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31/07/2024

Prévention et santé : faire le pari de l’activité physique

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Prévention et santé : faire le pari de l’activité physique
 Odile Diagana
Auteur
Coordinatrice Générale chez Azur Sport Santé

Dans la dynamique des Jeux Olympiques et Paralympiques, le président de la République a décrété la promotion de l’Activité Physique et Sportive comme Grande Cause Nationale 2024. Si la recommandation affichée des 30 minutes d’activité physique par jour gagne progressivement les esprits, elle est encore insuffisamment appliquée, et il semble que l’on ne connaisse ni n’exploite suffisamment les bénéfices que l’activité physique peut avoir pour notre santé. Odile Diagana, ancienne athlète internationale d’heptathlon et spécialiste du "sport santé", répond à quatre questions pour comprendre le potentiel de l’activité physique et les enjeux que pose sa démocratisation.

Dans quelle mesure l’activité physique peut-elle constituer un levier de prévention en santé ?

Il me paraît d’abord important de bien définir ce qu’est l’activité physique et de la distinguer du sport. Personnellement, en tant qu’athlète de haut niveau, j’ai toujours associé le sport à la santé et au bien-être (la définition du Conseil de l’Europe est d’ailleurs très large). Cependant, le mot "sport" est encore trop souvent associé dans l’imaginaire collectif à des notions d’élitisme ou de compétition, ce qui peut générer une dimension d’inaccessibilité, voire une réticence à la pratique. L’activité physique est définie par l’OMS comme : "tout mouvement corporel produit par la construction des muscles squelettiques entraînant une augmentation de la dépense énergétique par rapport à la dépense énergétique au repos" et elle est en ce sens à la portée de tous.

Elle génère mécaniquement des bénéfices pour la santé, à condition qu’elle soit pratiquée de manière régulière et à intensité suffisante. On estime que 5 millions de décès par an pourraient être évités dans le monde si les recommandations d’activité physique de l’OMS étaient respectées - soient 150 minutes d’activité physique d’intensité modérée par semaine ou 75 minutes de forte intensité pour les adultes de 18 à 64 ans. De fait, selon l’INJEP, 68 % des personnes se déclarant en bonne ou très bonne santé sont des pratiquants sportifs réguliers contre 42 % des personnes se déclarant en mauvaise ou très mauvaise santé.

Elle génère mécaniquement des bénéfices pour la santé, à condition qu’elle soit pratiquée de manière régulière et à intensité suffisante.

De manière générale, la pratique d’une activité physique régulière améliore la qualité de vie et les paramètres de santé : elle prévient la perte d’autonomie, diminue le stress, améliore l’immunité et plusieurs études scientifiques soulignent par ailleurs les bienfaits de l’activité physique pour une santé mentale optimale.

Très concrètement, l’activité physique peut agir sur de nombreuses pathologies, au sens des trois niveaux de prévention définis par la Haute Autorité de santé (HAS) : la prévention primaire, qui agit en amont de la maladie afin d’empêcher son apparition ; la prévention secondaire qui agit à un stade précoce de la maladie pour limiter son développement et la prévention tertiaire qui intervient sur les complications et les risques de récidives.
 
À titre d’exemple, une étude de l’ANSES en 2016 rapportait que la pratique d’une activité physique diminuait de 50 % l’apparition du diabète de type 2 et réduisait de 45 % la probabilité de développer un Alzheimer. Elle permet également, selon le même rapport, d’abaisser de 20 à 25 % le risque de développer certains cancers - dont celui du sein ou du côlon - et de 20 à 50 % celui d’être atteint de coronaropathies (i.e. maladies cardiovasculaires). En termes de prévention tertiaire, l’activité physique permet de réduire de 24 % le risque de récidive du cancer du sein et abaisse la perspective d’une ré-hospitalisation de 31 % pour les patients atteints de troubles cardio-vasculaires.

La pratique d’une activité physique régulière comme levier de prévention représente un enjeu de santé publique d’autant plus essentiel que nos modes de vie deviennent de plus en plus sédentaires. En effet, 45 % des hommes et 55 % des femmes sont considérés comme "inactifs " en France ; tels qu’ils n’atteignent pas les recommandations de l’OMS. Par ailleurs, les trois quarts des enfants de 3 à 17 ans ne respectent pas les recommandations de l’OMS qui leur préconise 60 minutes d’activité physique par jour. Cette inactivité coexiste avec une forte sédentarité, soit le temps passé assis : ainsi, une étude datant de 2015 estime à 9 heures le temps moyen passé en position assise et jusqu’à 12 heures lors d’une journée travaillée. Or, cette modification des comportements, couplée au vieillissement de la population et à l’isolement généré par l’augmentation du temps passé sur les écrans, entraîne la croissance de certaines pathologies, dont des maladies chroniques. Depuis 1997, l’obésité chez les 18-24 ans a été multipliée par plus de 4 et, entre 2015 et 2021, la Caisse nationale de l’Assurance maladie a recensé une augmentation significative des patients atteints de diabète, de maladies psychiatriques ou de maladies cardio-neurovasculaires.

