts pensent que, si monstrueuse que soit l’actuelle crise à Gaza, elle ne changera pas ce modèle. Est-ce aussi l’avenir du conflit ukrainien ? C’est un risque certain, qui interroge nos gouvernants : l’Europe, que l’on croyait être sortie des affres de la guerre, est-elle en fait condamnée à une situation conflictuelle de longue durée avec la Russie, avec de temps à autres, l’irruption de la guerre au sens le plus primitif du terme ? Il faut bien voir que si les Russes l’emportent en Ukraine, ils se sentiront encouragés à continuer ; s’ils perdent ou doivent reculer, ils voudront se venger.

L’appel à une "trêve olympique" a-t-il des chances d’aboutir ? À quelles conditions serait-elle possible ?

Bruno Tertrais : Il relève d’un idéalisme naïf à double titre, quant à ce que sont les Jeux Olympiques d’une part  et quant à ce que pourrait une trêve "olympique" d’autre part. La grand-messe des JO se déroule très loin de Rafah ou d’Odessa et le décalage entre la volonté affichée de célébrer les vertus du sport ou l’amitié entre les peuples semble presque indécent compte tenu des événements.

Michel Duclos : Hélas, Bruno Tertrais a raison. La trêve olympique – au caractère largement mythique d’ailleurs – pouvait se concevoir chez les Grecs, dans une société d’États, ou plutôt de cités, partageant les mêmes valeurs ; de même les "trêves de Dieu", parfois promues par l’Église au Moyen-Âge. Nous en sommes loin aujourd’hui.

Propos recueillis par Hortense Miginiac
Copyright image : Odd ANDERSEN / AFP

 

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