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26/06/2024

"Make Europe Great Again" : une présidence hongroise de l’UE entre symboles et périls

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 Blanche Leridon
Auteur
Directrice Exécutive, éditoriale et Experte Résidente - Démocratie et Institutions

La Hongrie de Viktor Orbán s’apprête à prendre, pour les six prochains mois, la présidence du Conseil de l’Union européenne. Une présidence qui inquiète Bruxelles, la Hongrie bloquant régulièrement les décisions prises par les 27, en particulier sur le soutien à l’Ukraine. Dans un contexte marqué par la progression des partis nationaux-populistes en Europe, quelle influence pourrait avoir Orbán dans le jeu européen des prochains mois ? Tentatives de réponses, dans le prolongement de la note de l’Institut Montaigne : Union européenne : portée et limites des nationaux populistes.

Six faces, six couleurs, 54 carrés et un sacré remue-méninges. Quelle image de l’Union européenne Viktor Orbán veut-il véhiculer en choisissant le rubik’s cube comme emblème de sa présidence tournante ? Celle du casse tête bigarré et indémêlable ? Ou celle d’une stimulante complexité, que seuls les joueurs les plus aguerris peuvent résoudre ? À compter du 1er juillet 2024 et jusqu’au mois de décembre, la Hongrie assurera la présidence tournante du Conseil de l’UE. Cette fonction, protocolaire et sans influence politique majeure, s’inscrit néanmoins dans un contexte favorable aux partis nationaux-populistes européens, sortis renforcés des élections du 9 juin, et dont Viktor Orbán est l’un des principaux hérauts. Si l’Europe des six prochains mois ne sera pas dictée par un Orbán qui demeure isolé sur la scène européenne, elle sera inéluctablement marquée de son empreinte et de celle de ses potentiels alliés.

Présidence tournante de l’UE : champ et contraintes

Avant les symboles et leur maniement, il y a les institutions et leur respect. La présidence tournante du Conseil de l’UE en est une : renouvelée tous les six mois, elle répond à plusieurs objectifs que l’Institut Montaigne avait détaillés à l’occasion de la présidence française de 2022. Indépendamment de leur taille et de leur poids démographique, tous les États membres assurent la présidence à tour de rôle - dans une UE à 27, l’occasion se présente donc tous les 13 ans et demi.

La Hongrie s’apprête ainsi, comme l’a fait la France il y a un an et demi, à présider des réunions à tous les niveaux au sein du Conseil et à faire avancer un certain nombre de grands dossiers européens.

Dans une UE à 27, l’occasion se présente donc tous les 13 ans et demi.

Depuis l’adoption du Traité de Lisbonne en 2009, les présidences fonctionnent par trio, afin de garantir l’échange et la continuité d’un semestre à l’autre. Le trio - pour la période actuelle composé de l’Espagne, de la Belgique et de la Hongrie - détermine les objectifs à long terme et établit un programme commun pour dix-huit mois. 

La Hongrie s’apprête ainsi, comme l’a fait la France il y a un an et demi, à présider des réunions à tous les niveaux au sein du Conseil et à faire avancer un certain nombre de grands dossiers européens. Depuis l’adoption du Traité de Lisbonne en 2009, les présidences fonctionnent par trio, afin de garantir l’échange et la continuité d’un semestre à l’autre. Le trio - pour la période actuelle composé de l’Espagne, de la Belgique et de la Hongrie - détermine les objectifs à long terme et établit un programme commun pour dix-huit mois. Chacun des trois États membres élabore ensuite, sur la base de la feuille de route commune, son propre programme semestriel plus détaillé. La feuille de route hongroise doit donc tenir compte de l’avis et des actions des autres États membres, ce qui contraint ses marges de manœuvre et la replace dans le jeu de la collégialité et du compromis européen. 

