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16/04/2024

Répondre à l'offensive automobile de la Chine

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Répondre à l'offensive automobile de la Chine
 François Godement
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Asie et États-Unis

Les ventes de véhicules chinois ne cessent de progresser en Europe, et celles des seuls véhicules électriques devraient doubler en 2024. Portées par des firmes qui bénéficient de chaînes d’approvisionnement solides, en plus de subventions directes ou indirectes de longue date, elles produisent des volumes importants, à faibles coûts, et sont de plus en plus tournées vers l’export. Face à cette arrivée massive des véhicules chinois, notamment électriques, comment l’Europe peut-elle répliquer ? Création de “cocons industriels”, hausse des droits de douane, verdissement des politiques sont autant d’éléments nécessaires, comme l’explique François Godement dans ce papier.

On le sait, les ventes de véhicules chinois, y compris électriques, explosent en Europe, et cette tendance est appelée à se poursuivre. Les fabricants chinois ont des prix plus concurrentiels que les fabricants étrangers installés en Chine et, bien sûr, que ceux qui produisent encore en Europe.

À court terme, le débat qui en résulte s’est focalisé sur les subventions chinoises, et donc sur des droits de douane accrus. Est-ce suffisant, face à une capacité de production chinoise annuelle de plus de 40 millions de voitures ? Les marques chinoises ne vont même pas en Europe jusqu’au bout de la guerre des prix qu’elles se livrent en Chine.

À ce défi sans précédent, nous proposons une réponse sans précédent

Il faut donner du temps aux producteurs européens pour affronter sur un pied d'égalité l’industrie chinoise, après des décennies de subventions directes ou indirectes, et d'absorption des technologies étrangères. Cela ne peut se faire uniquement avec des droits de douane.

Reprenons la politique et les "cocons industriels" qui furent la marque de fabrique du Japon, des "tigres" de l'Asie de l'Est et de la Chine.

Faisons un choix plus radical. Reprenons la politique et les "cocons industriels" qui furent la marque de fabrique du Japon, des "tigres" de l'Asie de l'Est et de la Chine. Il faut y inclure tout le processus de production. En particulier, la chaîne de valeur des véhicules électriques est déjà trop dépendante des métaux fournis ou transformés par la Chine, des producteurs chinois de batteries, de leurs capacités technologiques et de leur volonté d'investir.

Au-delà de cet exemple phare, et derrière le blason des marques connues, tout le tissu industriel européen est menacé.

Les Européens ont tardé à réagir, avec des droits de douane qui sont restés à 10 %. Les États-Unis pratiquent un taux de 27,5 % sur les voitures chinoises, et cela ne fera que progresser dans un avenir proche. L'Inde fixe des tarifs élevés sur toutes les importations de voitures. Le Japon est le marché le plus difficile de tous. Nous serons alors le marché de dernier recours pour une production chinoise pléthorique, là où les autres marchés sont de taille plus réduite. Les droits de douane compensateurs de l'Union européenne ne suffiront pas à eux seuls. Ils sont lents à mettre en œuvre et doivent être revus périodiquement. Ils n'annuleront pas l'écart de prix entre la Chine et les voitures produites en Europe : il y faudrait des taux beaucoup plus élevés. Les quotas d’importation – une solution éprouvée il y a un quart de siècle avec le Japon – ne sont plus permis par l’OMC. Il s'agit d'une solution dépassée, surtout si l’on considère les antécédents de la Chine en matière d'engagements vis-à-vis du monde extérieur.

Luca de Meo, dirigeant de Renault, semble avoir senti le danger et plaide pour que les constructeurs automobiles européens créent "un Airbus de l'industrie automobile", afin de réduire les coûts de développement et d'atteindre une taille de marché qui leur permette de concurrencer les producteurs chinois. À l’inverse, Daimler et BMW plaident pour l’abolition complète des droits de douane. Cette position vise à éviter les mesures de représailles contre leurs propres entreprises en Chine. Appliquée, cette position signerait la fin de l’industrie européenne, à l’exception du très haut de gamme, avec la reconversion de ces deux entreprises en holdings financiers dépendantes de la Chine. Faut-il capituler ?

Faire une offre que la Chine ne peut pas refuser

En "cocoonant" des industries clés, en pilotant l’investissement, l’Asie orientale a créé de grands secteurs industriels qui sont devenus par la suite des niches d'exportation. Les conditions de cette stratégie de cocooning seraient les suivantes : une durée de dix ans. L'industrie automobile serait considérée comme un secteur stratégique selon plusieurs critères : la sécurité des chaînes d'approvisionnement, les préoccupations environnementales, la cybersécurité et, enfin, l'ordre public – le secteur est en effet le premier pourvoyeur d'emplois dans l'Union européenne.

