AccueilExpressions par MontaigneStrategic Defense Review britannique : l’objet et la méthodeLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Sécurité et défense09/07/2025ImprimerPARTAGERStrategic Defense Review britannique : l’objet et la méthodeAuteur André Leblanc Expert Résident - Défense et Sécurité nationale Peu avant qu'Emmanuel Macron n'entame sa visite d'État à Londres, occasion de rappeler combien essentielle était la coopération franco-britannique en matière de défense, le Royaume-Uni publiait sa nouvelle Revue Nationale Stratégique. Place de l'OTAN, dividendes de la défense, recalibrage des priorités : tant en termes de méthode que de contenu, quels enseignements la France peut-elle en tirer, elle qui devrait livrer le 14 juillet une actualisation de sa propre RNS ? Par André Leblanc.L’étude de la Strategic Defense Review (SDR) britannique, publiée le 2 juin dernier, présente pour nous un intérêt sur deux axes.Sur l’axe historique, la SDR indique l’orientation stratégique du Royaume-Uni, ce vers quoi tend son modèle d’armée et sa stratégie d’investissement capacitaire au sens large. Sur l’axe méthodologique, la SDR britannique apporte une série d’enseignements sur la manière dont une revue nationale stratégique peut être élaborée et construite.Le premier axe présente un intérêt évident : les options stratégiques retenues par le Royaume-Uni, partenaire de défense capital de la France, font partie de notre propre équation stratégique et concernent un segment crucial de notre panoplie (notre système d’alliances). À cet égard, le primat accordé par le Royaume-Uni à l’OTAN mérite de notre part une attention particulière. Plus globalement, la solution que le Royaume-Uni, puissance en plusieurs points similaire à la nôtre, retient pour résoudre son problème stratégique est également instructive.Les options stratégiques retenues par le Royaume-Uni, partenaire de défense capital de la France, font partie de notre propre équation stratégique et concernent un segment crucial de notre panoplieMais au-delà de ce contenu particulier, la méthode par laquelle le Royaume-Uni a élaboré sa SDR présente pour les décideurs français, en tant que telle, un intérêt tout autant sinon plus important, puisque nous serons nous-mêmes confrontés à un exercice similaire.On sait en effet que la France est actuellement en train d’actualiser sa Revue Nationale Stratégique (RNS) datant de 2022. On sait également qu’au-delà de cette actualisation, il y aura nécessairement (c’est une obligation légale) une nouvelle RNS avant la prochaine loi de programmation militaire. En théorie, cette nouvelle LPM n’interviendra pas avant 2031. Mais compte tenu de notre trajectoire budgétaire (y compris celle de la LPM actuelle), il est permis de penser qu’un réajustement sera nécessaire bien avant.En réalité, on peut penser qu’une RNS sera élaborée par le prochain président, on peut même considérer qu’il s’agira d’un des premiers actes d’un nouvel exécutif présidentiel. C’est pour cette raison que l’examen du cas britannique présente pour nous un intérêt direct et fondamental.Les quatre fonctions d’une revue nationale stratégiqueComme toute revue nationale stratégique, la SDR articule trois composantes : - elle énonce explicitement un état des menaces pesant sur le Royaume-Uni ; - pour répondre à cet état de la menace, elle fixe les principes directeurs de la sécurité nationale, définissant une posture stratégique pour le pays ; - enfin, la SDR opérationnalise immédiatement certains de ces principes en formulant dans le domaine de la défense des recommandations actionnables et donc pilotables (en l’espèce, 62 propositions qui ont été intégralement validées par le Premier ministre britannique).La SDR remplit une quatrième fonction, tout aussi importante que les précédentes : elle publie l’ensemble de ses examens, c’est-à-dire qu’elle transforme un document stratégique en un document à portée politique. Elle effectue ainsi l’ancrage d’une politique publique de défense.SDR Digest : les principaux contenus de la SDR 2025La première conclusion de la SDR, énoncée par le Premier ministre Keir Starmer dans son introduction, est la nécessité d’affirmer la prééminence politique de la question de la sécurité nationale : "We also need to see the biggest shift in mindset in my lifetime : to put security and defence front and center — to make it the fundamental organising principle of government." [Il nous faut opérer un changement d’approche radical, comme n’en n’en avons encore jamais