Compétitivité, sécurité, immigration et intégration des Balkans

Nous ne voulons pas troller, nous aurons une présidence normaleaffirmaient des sources gouvernementales en amont de la présentation de la feuille de route de la Présidence hongroise, le 18 juin dernier. Cette feuille de route joue-t-elle le jeu des institutions européennes, comme l'indiquent ses porte-paroles ? Les priorités affichées vont plutôt dans leur sens : compétitivité, intégration des Balkans, sécurité et lutte contre l’immigration illégale. Dans le détail, la stratégie hongroise prévoit, dans un registre étonnamment consensuelle et en phase avec les priorités d’une Union dont le pays est souvent le mauvais élève, l’adoption par le Conseil de l'accord issu des pistes proposées par le rapport d’Enrico Letta, “Much more than a market”, qui vise à résorber les écarts de compétitivité avec les États-Unis et la Chine.

Son deuxième objectif est le renforcement de l’industrie européenne, de la défense et de l’innovation. Vient ensuite, dans des termes plus clivants et sur un registre moins fédérateur, la lutte contre l’immigration illégale et l’innovation dans les procédures d’asile, le pays proposant d’aller beaucoup plus loin que le Pacte sur la migration et l’asile (les eurodéputés du Fidesz ont voté contre l’ensemble des textes du Pacte, jugés insuffisants et encourageant l’immigration illégale et les passeurs). La Hongrie, très hostile à l’immigration et qui prône une immigration choisie (venant des pays d’Asie notamment), prévoit dans sa feuille de route “des retours plus efficaces et des solutions innovantes pour les procédures d'asile”.

 Les priorités affichées vont plutôt dans le sens du rapport Letta : Compétitivité, intégration des Balkans, sécurité et lutte contre l’immigration illégale

Le pays, pourtant réticent à l’entrée d’une Ukraine en guerre dans l’UE (qui a fini par accepter, sous pression de ses voisins, l'ouverture formelle des négociations d'adhésion), revendique vouloir faire avancer l’élargissement, mais en fonction de critères “basés sur le mérite, équilibrés et crédibles” - formule qui viserait à demi-mot à disqualifier la candidature ukrainienne. Mais c’est surtout l’ouverture vers les Balkans occidentaux, et en particulier la Serbie voisine, que la Hongrie souhaite faire progresser. Trois derniers sujets figurent enfin sur la feuille de route hongroise : la politique de cohésion, la protection des agriculteurs et la démographie.

L'écologie et la protection de l'État de droit, deux priorités de la présidence belge qui s’achèvera fin juin, ne sont pas mentionnées dans la feuille de route hongroise. Avec sa devise "Protéger, renforcer, prévoir", la Belgique avait en effet placé la défense de l'État de droit et la poursuite d’une “transition écologique juste” en tête de ses priorités. Orbán, “démocrate illibéral” revendiqué - c’est lui qui, le premier, a employé cette formule pour s’auto-qualifier lors d’une université d’été réunie le 25 juillet 2014 à Bálványos en Roumanie - fait donc l’impasse sur le respect de l’État de droit et balaie les questions écologiques, souvent décriées par le Premier ministre.

Ce n'est pas la première fois que le pays assure la présidence tournante du Conseil de l’UE. Déjà, en 2011, la Hongrie avait assuré cette fonction au premier semestre, à l’époque où le Fidesz - parti d’Orbán - était toujours membre du Parti populaire européen (PPE), parti dont il s’est auto-exclu en 2021, anticipant une inévitable exclusion par ses membres en raison de son non-respect de l’État de droit.

La présidence hongroise de 2011 coïncidait avec l’émergence des débats et polémiques concernant les atteintes à l’État de droit dans le pays

La présidence hongroise de 2011 coïncidait avec l’émergence des débats et polémiques concernant les atteintes à l’État de droit dans le pays, avec un Fidesz alors tout puissant, grand vainqueur de législatives qui s'étaient tenues en avril 2010 et avaient donné 53 % des voix au parti d’Orbán. La feuille de route de la présidence hongroise de 2011 était axée autour de deux priorités : favoriser l’élargissement et promouvoir un partenariat oriental avec l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie, l’Ukraine et, sous conditions, la Biélorussie.

Entre rubik’s cube et “MEGA” : l’ombre portée de Trump ? 

