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13/12/2024

Logement : l’inaction est-elle une option ?

Logement : l’inaction est-elle une option ?
 Lisa Thomas-Darbois
Auteur
Directrice des études France, Experte Résidente
 Erwan Le Brasidec
Auteur
Chargé de projets - Études France

Après la censure du gouvernement et l’annonce par le président de la République du recours à une loi spéciale, le budget 2024 serait reconduit à l’identique en 2025 dans l’attente qu’un nouveau projet de loi de finances soit adopté par le Parlement. Par conséquent, les mesures prévues dans le budget jusqu’alors en discussion ne seront pas mises en œuvre au 1er janvier. Faut-il y voir un moindre mal, alors que certaines de ces dispositions, comme la hausse des frais de notaire, auraient pu accentuer la fragilité d’un secteur déjà en difficulté ? Dans le même temps, les classes moyennes continuent d’éprouver des difficultés croissantes pour accéder à la propriété. La paralysie politique actuelle, qui bloque toute inflexion de la politique du logement, risque donc de renforcer les déséquilibres structurels du marché immobilier : une offre insuffisante de logements accessibles à la propriété et un soutien centré sur le logement social qui ne cible pas les besoins réels des classes moyennes. Alors que le blocage politique pourrait se révéler durable, peut-on se permettre de différer encore une refonte ambitieuse de la politique du logement ?

Lors de la présentation du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, le Gouvernement affichait l’ambition de faire du soutien aux classes moyennes un axe fort de son budget. Dans ce contexte, les dispositions en matière de logement étaient particulièrement attendues. Les classes moyennes, majoritairement exclues du logement social, subissent en effet la hausse constante des loyers du parc privé dans les zones tendues tout en ne disposant pas des ressources nécessaires pour accéder à la propriété. À rebours de ces fortes attentes, les dispositions du PLF relatives au logement ne marquaient pourtant aucune rupture dans les orientations suivies jusqu’ici, malgré l’incapacité de ces dernières à répondre efficacement aux difficultés croissantes des classes moyennes.

Le PLF prévoyait d’abord d’amplifier le financement du logement social, lequel ne profite en réalité pas aux classes moyennes. La mission "Cohésion des territoires" se voyait abondée de 200 M€ de plus (23,8 Md€ au total) afin de financer une hausse du loyer de solidarité - une aide permettant aux ménages modestes bénéficiant des aides personnalisées au logement (APL) de réduire leur loyer. Or si les classes moyennes - situées entre le troisième et le huitième décile des niveaux de revenu - appartiennent en théorie aux 70 % de ménages français éligibles à un logement social, elles en bénéficient peu dans les faits : le parc social est constitué à 90 % de locataires ayant un revenu inférieur au revenu médian. 

Le PLF prévoyait d’abord d’amplifier le financement du logement social, lequel ne profite en réalité pas aux classes moyennes.

D’autres dispositions, introduites par amendement lors des discussions parlementaires, se révélaient également peu favorables aux classes moyennes, à l’image de la hausse de 0,5 point des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) sur les achats dans l’ancien, destinée à renflouer les finances des départements. 

Bien que cette mesure exclût les primo-accédants, elle aurait pu entraver la fluidité des parcours résidentiels des classes moyennes en augmentant le coût d’un changement de bien - dans un contexte où la pression fiscale sur les transactions immobilières en France est déjà parmi les plus élevées de l’OCDE, atteignant jusqu’à 8 % du prix de vente (contre 2 % au Royaume-Uni). 

Plus largement, le PLF perpétuait l’erreur de vouloir amortir les effets de la hausse des prix par des transferts d’argent public, plutôt que de traiter les causes structurelles de cette inflation. Pour encourager l’accession à la propriété malgré la flambée des prix, le projet du gouvernement Barnier prévoyait de prolonger le prêt à taux zéro (PTZ) jusqu’en 2027 et d’en étendre le bénéfice à l’ensemble du territoire. Or cet outil, s’il compense partiellement l’impact de la hausse des prix sur les revenus des classes moyennes, reste inefficace face à l’inflation des coûts du foncier et de la construction. Plus encore, en stimulant la demande sans agir sur l’offre, il aggrave les tensions dans les zones où les prix de l’immobilier sont déjà élevés.

