AccueilExpressions par MontaigneRevue de presse internationale #19 : "Global Britain", la politique étrangère britannique vue de BerlinL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.15/06/2021Revue de presse internationale #19 : "Global Britain", la politique étrangère britannique vue de Berlin Sécurité et défense EuropeImprimerPARTAGERAuteur Bernard Chappedelaine Ancien conseiller des Affaires étrangères Chaque semaine, l’Institut Montaigne propose sa revue de presse internationale avec son chroniqueur Bernard Chappedelaine, ancien conseiller des Affaires étrangères au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, qui scrute le traitement par les experts et les médias internationaux de l’actualité géopolitique mondiale. Cette semaine, il se penche sur le regard que porte l’Allemagne sur la nouvelle politique étrangère britannique qualifiée de "Global Britain".L’Allemagne et le Royaume-Uni, dont les échanges se rétractent depuis l’annonce du Brexit, ont un attachement commun au libre-échange et des visions convergentes de la situation internationale, même si la "culture de la retenue" et l’hostilité au nucléaire sont toujours de mise à Berlin. Le "Global Britain" laisse sceptiques les experts allemands, qui réfléchissent à la manière d’impliquer Londres dans la coopération européenne en matière de politique étrangère et de défense. Hôte du récent sommet du G7 en Cornouailles, Boris Johnson entend "placer son pays sous les projecteurs", observe la Süddeutsche Zeitung, néanmoins, "depuis le Brexit, un décalage croissant sépare l'ambition de la réalité". "Le Premier ministre britannique veut montrer que le Royaume-Uni reste important après le Brexit, mais, avec son 'Britain first', il brouille son propre message", estime le Handelsblatt qui, comme d'autres media allemands, se montre critique et qualifie "d'erreur stratégique" sa décision de limiter à 0,5 % du PIB l'aide publique au développement (APD) accordée par Londres, alors même, rappelle-t-il, que c'est sous l'impulsion de Tony Blair que le G8 s'était engagé, il y a seize ans au sommet de Gleneagles, à consacrer à l’APD un montant équivalent à 0,7 % du PIB. En signant avec Joe Biden une nouvelle "charte de l’Atlantique", Boris Johnson a voulu s’inscrire dans un passé glorieux, mais, relève le Financial Times, Angela Merkel est la "première dirigeante européenne à être invitée à la Maison-Blanche, avant Emmanuel Macron et Boris Johnson". Baisse des échanges commerciaux, perceptions différentes de la situation géopolitiqueÀ la demande de Berlin notamment, le communiqué des ministres du Commerce du G7 publié le 28 mars 2021, qui rappelle l'importance du multilatéralisme et du respect des règles, ne mentionne pas la Chine, l'Allemagne et le Royaume-Uni demeurent néanmoins deux "champions du commerce mondial" et la prochaine présidence allemande du G7 pourra prolonger les initiatives britanniques, souligne Chatham House. Sur le plan bilatéral, leurs échanges connaissent toutefois une érosion. Au premier trimestre de cette année, Pékin est devenu le premier fournisseur du Royaume-Uni, les importations en provenance de Chine se sont élevées à 16,9 Mds £, soit une augmentation des 2/3 en trois ans, selon les statistiques britanniques. À l'inverse, les exportations allemandes, notamment de voitures, ont reculé d'un quart par rapport à 2018, cette évolution s'inscrit dans une tendance à la baisse observée depuis 2016, année du Brexit, les exportations venant d'Allemagne qui atteignaient 89 Mds € en 2015 ne représentent plus que 67 Mds € en 2020. Depuis le début de l'année, les mouvements de personnes entre le Royaume-Uni et l'UE sont aussi devenus plus difficiles, l’Ambassadeur d'Allemagne à Londres a récemment fait part de sa préoccupation sur les conséquences de la suppression de la libre circulation (multiplication des cas de refoulement de citoyens européens, y compris allemands, à l'entrée du territoire britannique, etc...), ce qui "crée une nouvelle réalité et une atmosphère dans laquelle il est plus difficile de rester en contact".73 % des Britanniques et 72 % des Allemands sont convaincus des bienfaits du commerce international, selon l’enquête Transatlantic Trends réalisée dans une dizaine de pays, que vient de publier le German Marshall Fund (GMF), mais l’opinion des deux pays diverge sur leurs capacités technologiques, 71 % des Britanniques se jugent bien placés dans cette compétition, alors que 50 % des Allemands estiment que leur pays prend du retard. Selon un autre sondage, effectué pour