Revenons au Rubik’s cube et à la lignée dans laquelle la présidence hongroise s’inscrit. Inventé il y a cinquante ans tout juste par le professeur d’architecture hongrois Ernő Rubik, le cube le plus célèbre du monde est accompagné d’un slogan, “Make Europe great again” - slogan dont le message laisse peu de place au doute concernant l’ambition hongroise pour ses six mois de présidence. Si le ministre hongrois des affaires étrangères Janos Boka a réfuté en conférence de presse que ce slogan signifiait plus qu’un simple hommage,  sans filiation directe à la campagne présidentielle triomphante de Donald Trump en 2016, les rapprochements entre les deux hommes et leur proximité idéologique sont indéniables. Fin mai, la conférence des ultra-conservateurs américains d’obédience républicaine, la CPAC, se tenait, pour la troisième année consécutive, dans la capitale hongroise, et réunissait des représentants de l’extrême-droite européenne et internationale. Plus tôt, au mois de mars 2024, au lendemain de sa victoire lors du "Super Tuesday", c’est Donald Trump qui accueillait Viktor Orbán à Mar-a-Lago en Floride pour un congrès visant à renforcer les liens entre conservateurs américains et hongrois. Les deux dirigeants s’entendaient sur les bénéfices qui pourraient découler du retour au pouvoir de Trump en novembre. Quelques jours avant la conférence de presse du 18 juin, l’ancien président américain avait envoyé un message vidéo pré-enregistré où il saluait en Orbán “a great man” et manifestait son soutien aux “patriotes hongrois qui se battent pour les valeurs de la civilisation occidentale”. Orbán de son côté affirme publiquement son soutien à Donald Trump et son espoir que le candidat républicain l’emporte au mois de novembre prochain.

Les deux hommes partagent leur hostilité envers un renforcement du soutien militaire à l’Ukraine. Trump n’était pas étranger au blocage, par le Congrès, de l’enveloppe de 61 milliards de dollars destinés à l'Ukraine (finalement adoptée au mois d’avril). Orbán de son côté bloque inlassablement, depuis 2022, l’aide européenne à l’Ukraine, qu’il utilise comme monnaie d’échange pour obtenir la levée de ses propres sanctions financières. La tenue de l’élection américaine pendant la présidence tournante hongroise n’est, de ce point de vue là, par un élément totalement anodin.

Les deux hommes partagent leur hostilité envers un renforcement du soutien militaire à l’Ukraine.

L’amitié d’Orbán pour Trump se double d’un rapprochement de son pays avec le grand ennemi américain, la Chine de Xi Jinping. Le Président chinois, après son passage en France au mois de mai 2024, a poursuivi sa tournée européenne en Serbie puis en Hongrie, où il a affiché sa proximité avec le leader hongrois. La Chine, devenue le premier investisseur dans le pays en 2023, accompagne la Hongrie dans le développement des ses usines de moteurs et de batteries électriques, Orbán souhaitant faire de la Hongrie le leader européen en la matière. Dernier allié international d’Orbán, l’Israël de Benyamin Netanyahou, dont il loue les valeurs conservatrices et qu’il soutient de manière indéfectible dans le conflit qui sévit à Gaza depuis le 7 octobre - une fois encore à contre-courant de ses alliés européens. Orbán refuse ainsi de voter tout cessez-le-feu depuis le déclenchement de la guerre à Gaza. La Hongrie s’est également engagée à ne pas exécuter un éventuel mandat d’arrêt de la CPI à l’encontre de Netanyahou.

Meloni, Fico, Le Pen : quels alliés pour la Hongrie ? 

Revenons enfin aux partenaires européens d’Orbán, qui pourraient suivre tout ou partie de son agenda pour les six prochains mois.Notons d’abord que la présidence hongroise s’ouvre dans un contexte de fragilisation relative du Fidesz, qui n’a remporté que 44,4 % des voix lors des élections européennes du 9 juin, soit son plus mauvais score depuis l’entrée de la Hongrie dans l’UE en 2004. Ce score s’explique notamment par la montée en puissance très rapide d’un nouvel opposant, lui-même issu du Fidesz dont il fut longtemps l’un des cadres, Péter Magyar, qui a obtenu près de 30 % des voix et 7 sièges d’eurodéputés. Sa principale ligne de campagne était la dénonciation de la corruption qui gangrène le régime d’Orbán et qui aurait accaparé les fonds européens, privant les Hongrois de mannes financières considérables. 