Les mesures présentées dans la version initiale puis discutée du PLF 2025 en matière de logement se contentaient de prolonger des politiques inefficaces, aggravant les tensions sur un marché déjà sous pression sans répondre aux enjeux structurels de l’accès à la propriété pour les classes moyennes.

Un mal pour un bien ?

L’abandon des discussions sur le budget à la suite de la censure du gouvernement a ainsi pu apparaître, à certains égards, comme un moindre mal. Les mesures du projet initial de l’ancien Premier ministre, peu en ligne avec les besoins des classes moyennes, sont abandonnées. 

Pour autant, le PLF 2025 intégrait également des mesures pouvant être pertinentes, comme la suppression de certains avantages fiscaux liés aux locations de courte durée. Actuellement, leur fiscalité avantageuse permet aux propriétaires de déduire des amortissements de leurs revenus locatifs imposables, sans que ces déductions ne soient prises en compte dans le calcul des plus-values lors de la cession du bien. Ce biais fiscal encourage fortement la location de courte durée, exacerbant les tensions sur le marché locatif, particulièrement dans les zones tendues comme les centres urbains et les territoires littoraux. En réintégrant ces amortissements dans le calcul des plus-values immobilières, le PLF visait à réorienter une partie des biens en location courte durée vers le marché locatif classique. Cette mesure aurait pu contribuer à fluidifier le marché immobilier en augmentant l’offre de locations longues dans les zones où la demande excède largement l’offre. D’autres mesures intéressantes étaient prévues au PLF, à l’image de l’amendement adopté au Sénat permettant aux communes de fixer librement les taux des taxes sur les logements vacants.

Le projet de budget n’était donc pas dénué de mesures pertinentes ; toutefois, la présence de propositions peu pertinentes voire totalement contradictoires entre elles - comme la généralisation du PTZ et la hausse simultanée des frais de notaire - a révélé l’absence de toute réflexion d’ensemble et de long-terme sur ce que devrait être une politique du logement prenant en compte les besoins des classes moyennes. Or la paralysie politique risque de retarder encore davantage la prise des réformes nécessaires.

Le coût de l’inaction

Cette inaction, qui risque de se prolonger, est d’autant plus préoccupante que l’inefficacité de l’architecture actuelle de la politique du logement n’a jamais été aussi criante. La Fondation Abbé Pierre estime qu’en 2023, 12,1 millions de personnes sont en situation de fragilité en matière de logement dont 4,2 millions en situation de mal-logement, mais aussi 5,7 millions en effort financier excessif. Après le doublement des dépenses liées au logement entre 1995 et 2017 - quand le salaire médian n’a augmenté que de 30 % -, celles-ci constituent le premier poste de dépenses contraintes des ménages

À cette dégradation structurelle s’est ajoutée, ces deux dernières années, une dégradation de la conjoncture pour les aspirants propriétaires, avec le triplement des taux d’intérêt et la hausse des prix immobiliers. Sur la période, un Français sur cinq a ainsi dû abandonner un projet immobilier - particulièrement chez les plus jeunes. Parmi ceux-ci, trois quart l’ont fait pour des raisons financières. L’apport moyen nécessaire aux primo-accédants pour concrétiser leur projet a augmenté quatre fois plus vite que leur revenu entre 2021 et 2023 (3725€/mois en moyenne, soit 57 % de hausse).

Cette inaction, qui risque de se prolonger, est d’autant plus préoccupante que l’inefficacité de l’architecture actuelle de la politique du logement n’a jamais été aussi criante.

L’accès à la propriété reste pourtant une aspiration centrale des Français : 61 % des non-propriétaires le considèrent comme un objectif majeur, chiffre qui monte à 80 % chez les 18-34 ans.