Il est essentiel de laisser la porte ouverte à ceux qui acceptent les règles, notamment par le biais d'accords de réciprocité en matière de droits de douane et d'investissement. C’est une nécessité pour le progrès technologique et pour la concurrence souhaitée par les consommateurs, qui sont aussi des électeurs. Notre intérêt commun est d'élever les barrières pour ceux qui ne respectent pas nos règles et de les abaisser pour ceux qui les respectent.

Notre intérêt commun est d'élever les barrières pour ceux qui ne respectent pas nos règles et de les abaisser pour ceux qui les respectent.

La porte restera donc ouverte à des associations avec des investisseurs et producteurs étrangers, avec un plafond de 49 % : c'est déjà le cas pour les compagnies aériennes européennes. Ces investisseurs et leurs partenaires nationaux devront respecter les mêmes critères et normes, avec une part prédéfinie de localisation des fournisseurs. En effet, l'inclusion des fournisseurs dans la proposition sera essentielle pour certains États membres. Le respect des normes, en particulier celles relatives à l'environnement, doit être intégré et vérifié.

Cela implique des changements pour les producteurs nationaux. Il doit y avoir des incitations spécifiques pour des investissements conjoints afin de combler les lacunes existantes dans la production européenne. En ce qui concerne les logiciels – le composant le plus important de l'"ordinateur sur roues" de demain et de la conduite autonome – l'Europe accuse un tel retard qu'elle doit compter sur la participation d’acteurs étrangers. Le principe européen consistant à éviter toute discrimination n’est plus réaliste. Nous devons faire une distinction entre les fournisseurs appartenant à l'OCDE et ceux qui ne le sont pas, tout en utilisant l'OCDE pour limiter les risques cyber.

Est-ce acceptable sur le plan des règles internationales ? Pour des questions de sécurité nationale, d’"ordre public", de protection de l'environnement, de santé et de cybersécurité, il est acceptable, dans le cadre de l'OMC, de restreindre les IDE. Les conditions préalables à ces restrictions sont l’équité, la transparence et la non-discrimination. En Europe, la réduction de la dépendance des chaînes d'approvisionnement vis-à-vis d'un seul fournisseur et la prévention des risques de cyber intégrés entrent déjà dans le champ d'application de règles envisagées. Les préoccupations environnementales sont parfaitement recevables.

Une période de dix ans n'est pas une sanction. L'explosion de la politique d'exportation de la Chine est une conséquence des règles obsolètes de l'OMC, la Chine étant en mesure de bloquer une redéfinition de son économie. Avec 34 % de la production industrielle mondiale, elle ne passe toujours pas du statut d’économie en développement à celui de pays industrialisé.

Pourquoi les entreprises chinoises accepteraient-elles de telles contraintes à l’investissement ? Parce qu’elles n’auront pas d’autre choix pour être présentes sur le marché européen. Les droits de douane élevés seront la fin du tout-exportation. Pour l'État chinois, cela signifie qu'il faut revoir à la baisse les ambitions du secteur automobile en matière de production et d'emploi dans le pays, afin de garantir l'acceptabilité à l'étranger. Après la surproduction immobilière, ce sera une autre bulle à dégonfler.

L’alternative à la combinaison des droits de douane et d’un cocon industriel du 21e siècle est la mort de l'industrie automobile européenne.

L’alternative à la combinaison des droits de douane et d’un cocon industriel du 21e siècle est la mort de l'industrie automobile européenne. Elle ne serait ni lente ni indolore. Avoir mis en place l’objectif de verdissement avant la politique industrielle a été une erreur. La Chine, elle, avait anticipé la tendance des véhicules électriques il y a deux décennies, tout en négligeant l'aspect carbone de sa chaîne de production.

Pour les marques européennes, cela implique d'autres défis. Il serait inacceptable d'obtenir un espace de respiration et, simultanément, de repousser la transition vers le verdissement. Un horizon temporel limité est essentiel, tout comme le soutien des consommateurs. La lutte sur les prix est indissociable des politiques de verdissement, et singulièrement pour les véhicules électriques.

Prétendre que le marché libre fonctionne actuellement est une illusion. Celle-ci vient après l’erreur d’avoir négligé les avancées technologiques des producteurs chinois et de Tesla. Outre ce qu'il reste du sens du design et du marketing de nos fabricants, la dimension de notre marché et notre volonté collective de maintenir un certain degré d'autosuffisance sont les leviers dont nous disposons. Utilisons-les entre fabricants et entre États membres avant qu'il ne soit trop tard.

Copyright image : Fabrice COFFRINI / AFP

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