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16/05/2024

Faire de la santé mentale une Grande cause nationale

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Faire de la santé mentale une Grande cause nationale
 Angèle Malâtre-Lansac
Auteur
Déléguée générale de l'Alliance pour la santé mentale

À quelques jours des Assises de la santé de l’enfant et de l’ouverture du Conseil national de la refondation dédié à la santé mentale annoncé par le président de la République, quels leviers pourraient être activés pour répondre à cet enjeu majeur de santé publique? La dégradation de la santé mentale à tous les âges et dans toutes les sphères de la société appelle à une réponse forte et systémique. Jusqu’à ce jour, la prévention, la sensibilisation et l’information en matière de santé mentale ont été largement délaissées. Pour Angèle Mâlatre-Lansac, Déléguée générale de l'Alliance pour la santé mentale, il est temps de faire de la santé mentale une Grande cause nationale, comme elle l'explique dans cette tribune. Ceci permettrait d’atteindre trois objectifs : mieux informer sur les troubles et la santé mentale, prévenir en favorisant les comportements bénéfiques, le repérage précoce et l’accès aux soins et déstigmatiser les troubles psychiques.

Nous avons tous une santé mentale

Selon l’OMS, la santé mentale est un "état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté".

Toute société devrait tendre vers cet objectif. Il n’y a pas de santé sans santé mentale et celle-ci peut s’altérer, temporairement ou dans la durée.

Selon l’OMS, la santé mentale est un "état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté".

Depuis la pandémie de Covid-19, les chiffres alarmants sur la dégradation de la santé mentale des Français se succèdent : au travail où la moitié des salariés se dit en souffrance psychique, à l’université avec 41 % des étudiants qui présentent des symptômes dépressifs (contre 26 % avant la pandémie), à l’école, dans les villes comme en milieu rural, ou encore dans les familles, partout la détresse psychologique semble augmenter. Les tentatives d’explication se multiplient. Ainsi, au-delà des facteurs individuels et biologiques, le contexte géopolitique anxiogène, la crise climatique, la précarité, les réseaux sociaux, les suites du confinement, l’épidémie de solitude, le harcèlement scolaire… sont autant de facteurs évoqués pour expliquer l’explosion des troubles qui touchent chaque année un Français sur cinq.

Des coûts individuels et collectifs majeurs

Pour les 13 millions de Français qui souffrent d’un trouble psychique comme pour leurs proches, la maladie s’accompagne trop souvent d’errance thérapeutique, d’isolement, d’exclusion sociale et professionnelle.

Au-delà des drames individuels, les coûts que font peser les troubles de santé mentale sur notre économie sont majeurs. L’OCDE estime ainsi ces coûts à plus de 4 % du PIB par an, et selon une étude URC ECO-FondaMental les coûts directs et indirects de la mauvaise santé mentale sont évalués à 163 Mds euros par an en France. Chaque année, la prise en charge des troubles psychiatriques par l’Assurance maladie représente son premier poste de dépenses, bien au-delà des maladies cardiovasculaires ou des cancers.

Répondre aux défis de la santé mentale nécessite une approche systémique

Face à cette dégradation rapide, l’urgence d’agir n’a jamais été aussi forte. Les solutions peuvent parfois paraître trop complexes ou lointaines compte tenu de l’état de notre démographie médicale et de la longueur des délais nécessaires avant toute évolution du système de soins. En réalité, nous pouvons agir dès maintenant en adoptant une vision systémique, transversale et graduée, allant de l’information et de la prévention pour tous jusqu’à la prise en charge personnalisée des troubles les plus sévères grâce à la psychiatrie de précision.

Faire de la santé mentale une grande cause nationale

Mettre en œuvre une approche graduée en santé mentale - Agir précocement, accéder au bon soin au bon moment

1) Campagnes d’information, compétences psycho-sociales, formations aux PSSM, lignes d’écoute, MentalTech… (Ensemble de la population : Information, Prévention, Promotion)

2) Médecine générale, psychologues, Sésame, Maisons des adolescents… (1er recours : Prendre en charge les troubles mentaux les plus fréquents)

3) CMP, psychiatrie libérale, CSAPA... (2è et 3è recours : Prendre en charge les troubles sévères et persistants)

4) CRP, Centres experts, CHU… (2è et 3è recours : Prendre en charge les troubles sévères et persistants)

 

Afin d’agir résolument sur l’amont et la prévention à l’instar de ce qu’ont fait de nombreux pays, de larges campagnes d’information et de sensibilisation doivent être menées dans l’ensemble des secteurs (école, monde de la jeunesse, travail, etc.). Cette approche axée sur la prévention et multipartite, portée par la Commission européenne dans sa communication de juin 2023, passe par une communication très large sur la santé mentale.

[...] Une vision systémique, transversale et graduée, allant de l’information et de la prévention pour tous jusqu’à la prise en charge personnalisée des troubles les plus sévères grâce à la psychiatrie de précision.