La situation est particulièrement préoccupante dans les zones tendues, où le déséquilibre entre l’offre et la demande est encore plus significatif que sur le reste du territoire. Or, ces zones constituent de fait les principaux bassins d’emploi et d’attractivité, et les difficultés croissantes d’accès au logement à leur endroit tend à éloigner une partie de la population vers des zones qui répondent moins à leurs besoins et à leurs aspirations, nourrissant des logiques de frustration et d’isolement.

L’horizon de la propriété s’éloigne donc pour une partie de la population. Alors que l'acquisition d'un logement constitue traditionnellement un pilier du parcours social et une sécurité financière non négligeable, les propriétaires accédants supportent des charges financières proportionnellement plus importantes que les locataires du secteur libre, celles-ci n’étant pas contenues par des dispositifs de plafonnement ou d’aides publiques significatives. Le corollaire logique à l’obstruction de cet horizon - au rythme actuel des transactions immobilières, les projections pour l’année 2024 suggèrent une baisse de 25 % en deux ans - est la surcharge d’un secteur locatif libre qui voit ses prix s’envoler toujours un peu plus, et qui contribue par là-même à précariser encore davantage les fragments les plus modestes qui peinent à se maintenir dans le parc privé. Ainsi va le cercle vicieux d’un système qui échoue à penser la continuité entre les différents modes résidentiels

Inclure enfin les classes moyennes dans la politique du logement

Les difficultés en matière de logement ne sauraient être prises en charge par le seul soutien au logement social, au risque d’exclure les classes moyennes. Le parc social, en proie à une pénurie et à une relative immobilité des résidents, peine à faire face à la nette augmentation de la demande - + 7 % en 2023, soit 2,7 millions de ménages. Cela conduit à un ciblage toujours plus resserré à destination des publics les plus fragiles. Les classes moyennes sont renvoyées à un secteur libre lui-même exsangue, et voient le poids du logement dans leur budget devenir insoutenable (31 % du budget des ménages intermédiaires). 

Il importe donc de clarifier la vocation du logement social afin de contrer l’idée qu’une concentration des moyens publics à son endroit suffirait à prendre en charge la problématique du logement, comme le soulignait l’Institut Montaigne dans une précédente note. La priorité accordée au logement social mobilise des financements conséquents, limitant ainsi les moyens disponibles pour agir aux autres points de contrition du marché. Les dispositifs publics, plutôt que de se concentrer sur le seul logement social, pourraient répondre à la possibilité pour les Français d’accéder au logement le plus adapté à leur parcours résidentiel, y compris à la propriété au moment opportun. Plus structurellement, c’est toute la structure du budget des politiques du logement qu’il faut revoir. Axée, outre le logement social, sur les aides au logement, elle suit une logique de subventions aux ménages qui ne permet pas d’aider substantiellement ceux qui en bénéficient tout en participant à l’augmentation des prix du foncier. 

Au global, la concentration des investissements dans le logement social restreint les ressources disponibles pour d’autres segments du marché, tandis que les aides au logement exercent une pression sur le marché locatif privé, limitant par ricochet l’accès à la propriété - au premier chef pour les classes moyennes. Ce double effet aggrave les tensions sur l’offre globale et alimente l’inflation des prix immobiliers. 

Le report de l'adoption du projet de budget doit être vu comme une opportunité de repenser la philosophie globale des politiques du logement. 

Dès lors, le report de l'adoption du projet de budget doit être vu comme une opportunité de repenser la philosophie globale des politiques du logement. Plutôt que de reconduire des mesures insuffisantes et inadaptées centrées sur le logement social et les aides aux locataires, ce délai offre l’occasion de concevoir une stratégie répondant aux besoins des classes moyennes tout en fluidifiant l’ensemble du marché immobilier.

En s’attaquant aux causes structurelles des tensions, notamment l’insuffisance de l’offre et la surenchère des aides locatives, la contrainte politique pourrait aussi constituer l’opportunité d’enclencher de véritables réformes à même de permettre enfin aux classes moyennes de répondre à leur aspiration principale : devenir propriétaires.

Copyright image : Valentine CHAPUIS / AFP

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