Orbán a également perdu certains de ses puissants alliés européens ces derniers mois

Le parti nouvellement créé reste néanmoins assez proche des positions du Fidesz sur l’UE - il devrait d’ailleurs rejoindre le PPE. Orbán a également perdu certains de ses puissants alliés européens ces derniers mois, c’est le cas de l’ancier Premier ministre Mateusz Morawiecki, chef de fil du PiS polonais, remplacé à l’automne par la plateforme civique de Donald Tusk, libérale et pro-européenne. Son grand allié slovaque Robert Fico a lui aussi connu un revers lors des élections européennes du 9 juin

Quels pourraient être les alliés d’Orbán pour les six prochains mois ? Dans une interview donnée à l’hebdomadaire Le Point quelques jours avant l’élection, le président hongrois avait déclaré que l’avenir de la droite conservatrice en Europe dépendrait de deux femmes : Giorgia Meloni et Marine Le Pen. Sa forte proximité avec la présidente du Rassemblement National s’était notamment manifestée lors de la campagne présidentielle de 2022, où Orbán avait officiellement apporté son soutien à la candidate. Allié également de l’Italienne Giorgia Meloni, le dirigeant du Fidesz se montre très favorable à la constitution d’une vaste coalition des partis d’extrême droite, aujourd’hui séparés en deux groupes distincts - Identité et Démocratie (ID) et les Conservateurs et réformistes européens (CRE), tous deux sortis renforcés des urnes le 9 juin. Les tractations pour une union sont en cours et devraient s’achever lors de la première plénière du Parlement européen le 16 juillet. Alors que les CRE sont en passe de devenir le troisième groupe du Parlement, devant Renew qui a perdu une trentaine de sièges, Orbán pourrait redoubler d’efforts pour accélérer la mise en œuvre de cette coalition. Celle-ci reste néanmoins très difficile à mettre en place, comme nous l’expliquions dans notre note sur le sujet parue au mois de mai dernier.

Avant d’entamer sa présidence le 1er juillet, Orbán s’est rendu chez certains de ses voisins européens, dont l’Italie de Giorgia Meloni. Les deux leaders ont affiché leur entente et leurs accords sur certains sujets, dont l'immigration et la promotion des valeurs conservatrices. Mais l'Ukraine reste un point de désaccord persistant entre Rome et Budapest et c’est l’un des principaux obstacles pour que le Fidesz rejoigne le groupe de Meloni au Parlement européen, le CRE.

Mais l'Ukraine reste un point de désaccord persistant entre Rome et Budapest

Autre raison qui compromet cette alliance : Orban ne peut accepter que son parti siège à côté des Roumains de l'AUR, considérés comme des anti-hongrois. Le chemin vers l’union est donc encore semé d'embûches. 

Lors d'un rassemblement à Budapest pour célébrer la fête nationale hongroise, le 15 mars dernier, Orbán avait lancé sa campagne pour les élections européennes en déclarant que ces élections étaient une chance de défendre la Hongrie et de changer l’Europe de l’intérieur : “Nous marcherons vers Bruxelles et apporterons nous-mêmes le changement dans l'Union européenne”. La présidence hongroise lui laissera-t-elle des marges de manœuvre suffisantes en la matière ? Temporisons en rappelant qu’au cours des prochains mois, les institutions européennes vont se concentrer sur la répartition des postes et sur la nomination de la nouvelle Commission, ce qui réduira l'activité législative. Mais ne sous-estimons pas son impact sur des sujets clés comme l’Ukraine et l’immigration. La France, qui s’est détournée des enjeux européens à l’issue des élections du 9 juin, doit également prendre sa part dans le maintien des grands équilibres sur ces sujets.

 

Copyright : Ludovic MARIN / AFP
Viktor Orbán et Ursula von der Leyen

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