En France, l’activité physique peut même être intégrée dans un parcours de soins au titre de l’activité physique adaptée : de quoi s’agit-il ?

En effet, l’activité physique est susceptible de constituer une solution thérapeutique dans la mesure où elle peut, au même titre qu’un médicament, être prescrite par un professionnel de santé et être intégrée dans un parcours de soins dans une perspective de guérison, de traitement symptomatique d’une pathologie, ou même de manière préventive. Une évidence, lorsqu’on sait qu’elle a un effet équivalent à des traitements médicamenteux sur l’anxiété et la dépression et diminue jusqu’à 41 % la mortalité précoce.

On parle dans ce cas d’activité physique adaptée (APA), le "sport sur ordonnance", reconnue comme telle depuis la loi de 2016 de modernisation de notre système de santé. Elle est prescrite sous forme de programmes structurés, limités dans le temps et dispensés par un professionnel de l’APA. Selon la HAS, un programme d’APA thérapeutique se compose généralement de 2 à 3 séances de 45 à 60 minutes d’activité physique par semaine pendant 3 mois, et peut être renouvelable. Les séances sont composées d’exercices d’endurance, d’aérobie et de renforcement musculaire mais il est également possible d’y associer en fonction de chaque profil des éléments d’assouplissement, de coordination ou d’équilibre.

L’activité physique est susceptible de constituer une solution thérapeutique dans la mesure où elle peut, au même titre qu’un médicament, être prescrite par un professionnel de santé et être intégrée dans un parcours de soins.

Elle peut être exclusivement prescrite aux personnes atteintes d’une affection longue durée (ALD) ou d’une maladie chronique et à celles en perte d’autonomie ou présentant des facteurs de risques importants comme l’obésité.
 
Si les études scientifiques permettant de mettre en évidence le lien entre la pratique d’une activité physique régulière et l'amélioration des paramètres de santé existent depuis longtemps, la prise de conscience politique est beaucoup plus récente. La loi de 2016 du sport santé sur ordonnance, en introduisant la possibilité de prescrire l’APA pour les médecins généralistes pour certains types de pathologies a constitué un détonateur pour avancer sur le sujet du sport santé. Depuis, elle a connu un certain nombre d’élargissements qui ont permis d’optimiser sa mise en place : l’amendement du 13 mars 2021, en particulier, a étendu la prescription aux médecins spécialistes alors que seuls les médecins généralistes y étaient autorisés et a permis aux patients atteints de maladies chroniques d’en bénéficier. Elle a également permis d’obtenir que les kinésithérapeutes puissent renouveler les ordonnances d’activité physique.
 
L’activité physique adaptée a encore un long chemin à parcourir avant que son potentiel ne soit pleinement exploité. Elle a notamment vocation à trouver une place de plus en plus importante dans un parcours de soins coordonné, au vu des résultats présentés par le groupe d’experts de l’INSERM sollicité par le ministère des Sports et de la Santé en 2019. Ces derniers recommandent la prescription systématique de l’APA pour les maladies chroniques et en première intention pour la dépression ou encore le diabète de type 2. La loi de 2016 a constitué une avancée majeure en termes de reconnaissance institutionnelle du sport comme outil préventif et thérapeutique en santé et a permis de définir un cadre permettant sa mise en œuvre. Elle a toutefois laissé béante la question du financement. À ce jour, l’APA n’est ainsi pas encore remboursée par l’Assurance maladie, un obstacle conséquent qui l’empêche d’être généralisée au plus grand nombre. Un amendement avait été déposé en ce sens dans le PLFSS 2024 ; pour le diabète et le cancer seulement ; mais il n’a finalement pas été retenu. La LFSS 2024 prévoit toutefois, à titre expérimental et pour une durée de deux ans, la possibilité d'un remboursement par certaines ARS des séances d’APA, uniquement pour les malades du cancer. Dans ce contexte, certaines collectivités locales ou organismes complémentaires proposent des remboursements, mais cela résulte en un financement très inégal des programmes d’APA en fonction du lieu de vie ou de la pathologie.

En quoi le "sport santé" représente un enjeu économique et financier ?

