AccueilExpressions par MontaigneMai 68/mars 2023 : le rêve a disparu L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.11/04/2023Mai 68/mars 2023 : le rêve a disparu Société Action publique Vie démocratiqueImprimerPARTAGERAuteur Dominique Moïsi Conseiller Spécial - Géopolitique "68 pas 64". Dans les défilés, qui comme un rituel, rythment désormais nos semaines, certains manifestants - clin d'oeil ironique au passé - ont brandi des pancartes expliquant la nature de leur combat par cette référence au passé. Comme s'ils entendaient se situer dans le prolongement de Mai 68 pour expliquer leur rejet du report de l'âge de la retraite à 64 ans. Espéraient-ils ainsi que la révolution, la "vraie" se réaliserait enfin et que du "Grand Soir" émergerait une société nouvelle, post-capitaliste, plus juste et plus fraternelle ?En fait, n'en déplaise à ces nostalgiques sincères ou pas, tout oppose le Printemps 1968 au Printemps 2023. Tout, sauf l'essentiel peut-être. Dans les deux cas, il s'agit, pour reprendre le titre du livre de Raymond Aron consacré aux événements de Mai 68 de "Révolutions Introuvables".Une agitation joyeuseDouteux privilège de l'âge, j'ai vécu Mai 68, avec la curiosité d'abord, la distance ensuite, d'un étudiant qui s'est retrouvé dans l'analyse de Raymond Aron. J'étais dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne le 30 mai 1968, lors de l'allocution radiodiffusée du Général de Gaulle en direct de Baden. Pouvoir magique de la voix sans l'image, j'ai eu le sentiment immédiat que la fin de la récréation venait d'être sifflée.La révolte est bien là, d'une moindre ampleur certes qu'en mai 1968, mais l'atmosphère me semble infiniment plus sombre. L'explosion d'alors, portée par la jeunesse était le produit de la rencontre entre l'ennui et l'utopie.Je garde de cette, désormais lointaine période de ma jeunesse, des souvenirs tout à la fois précis et confus. Est-ce le simple et inévitable passage du temps, il me semble qu'il y avait en Mai 68 une agitation joyeuse - au-delà des barricades et de la violence bien réelle - que je ne retrouve pas aujourd'hui ? La révolte est bien là, d'une moindre ampleur certes qu'en mai 1968, mais l'atmosphère me semble infiniment plus sombre. L'explosion d'alors, portée par la jeunesse - les ouvriers ne rejoignirent le mouvement que sur le tard - était le produit de la rencontre entre l'ennui et l'utopie.De Gaulle « avait fait son temps »L'atmosphère est aujourd'hui le reflet d'une période inquiète. Le rejet du Général de Gaulle était certes radical alors, mais il n'y entrait pas ces éléments de rage que l'on retrouve aujourd'hui à l'encontre d'Emmanuel Macron. L'homme du 18 juin était rejeté par une jeunesse - qui ne remettait pas en cause son essence de héros de la nation - mais qui trouvait simplement, qu'il "avait fait son temps".La haine qui s'exprime aujourd'hui à l'encontre du plus jeune Président de la Cinquième République est d'une tout autre nature. De Gaulle était en Mai 68 une figure du passé. Macron est l'incarnation d'un présent, sinon d'un futur, rejeté, et cristallise le mécontentement plus encore que ne pouvait le faire le Général de Gaulle. S'il y avait de la haine à l'égard du Général, elle était le fait de l'extrême droite "Algérie Française" et non de l'extrême gauche révolutionnaire. Les réseaux sociaux n'existaient pas et ne véhiculaient pas ces messages anonymes, criminels et odieux, à l'encontre des enfants de telle ou telle personnalité politique.On rêvait d'un autre mondeSur le plan économique et social, Mai 68 est apparu dans le contexte global de ces "Trente Glorieuses" finissantes qui avaient permis l'intégration presque sans douleur des Français d'Algérie. Le mot de chômage n'existait pas ou si peu. En 2023, la baisse certes spectaculaire de son taux, n'a pas suffi à effacer les souffrances et les humiliations des années passées. En Mai 68 les inégalités existaient, mais elles n'avaient pas encore explosé du fait de la mondialisation. Le niveau de richesse de la France était alors l'égal de celui de l'Allemagne. Les Français ne s'étaient pas encore spectaculairement appauvris comme c'est le cas aujourd'hui.En 1968, les jeunes qui construisaient des barricades, rêvaient d'une autre vie, d'un autre monde. Leur volonté de changement pouvait déboucher sur l'absurde, jusqu'à voir dans la Chine de Mao un modèle. Et ce au moment même où l'Empire du Milieu connaissait les pires excès de la Révolution Culturelle. Et le retour à l'ordre, désiré à la fin du mois de mai par une majorité de Français, signifiait la reprise en main du pays par le Général de Gaulle. Aujourd'hui, le retour à l'ordre peut signifier à terme l'arrivée au pouvoir du Rassemblement National. Si tel était le cas, la France deviendrait vraiment "l'homme malade de l'Europe".Aujourd'hui, le retour à l'ordre peut signifier à terme l'arrivée au pouvoir du Rassemblement National. Si tel était le cas, la France deviendrait vraiment "l'homme malade de l'Europe".La menace est devant nousEn 2023, le combat semble s'être focalisé sur le maintien de l'âge de départ à la retraite. Mais la cause profonde de la contestation est bien davantage le rapport au travail. À moins que le vrai problème ne soit devenu avec le temps celui de la centralisation excessive du pouvoir autour d'un seul homme ? Depuis 1962 et l'élection du Président de la République au suffrage universel, le choix institutionnel fait par la France - quelles que puissent être ses qualités bien réelles - ne favorise guère la culture du compromis. Emmanuel Macron a-t-il besoin d'un Premier ministre plus politique qui constitue un véritable fusible ?En matière géopolitique, 2023 est aussi très différent de 1968. La guerre du Vietnam pouvait susciter alors les passions et conduire des dizaines de milliers de jeunes dans les rues pour dénoncer l'impérialisme américain. Mais la guerre était géographiquement lointaine, même si depuis le mois de février avec l'offensive du Têt, elle avait envahi, par le biais de la télévision, l'imaginaire du monde occidental (surtout américain). En 2023 par contre, la guerre est de retour en Europe. En octobre 1962, le monde était passé très près de l'apocalypse nucléaire lors de la Crise des missiles de Cuba. Mais aujourd'hui à l'heure du chantage au nucléaire exercé par Poutine, la menace est devant, et pas derrière nous.L'incompréhension plus que l'admirationMai 68 était certes plus spectaculaire que ne l'est 2023. Mais se pourrait-il que le Printemps 2023 soit, à terme, plus sérieux sinon plus grave pour l'avenir institutionnel, politique, économique et social de la France ?Mai 68 faisait encore rêver une partie de la jeunesse au début des années 1970 lorsqu'étudiant à Harvard, en pleine contestation contre la guerre du Vietnam, je bénéficiais (bien à tort) du prestige qui entourait les "anciens combattants des barricades". Rien de tel en 2023. Le rêve a disparu. Le monde regarde la France, avec plus d'incompréhension que d'admiration. Avec l'aimable contribution des Échos, publié le 10/04/2023Copyright image : UPI / AFPDe jeunes sympathisants gaullistes manifestent le 04 Juin 1968 à Paris, au Trocadéro, leur soutien au président de la République, Charles de Gaulle qui vient de déclarer: "Je ne me retirerai pas". ImprimerPARTAGERcontenus associés 05/04/2023 Moins de pessimisme mais plus de défiance politique : les singularités fran... 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