AccueilExpressions par MontaigneProjet de cessez-le-feu en Ukraine : le début du chemin vers la paix ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.12/03/2025Projet de cessez-le-feu en Ukraine : le début du chemin vers la paix ? EuropeImprimerPARTAGERAuteur Cyrille Bret Docteur en philosophie spécialiste des enjeux de sécurité et défense La rencontre du 11 mars à Djeddah, en Arabie Saoudite, entre le secrétaire d'État américain, Marco Rubio, et le directeur de cabinet de la présidence ukrainienne, Andriy Iermak, semble remettre la diplomatie dans la bonne voie. Mais le chemin qui reste du cessez-le-feu à la trêve et de la trêve à la paix est encore long, et semé d'embûches. À quelles conditions peut-on rendre la paix durable ? Quelles sont les questions à régler à court et moyen termes ? Surtout, et sans même aborder la probabilité de succès des négociations de cessez-le-feu, comment se prémunir contre le risque que les Russes ne mettent à profit ce délai pour renforcer leurs positions ? Dans sa tribune, Cyrille Bret, sans pour autant négliger de rappeler combien la paix, à condition qu'elle soit juste, est souhaitable, appelle les Européens à maintenir la pression sur les Russes et à ne rien lâcher ni sur la méthode ni sur les conditions pour une négociation.Retour à la diplomatie, à ses rites et à ses rythmes ?Après l’algarade hautement médiatisée du 28 février dans le Bureau Ovale entre les présidents Trump et Zelenski et après des discussions plus discrètes du 11 mars à Djeddah entre le Secrétaire d’État américain, Marco Rubio, et le directeur de cabinet de la présidence ukrainienne, M. Iermak, les chancelleries et les opinions publiques ont accueilli avec un certain soulagement l’annonce d’un projet de cessez-le-feu. Enfin, le dialogue entre allié semble reprendre un cours normal ! Enfin, les perspectives d’une paix bâclée et imposée paraissent s’éloigner ! Enfin, les rôles cessaient d’être inversés entre agresseur et faiseur de paix, entre soutien de l’Ukraine et procureur anti-Kiev et entre médiateur et complice.Les autorités ukrainiennes viennent d’annoncer qu’elles souscrivaient à la proposition américaine d’une suspension complète des hostilités pour trente jours.Les autorités ukrainiennes viennent d’annoncer qu’elles souscrivaient à la proposition américaine d’une suspension complète des hostilités pour trente jours, proposition à soumettre aux autorités russes dès le 13 mars. Et les autorités américaines ont, elles, repris leur aide militaire à l’Ukraine, notamment en matière de renseignement.Les discussions en vue d’une pause et d’un règlement du conflit semblent ainsi reprendre un cours plus classique, même s’il est en est aujourd’hui à un stade très inchoatif : l’Arabie saoudite accueille les négociations et fournit un terrain neutre pour lancer des pourparlers ; les États-Unis font la navette entre belligérants mais ne renoncent pas à leur rôle de soutien à l’Ukraine ; l’accord sur les terres rares ukrainiennes destiné à "dédommager" les Américains de leur soutien de 320 Mds US$ cesse d’être un préalable punitif ; quant à la Russie, elle se trouve désormais au pied du mur : veut-elle la paix, ainsi qu’elle le clame, même si elle a déclenché l’invasion et ainsi commencé la guerre ? Ou bien utilise-t-elle seulement le changement de président à Washington pour miner son ennemi par des voies détournées ?Plutôt que d’évaluer les probabilités de succès de ce projet de trêve - cela dépend largement des négociateurs -, il est nécessaire de mettre en lumière les perspectives ouvertes par ce projet et les embûches multiples sur lequel il peut buter.Les vertus d’un projet de cessez-le feuDe manière générale, les propositions de cessez-le-feu relancent les espoirs de paix - même de façon fragile, fugace et confuse. La première vertu d’une suspension de la violence armée interétatique est de rompre le cercle de la violence où l’agression et la résistance s’alimentent l’une l’autre dans un cycle de représailles potentiellement indéfini. La guerre, une fois engagée, a sa propre force interne qui peut se prolonger quasiment jusqu’à la disparition des ennemis. C’est le premier avantage de la trêve, comme l’illustrait la comédie Les Acharniens d’Aristophane : les misères de la guerre font oublier jusqu’à la possibilité d’une vie sans combat. Le cessez-le-feu, peut, lui agir, comme un rappel sur les bienfaits de la paix.Un cessez-le-feu est bien sûr intrinsèquement précaire : il est exposé à la moindre violation délibérée ou accidentelle mais, s’il prospère, il ouvre un espace où "les armes le cèdent à la toge" selon l’expression de Cicéron, et où la confrontation armée marque une pause pour que les différends puissent être résolus autrement, par la parole, le rapport de force diplomatique, le troc, les influences extérieures, etc. En l’occurrence, 30 jours de trêve ne seraient pas de trop pour régler un différend bilatéral Russie-Ukraine qui date de la Révolution Orange