En effet, et malgré les prises de parole de quelques personnalités et l’intérêt croissant des médias, la santé mentale reste mal connue, stigmatisée au travers des troubles psychiatriques et souvent honteuse. Peu de solutions sont avancées face à l’ampleur des besoins et le fatalisme semble l’emporter. Selon un récent sondage mené par Elabe pour l’Alliance pour la Santé Mentale, un tiers des Français "ne parlerait à personne" de ses troubles s’il en avait et 50 % des personnes touchées le cachent ou ne sont pas entendues. Pour plus du tiers des Français, les troubles psychiques sont synonymes de dangerosité et d’incapacité à travailler ou à mener une vie de famille.

Faire de la santé mentale la Grande cause nationale

Faut-il dès lors baisser les bras et attendre le doublement du nombre de psychiatres par habitant ou la baisse soudaine de la détresse psychologique et des troubles ? Des leviers existent, activables rapidement et s’appuyant sur l’ensemble des innovations et des acteurs de terrain d’ores et déjà mobilisés partout en France.

Dans les années 1980, le cancer était largement stigmatisé. Des campagnes récurrentes et des actions menées par et pour les associations de patients, ainsi qu’un investissement politique fort, ont permis de transformer le regard porté par la société dans son ensemble sur les personnes souffrant de ces maladies, de rendre plus attractive la recherche et de mobiliser davantage de ressources publiques comme privées. C’est cette trajectoire que nous devons emprunter pour les troubles psychiques.

Ce que la France a su faire hier sur le cancer, le sida ou encore l’autisme, avec des impacts structurants, elle peut le faire demain sur la santé mentale.

Faire de la santé mentale la Grande cause nationale (un label existant depuis la fin des années 1970) permettra de diffuser largement des campagnes de sensibilisation et d’information ciblées et de fédérer de nombreux acteurs autour d’une plateforme de discours commune afin de porter un regard d’espoir sur le sujet de la santé mentale, résolument tourné vers la prévention et la destigmatisation. Ce que la France a su faire hier sur le cancer, le sida ou encore l’autisme, avec des impacts structurants, elle peut le faire demain sur la santé mentale.

Regarder au-delà de nos frontières

L’intérêt des campagnes sur la santé mentale a été mesuré à l’international, et de nombreux pays ont mené depuis plus de 15 ans des campagnes sur la santé mentale avec des effets forts lorsqu’elles respectent certains prérequis, et notamment le fait d’être construites sur la durée, avec les personnes concernées par les troubles, de cibler les bonnes personnes et d’être construites autour de principes clés (approche multidimensionnelle, priorité sur le contact avec les personnes concernées par les troubles notamment).

Ainsi, en Angleterre, la campagne Time to Change portée par les deux fondations Mind et Rethink entre 2009 et 2021, a été évaluée par le Kings College de Londres. Cette campagne, qui s’appuie notamment sur l’expérience de la campagne Like Minds, Like Mine menée en Nouvelle Zélande depuis 1997, a touché plus de 34 millions de personnes et a permis de faire évoluer les regards sur les personnes concernées, favorisant ainsi le repérage plus précoce des troubles et le recours aux soins et offrant ainsi la mise en place d’une approche plus graduée.

Le retour sur investissement de telles campagnes a été également étudié depuis plus de dix ans, notamment quant au retour à l’emploi et la hausse de la productivité. La RAND Corporation a ainsi décrit les effets coûts-bénéfices de la campagne basée sur le marketing social menée en Californie dès 2011 et a montré que l’augmentation de la productivité et du taux d’emploi avaient eu des retombées économiques intéressantes en rapportant 36$ de bénéfices par dollar investi pour l’État de Californie.

Informer, prévenir et déstigmatiser : les 3 objectifs à poursuivre

Depuis l’été 2023, une coalition inédite d’acteurs du champ de la santé mentale se structure et se mobilise pour faire de la santé mentale une Grande Cause nationale et organiser une large campagne d’information et de sensibilisation poursuivant trois objectifs :

  • Informer : faire en sorte que chacun puisse mieux comprendre ce qu’est la santé mentale ; apprendre dès le plus jeune âge à identifier les facteurs de risque susceptibles de la mettre à mal et les actions qui permettent d’en prendre soin ; mieux connaître les maladies qui s’y rapportent.
  • Prévenir : mettre en place une véritable politique de promotion de la santé mentale, faire progresser la prévention, développer le repérage précoce et les réponses graduées pour une prise en charge de la souffrance psychique à la hauteur des besoins de notre société, en formant et informant sans relâche.
  • Déstigmatiser : faire évoluer les représentations sur les troubles psychiques pour restaurer l’espoir, en montrant que le rétablissement est possible, que la recherche et les innovations, mais aussi les réponses aux personnes en situation de handicap psychique, peuvent améliorer la vie de ceux qui souffrent de même que la vie de leurs proches.

Une pétition est en ligne appelant les pouvoirs publics à s’emparer de cette cause. Il est temps de refuser la fatalité et d’agir résolument pour la santé mentale !

Une pétition est en ligne appelant les pouvoirs publics à s’emparer de cette cause.

Copyright image : copyright Joel SAGET / AFP

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