connu de cette ampleur : ériger les enjeux de sécurité et de défense en priorité absolues - et faire les principes directeurs de tous nos choix de gouvernement.] En d’autres termes, la SDR replace la sécurité nationale au sommet de la hiérarchie politique des normes.Après ce résultat principiel, les principales orientations de la SDR sont les suivantes :- Priorité accordée à l’action dans l’OTAN ("our defence policy is NATO First"). Cette insertion est vue comme un levier de développement puisqu’il s’agit dès lors pour le Royaume-Uni de prendre une position de leadership au sein de l’Alliance ("leading in NATO") sur des segments clés, dont le nucléaire et les nouvelles technologies. En particulier, le Royaume-Uni ambitionne de constituer les premières escadres aéronavales hybrides (regroupant avions embarqués, drones autonomes et collaboratifs et/ou kamikazes, missiles à longue portée), et de déployer la première arme à énergie dirigée en y consacrant un financement supplémentaire d’environ un milliard de livres. Géographiquement, cette inscription prioritaire dans l’OTAN définit la zone euro-atlantique comme le premier théâtre pour les forces armées britanniques, en particulier pour la Royal Navy (concept d’“Atlantic Bastion”).- Adaptation des forces armées pour les amener à un état de préparation au combat moderne ("Warfighting Readiness") : renforcement d’une capacité nucléaire contribuant à la dissuasion de l’OTAN (15 milliards de livres prévus sur la mandature), modernisation des forces navales ("New Hybrid Navy") et aériennes (remplacement des F35 par des chasseurs de 6e génération issus du Global Combat Air Program développé en partenariat avec le Japon et Italie, intégration généralisée des drones dans les missions de la Royal Air Force). Concernant les forces terrestres (100 000 hommes, dont 73 000 soldats d’active), l’accent est porté sur le renforcement de leur “létalité”, notamment autour du complexe "Recce-Strike" intégrant IA et numérisation à des capacités de tir à longue portée. Tirant les enseignements de la guerre d’Ukraine, l’armée britannique vise un mix 20-40-40 en matière de drones : 20 % de plate-formes habitées contrôlant 40 % de plate-formes (drones, robots) réutilisables et 40 % de plate-formes consommables (du missile au drone ou robot kamikaze). Les capacités de défense aériennes (jusqu’à un milliard de livres d’investissement), cyber (création d’un nouveau Commandement Cyber/Électromagnétique), de renseignement (création d’une unité centralisée de contre-espionnage militaire) et spatiales sont priorisées.- Renforcement de l’industrie de défense en mettant l’accent sur l’innovation, l’incorporation des leçons tirées de la guerre moderne, l’accélération et la simplification des circuits d’acquisition. Pour relever le défi du combat de haute intensité, six milliards de livres seront investis sous cette mandature pour l’achat de munitions, avec un objectif de production continue ("always on") susceptible de monter rapidement en puissance (un minimum de six nouvelles usines seront construites sur le territoire britannique), de recomplètement des stocks de munitions et d’augmentation des capacités de stockage. Inversant la tristement célèbre maxime sur les "dividendes de la paix", la SDR voit dans le nécessaire effort financier et industriel un levier de croissance, et dans une logique d’investissement productif, parle de "defence dividend".Inversant la tristement célèbre maxime sur les "dividendes de la paix", la SDR voit dans le nécessaire effort financier et industriel un levier de croissance, et dans une logique d’investissement productif, parle de "defence dividend". - Mobilisation de la société britannique, en portant l’accent sur l’insertion de la sphère civile dans les enjeux de défense, à la fois dans la dimension économique (continuum industrie-défense) et dans la dimension politique (effort d’explication et de diffusion au sein de la population de la réalité des menaces et des enjeux concernant la nation). On notera, dans cette communication pédagogique, que la SDR établit clairement une typologie hiérarchisée des menaces actuelles, dans laquelle la Russie est définie comme une menace immédiate (immediate and pressing threat) la Chine comme un défi complexe de long terme (sophisticated and persistent challenge).SDR 2025 : quelle méthode ?Les travaux de la SDR ont été lancés par le Premier ministre britannique deux semaines après sa prise de fonctions. Il en a confié la direction à un trinôme composé d’un