de 2004 et une tension stratégique OTAN-Russie qui remonte au moins à l’adhésion des États baltes à l’Alliance atlantique de 1999. Une suspension du feu permettrait aux ennemis de se souvenir que la guerre n’a pas sa finalité en elle-même. C’est toujours une situation stable et maîtrisée que visent les belligérants, souvent au détriment de l’ennemi, naturellement.Plus précisément, dans le contexte actuel marqué par l’usure de trois ans de guerre, par la volonté trumpienne de faire cesser la guerre et par une stabilisation - violente - de la ligne de front, ce projet trêve aura pour vertu de " tester" la volonté de règlement des ennemis, de rendre possible la reprise des discussions engagées par eux dès mars 2022 et, pour nous Européens, de nous laisser le temps de préparer la suite du processus.Les misères de la guerre font oublier jusqu’à la possibilité d’une vie sans combat. Le cessez-le-feu, peut, lui agir, comme un rappel sur les bienfaits de la paix.Ce projet de cessez-le-feu constitue pour Washington un premier succès diplomatique ; pour Moscou ce peut être une condition de discussions avec l’Ukraine et avec les États-Unis ; mais pour les Européens ce doit être l’occasion de préparer des propositions d’armistice et de paix et ainsi de s’inviter eux-mêmes à la table des négociations substantielles.Les embûches sur le chemin de la paixSi un cessez-le-feu est précaire - toujours à la merci d’un dérapage - une proposition de trêve est, elle, encore plus vulnérable.Fondamentalement, le principal danger à l’engagement d’un processus de paix est l’illusion de la vitesse. Il y a très loin de la suspension d’opérations militaires sur un front actif à l’organisation - internationalement garantie - d’une paix durable autrement dit d’une coexistence pacifique durable juridiquement réglée. La tactique trumpienne de la provocation et de l’emballement peut ouvrir le chemin de négociations substantielles en créant un momentum de discussion. Mais elle ne peut pas forcer l’élaboration d’un armistice - la consécration juridique détaillée d’un cessez-le feu - et encore moins hâter la conclusion d’une paix. En effet, les différends bilatéraux Ukraine-Russie sont structurels : ils engagent la définition de l’identité nationale, la crédibilité et la légitimité des autorités politique et surtout la conception de leurs futurs stratégiques respectifs. Ces différends ne peuvent être résolus en 30 jours et il y a loin d’un accord formel de cessez-le-feu à une convergence de fond sur les conditions d’une coexistence durable entre Ukraine et Russie. À court terme, les ennemis doivent trouver un accord sur les échanges de prisonniers, sur le sort des enfants ukrainiens placés dans des familles russes, sur le statut juridique des citoyens et des propriétés ukrainiennes sous occupation russe, sur la quantité d’armes et de troupes mobilisées sur le front, sur des mesures de vérification du cessez-le-feu…Le deuxième écueil entre le projet de Djeddah et le traité de paix - qu’on espère signé en Europe - est plus circonstanciel : la Russie a maintes fois utilisé les trêves, les cessez-le-feu ou les temps faibles des différents conflits pour prolonger le rapport de force militaire. Elle s’est montrée experte, en 2008 en Géorgie, dans le Donbass en 2014, pour négocier tout en agissant militairement de façon discrète. Cette embûche n'est pas sans remède : il faut, comme pour la conclusion des Accords de Minsk I (2014) et II (2015) maintenir un rapport de force militaire sans confrontation directe afin de soutenir les efforts diplomatiques. Concrètement, pour les Européens, cela suppose de ne pas renoncer à une mobilisation y compris militaire pour peser sur d’éventuels pourparlers de paix.La Russie a maintes fois utilisé les trêves, les cessez-le-feu ou les temps faibles des différents conflits pour prolonger le rapport de force militaireL’annonce d’un projet de trêve conjoint Ukraine-États-Unis est évidemment aussi fragile que prometteuse. Le chemin vers la paix est, à date, encore long, semé d’embûches et sans terminus connu. Mais elle constitue, pour les Européens, une série d’occasions à saisir : si ce projet de trêve prospère, ils peuvent mettre à profit cette durée pour maintenir la pression militaire et préparer un plan de paix sur le fond afin de s’inviter à la table des négociations.Et si ce projet de trêve échoue, ils doivent préparer un schéma de discussion alternatif sur la méthode (une discussion multilatérale) et sur le fond (un plan de paix européen).Copyright image : Saul LOEB / POOL / AFP Le ministre des Affaires étrangères ukrainian Andrii Sybiha, le directeur de cabinet du Président ukrainien Andriy Yermak et le ministre de la Défense Rustem Umerovto à Djeddah le 11 mars 2025.ImprimerPARTAGERcontenus associés 24/02/2025 La tragédie après la catastrophe ? Guerre en Ukraine et démographie Bruno Tertrais 19/02/2025 Europe : prendre acte du sabotage des relations transatlantiques François Godement