le compte de l'ECFR dans une douzaine de pays membres de l’UE, les Allemands sont ceux qui ont l'image la plus négative du Royaume-Uni, 14 % seulement le considèrent comme un "allié" et 34 % comme un "partenaire", 20 % y voient un "rival" et 6 % un "adversaire". Selon l'enquête du GMF, la Chine est aujourd’hui l’acteur dominant pour 22 % des Allemands et 15 % des Britanniques. Le Royaume-Uni est pour 48 % des Américains la première puissance européenne, l'Allemagne étant nettement distancée (23 %). Sur le continent européen, 71 % des Allemands et 47 % des Britanniques voient dans l'Allemagne la principale puissance, 36 % des Britanniques plaçant en tête leur pays. Les Allemands (67 %) sont les plus critiques de l'influence chinoise, attitude partagée par 57 % des Britanniques. La place de l’Allemagne dans le "Global Britain"La "revue intégrée de sécurité, de défense, de développement et de politique étrangère", publiée en mars 2021 par le gouvernement britannique, donne corps à l'idée de "Global Britain". Cette revue n'accorde qu'une place modeste à l'UE, elle mentionne à sept reprises l'Allemagne, qualifiée "d'alliée essentielle, avec laquelle nous entretenons des liens économiques profonds et un partenariat croissant en politique étrangère, en tant que membres de l'E3 et sur un plan bilatéral". "Nous allons continuer à travailler ensemble pour défendre notre voisinage et nos valeurs, y compris par la déclaration conjointe de politique étrangère que nous espérons signer en 2021, peut-on lire. Nous nous attacherons à renforcer cette relation dans les années à venir, notamment en coopérant sur des questions importantes comme le changement climatique". En matière de défense, "nous allons examiner les moyens de travailler plus étroitement avec les partenaires européens, y compris la France et l'Allemagne", indique le document publié à Londres, qui annonce que "des équipements britanniques seront prépositionnés en Allemagne pour faciliter une réponse rapide". "Nous allons renforcer nos relations bilatérales, particulièrement mais pas uniquement avec nos alliés-clé, États-Unis, France et Allemagne", affirme encore la "revue intégrée".Ces engagements à l'égard des partenaires européens de l'UE laissent cependant dubitatifs certains experts britanniques et allemands.Le Royaume-Uni veut montrer qu'il va désormais suivre sa propre voie et les effets à long terme du Brexit ne se font pas encore sentir."Ces termes positifs sur les relations futures avec l'Allemagne, la France et d'autres États membres de l'UE sont les bienvenus, écrit Robin Niblett, directeur de Chatham House. Ils ignorent toutefois le fait que ces pays ne vont pas négocier bilatéralement avec le Royaume-Uni sur les questions globales dans lesquelles les positions communes de l'UE leur confèrent un grand avantage diplomatique", ce qui vaut notamment pour le climat, présenté dans la revue comme la "priorité internationale numéro un"."Les dix lignes consacrées à l'UE" dans la revue ignorent le fait que, pour l'administration Biden, l'UE et non l'OTAN sera le principal interlocuteur dans les négociations transatlantiques sur toute une série de sujets, allant du changement climatique à la taxation des GAFA et aux sanctions contre la Russie, observe Robin Niblett, qui déplore que le rôle du format E3 (Allemagne, France, Royaume-Uni) ne soit pas mieux mis en valeur. Ulrike Franke regrette aussi que l'UE soit aussi peu présente dans la revue britannique, ce qui ne la surprend pas. D'après cette chercheuse de l'ECFR, le Royaume-Uni veut montrer qu'il va désormais suivre sa propre voie et les effets à long terme du Brexit ne se font pas encore sentir, mais la stratégie du Royaume-Uni est "ambitieuse", il doit encore "démontrer qu'il peut, en tant que puissance moyenne, exister comme acteur global". Relevant l'augmentation "inattendue" de 40 % du nombre de têtes nucléaires dans l'arsenal de la dissuasion britannique, qui doit passer de 180 à 260, ce qui va "à rebours de 30 ans de désarmement depuis la fin de la guerre froide", Magnus Smidak, expert de la fondation Konrad Adenauer, se demande "en quoi cet ajout de 80 têtes à l'arsenal nucléaire déjà imposant de l'OTAN va contribuer à la paix et à la sécurité internationale", il considère que la revue n'apporte pas de réponse satisfaisante à cette question.Comment organiser la coopération de politique étrangère et de défense avec LondresDans l’étude qu’ils consacrent aux relations futures de l'UE avec "Global Britain", Claudia Major et Nicolai von Ondarza notent