La pratique d’une activité physique adaptée représente un levier d’amélioration des paramètres de santé crucial pour les personnes qui en bénéficient, mais elle touche aussi à des questions médico-économiques. L’INSERM estime qu’en France, les coûts directs (75 %) et indirects (25  %) de l’inactivité physique sont de l’ordre de 1,3 milliards d’euros. Or, il s’agit d’un élément encore mal internalisé par les décideurs. Certains travaux de recherche plaident en ce sens pour la mise en œuvre d’une évaluation de l’impact socio-économique des politiques déployées dans la stratégie nationale sport santé 2019-2024, afin d’encourager le développement d’actions connexes. De fait, le manque d’évaluations médico-économiques réfrène les pouvoirs publics à investir dans la promotion de l’activité physique. Ainsi, la possibilité de voir l’APA pris en charge par l'Assurance maladie est fortement conditionnée à l’existence d’études permettant de situer le bénéfice de l’APA à la fois pour la santé des patients, mais aussi pour les finances sociales, dans la mesure où elle permettrait d’éviter des prises en charges supplémentaires.

L’INSERM estime qu’en France, les coûts directs (75 %) et indirects (25 %) de l’inactivité physique sont de l’ordre de 1,3 milliards d’euros.

C’est pourquoi nous avons décidé, dans le cadre de l’association Azur Sport Santé, de lancer en 2018 l'expérimentation "As du Coeur" via l’Article 51 - qui permet d’expérimenter des dispositifs innovants afin de motiver leur passage à l’échelle -, dans le but de démontrer l’impact médico-économique et psycho-social d’un programme d’APA remboursé.

Cette initiative s’est déployée dans cinq régions, auprès de plus de 500 patients atteints d’une affection longue durée ou de troubles cardio-vasculaires. Le programme dure cinq mois et a pour but d’accompagner le patient vers une pratique durable et régulière, au-delà du seul horizon temporel du programme d’APA thérapeutique. Cette initiative fait suite à l’étude scientifique du même nom, lancée en 2012, qui a permis de démontrer une économie de 30 % des dépenses de santé grâce au programme d’APA et une meilleure qualité de vie à long-terme pour les patients atteints d’une maladie cardio-vasculaire.

Finalement, quelles sont vos recommandations pour renforcer les liens entre activité physique et santé en France ?

Concernant l’APA, nous plaidons pour qu’elle soit entièrement prise en charge par l’Assurance maladie et ce, de manière indifférenciée entre les différentes pathologies pour lesquelles un intérêt thérapeutique et préventif a été scientifiquement identifié.

Plus largement, il paraît important de pouvoir mettre en évidence l’intérêt médico-économique des initiatives qui promeuvent l’activité physique, afin de mobiliser des investissements importants qui puissent favoriser la pratique régulière d’une activité physique par le plus grand nombre. L’OMS et l’OCDE soutiennent qu’un euro investi dans l’activité physique génère 1,7 euro de bénéfice économique : ce cadre vertueux doit pouvoir embarquer des acteurs dans la formulation d’un modèle économique au bénéfice de la santé, pour assurer son déploiement le plus pérenne et efficace possible.

Il existe à ce titre des exemples étrangers intéressants sur le rôle joué par les mutuelles ou les assurances, notamment en Allemagne. La participation de ces acteurs doit être considérée, au regard de la multiplication des mutuelles en France et de leurs formules de prises en charge de bilans de formes, licences sportives ou du sport sur ordonnance.
 
Enfin, il y a un enjeu de prise de conscience collective et de sensibilisation, qui doit pouvoir toucher le grand public. La dynamique insufflée par les Jeux Olympiques a permis de mettre en lumière le potentiel de l’activité physique et du sport et son saisissement par les pouvoirs publics. Le fait que le sport ait été érigé en Grande Cause Nationale en 2024, à l’origine du message des 30 minutes d’activité par jour, et l’existence d’une stratégie nationale pour le sport santé lancée en 2019, sont à ce titre des signes d’un engagement fort mais qui demeure trop symbolique au regard de tout ce qui peut être investi.

Pour relever le défi, il est impératif de mettre l’activité physique au cœur d’un enjeu national et en particulier, faire de l’Éducation nationale une partie prenante de ce projet : de fait, les jeunes d’aujourd’hui sont les malades et les non malades de demain. Selon l’ONAPS, 37 % des enfants de 6 à 10 ans et 73 % des jeunes de 11 à 17 ans n’atteignent pas les recommandations en matière d’activité physique. L'initiative "Inverser les courbes", une enquête auprès de collégiens développée par le collectif "Pour une France en Forme", prouve pourtant que, si la capacité physique des pré-adolescents ne cesse de baisser, cet affaissement est facilement réversible grâce à la mise en place d’un programme d’entraînement individualisé, consistant à un exercice fractionné réalisé en groupe.

La pratique régulière d’une activité physique doit devenir un réflexe pour tous, au même titre que le brossage des dents ou le lavage des mains. Elle est au cœur de notre hygiène de vie et l’évolution de nos modes de vie ne doit pas se réaliser au détriment de l’activité physique ou, autrement dit, au détriment de notre santé.

Il est impératif de mettre l’activité physique au cœur d’un enjeu national et en particulier, faire de l’Éducation nationale une partie prenante de ce projet.

Copyright image : François GUILLOT / AFP

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