politique (Lord Robertson, ancien député, ancien secrétaire d’État à la Défense de Tony Blair, ancien secrétaire général de l’OTAN, aujourd’hui membre de la chambre des Lords), un expert militaire (le général Barrons, ancien chef du Joint Forces Command), et un expert civil (Fiona Hill, think tanker et ancien membre du NIC sous George W. Bush et Barack Obama, et du NSC lors du premier mandat de Donald Trump).Les travaux ont duré environ 11 mois, selon le chronogramme suivant : - juillet à septembre 2024 : recueil des contributions des administrations, des experts et des acteurs concernés. octobre-novembre 2024 : mise à l’épreuve des contributions par 27 sous-comités ("Review and Challenge panels") regroupant en tout plus de 150 experts (cette phase incluant également un exercice sur table). - décembre 2024-mai 2025 : réexamen des propositions et finalisation des recommandations.Au cours de son élaboration, la SDR a reçu environ 8000 contributions de la part de 1700 personnalités et organismes, y compris en provenance de pays alliés appartenant ou non à l’OTAN (États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, Norvège…). 200 entreprises relevant de l’industrie de défense ont également contribué, ainsi que le monde académique (une centaine de contributions écrites). Des échanges réguliers ont eu lieu avec le Parlement britannique. Enfin, parallèlement aux contributions d’experts, d’industriels ou de parlementaires, un panel représentatif de citoyens (Citizen’s Panel) a été constitué. Après avoir bénéficié de visites de sites de la défense et de présentations, les opinions formulées par le Citizen’s Panelont été intégrées au rapport final.Si l’on examine cette méthode d’élaboration, trois faits saillants méritent d’être retenus :- Le chronogramme est relativement compact pour un document de ce genre. Compte tenu de son ambition, sa durée d’élaboration (11 mois) se situe dans la moyenne basse des Livres Blancs français (12,7 mois en moyenne ; en comparaison, la Revue nationale stratégique française de 2017 a été rédigée en 3 mois, celle de 2022 en 21 mois). - Le processus est à la fois dynamique, fortement piloté, et ouvert. Les orientations recommandées par les administrations sont pondérées par des contributeurs externes, acteurs économiques de la sécurité nationale et experts. Trois points d’”oxygénation” ont ainsi été intégrés au processus, au niveau des contributions extérieures, au niveau des Challenge panels, et au niveau parallèle du Citizens’ Panel. À l’issue des travaux,le décideur politique dispose d’un rapport à la fois très informé, très concret et indépendant. - Élément le plus original de la méthode, la SDR a été construite selon une logique auto-critique, grâce au rôle central joué par la phase de Review and Challenge. Les contributions ont ainsi été analysées une première fois, puis le résultat de cette analyse a lui-même été éprouvé par des panels spécialisés, avant une dernière phase d’élaboration critique de la décision. L’accent est donc moins porté sur les contributions que sur leur opérationnalisation (sur la durée des travaux, 72 % ont été consacrés aux phases de test et d’élaborations décisionnelles).L’accent est donc moins porté sur les contributions que sur leur opérationnalisation.Les bénéfices de cette méthode sont manifestes, et (indépendamment des choix politiques retenus) confèrent à la SDR son caractère réaliste, pragmatique et opératoire.Copyright image : Darren Staples / POOL / AFP Un instructeur parachutiste britannique instruit des soldats français lors d’un exercice conjoint sur la base RAF Brize Norton de la Royal Air Force, le 7 juillet 2025.ImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneFévrier 2025Pour une administration stratégique de notre sécurité nationaleFace à un ordre international bouleversé, la France peine à s’imposer. Notre étude propose trois scénarios pour redonner des marges d’action à l’État : renforcer le SGDSN, créer un Conseil de sécurité nationale modeste, ou une nouvelle administration intégrée. L'objectif : redonner à la France des marges d’action face aux défis géopolitiques et budgétaires.Consultez la Note d'action 12/06/2025 Ukraine : Intelligence Dominance, ou les leçons de Spider Web André Leblanc 11/06/2025 Repenser l’analyse en politique étrangère Jonathan Guiffard 09/12/2024 De la crise à la prospective : pour une politique étrangère de temps long Jonathan Guiffard 15/05/2024 Mer Rouge : le miroir des défis sécuritaires de l’Europe ? Laurent Célérier