que cette review, qui ambitionne de faire du Royaume-Uni une "game changer nation", place la barre très haut. Ils observent aussi que le refus britannique d'une coopération institutionnalisée dans le domaine de la Politique de Sécurité et de Défense commune (PSDC) et son insistance sur des formats flexibles et bilatéraux placent Berlin en position inconfortable. L'Allemagne souhaite impliquer Londres, mais est aussi attentive à préserver la cohésion européenne et à ne pas donner l'impression de faire cavalier seul, alors que, depuis le référendum sur le Brexit, Londres a cherché à se rapprocher de Berlin pour peser sur les décisions de l'UE. La PSDC est néanmoins un secteur propice à une coopération plus étroite qui ne met pas en cause l'autonomie de décision de l'UE, notent Claudia Major et Nicolai von Ondarza.Ils espèrent que la déclaration conjointe sur la coopération en matière de politique étrangère et de sécurité, en projet depuis longtemps, enverra un "signal positif". Dans la plupart des dossiers de politique étrangère, les positions allemandes et britanniques sont convergentes, c'est surtout en matière de commerce et de régulation qu'existent des divergences, aussi, soulignent-ils, est-il important de désamorcer les questions litigieuses (Covid-19, protocole nord-irlandais). Depuis le référendum sur le Brexit, Londres a cherché à se rapprocher de Berlin pour peser sur les décisions de l'UE.Les experts de la SWP suggèrent de s'inspirer du modèle récemment mis en place avec l'administration Biden en invitant les dirigeants britanniques aux conseils des 27, quand par exemple la Russie et l'Indopacifique sont à l'ordre du jour, ils proposent aussi de recourir à des formats existants, qu'il s'agisse de l'E3, qui a fait ses preuves dans les négociations sur le programme nucléaire iranien, ou du G7 où sont régulièrement invités des dirigeants de pays tiers et auquel les instances européennes participent. Londres utilise sa présidence du G7 pour une coordination en politique étrangère et l'Allemagne qui lui succédera pourrait s'inspirer de cet exemple. Il importe toutefois, selon Claudia Major et Nicolai von Ondarza, que Berlin prenne en compte les objections des autres États membres qui se plaignent d'être tenus à l’écart de ces enceintes informelles restreintes, comme c'est aussi le cas pour les réunions du Quad (Allemagne, États-Unis, France, Royaume-Uni), en veillant à ce que les autres États membres de l'UE, particulièrement intéressés par une question, puissent participer sur une base ad hoc à ces réunions (exemple de la Pologne et du partenariat oriental). L'exemple de l'IndopacifiqueLe Royaume-Uni occupe, dans le monde, la quatrième place pour les dépenses militaires et, à la différence de l'Allemagne, satisfait à l'objectif des 2 % du PIB consacrés à la défense. La revue britannique annonce une "inclinaison" ("tilt") vers la zone indopacifique, qui devrait se traduire par un engagement politique, économique et militaire accru. Cette année, le porte-avions Queen Elizabeth est en mission dans la région indopacifique, dans laquelle le Royaume-Uni et les membres de l'UE ont les mêmes priorités - respect de la liberté des mers, promotion des liens économiques, paix et stabilité, défense des droits de l'homme - analyse la revue Internationale Politik. La défense pourrait devenir un moteur de la coopération entre Londres, Paris et Berlin dans cette zone, souligne-t-elle, un point que relèvent également Georgina Wright et Ben Judah pour la World Politics Review . C'est dans cet esprit ("démonstration de solidarité avec les alliés") que le ministère allemand de la Défense avait planifié la mission en mer de Chine de la frégate Bayern, qui coïncidait avec la présence sur zone du HMS Queen Elizabeth et d'un navire français de classe Mistral, expliquent Hans Kundnani et Michito Tsuruoka dans une analyse de Chatham House, mais ce projet s'est heurté à l'opposition du SPD, le périple du Bayern a été modifié, qui rend les itinéraires incompatibles et affaiblit la "démonstration de solidarité" recherchée, en outre, il débutera par Shanghai, ce qui peut créer l'impression que Berlin a demandé à la Chine une autorisation. Pour autant, le "tilt" en direction de l'Indopacifique n'est pas aussi prononcé que celui qui était anticipé par certains experts, constate Magnus Smidak, la revue met l'accent sur l'engagement en faveur de l'OTAN et la sécurité européenne, où reste concentré l'essentiel du dispositif britannique. 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