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17/04/2025

Les fonds de pension et le financement du long terme en France

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Les fonds de pension et le financement du long terme en France
 Marc Auberger
Auteur
Haut fonctionnaire au ministère de l’Économie et des finances
 Louis de Crevoisier
Auteur
Haut fonctionnaire au ministère de l’Économie et des finances
 Arturo Garcia-Gonzalez
Auteur
Haut fonctionnaire au ministère de l’Économie et des finances

Alors que la situation des finances publiques est de nouveau sous le feu de projecteurs qui lui font mauvaise mine, la France ne devrait-elle pas tirer parti des possibilités de financement considérables offertes par les fonds de pension étrangers, notamment pour son système de retraites ? Comment la diplomatie économique de la France peut-elle les attirer sans pour autant mettre en péril sa souveraineté ? Dans un débat public faussé par la confusion trop répandue entre certains fonds souverains activistes agissant dans une logique stratégique et les fonds de pension investissant dans une pure logique de rendement, cette tribune montre que les capitaux étrangers pourraient, sous condition, s’avérer être les ​financeurs dont la France a besoin, à condition de corriger sa tendance à fragiliser la stabilité des affaires par des décisions de trop court terme.  Par Marc Auberger, Louis de Crevoisier et Arturo Garcia-Gonzalez. 

 Cet article est établi sous la seule responsabilité de ses auteurs.

Les fonds de pension étrangers fascinent autant qu’ils inquiètent : ils sont, pour certains, un modèle à répliquer pour financer notre système de retraite ; pour d’autres, ils sont synonymes de spéculation et de précarisation. Pourtant, ces investisseurs représentent un formidable potentiel largement inexploité pour contribuer au financement du long terme en France, et notamment des infrastructures de la transition écologique. Négliger ce potentiel est d’autant plus regrettable que la France a, jusqu’ici, orienté ses efforts vers les fonds souverains étrangers, notamment du Golfe persique, comme l’illustre le récent sommet sur l’intelligence artificielle de février 2025. Ces acteurs présentent pourtant des risques en matière de sécurité économique en participant aux stratégies d’influence et de captation technologique de leurs États.

Il y a donc urgence, à plus forte raison dans le contexte de guerre commerciale naissante, à réorienter la diplomatie économique française vers les capacités d’investissement considérables, et appelées à croître, des fonds de pension étrangers – notamment européens, canadiens et d’Asie-Océanie – qui sont attirés par le financement des grands projets d’infrastructures, désireux de déployer plus de capitaux en Europe et de décarboner leurs portefeuilles d’investissements. Une autre façon, au fond, d’ouvrir le débat sur des fonds de pension à la française.

Une impasse financière

L’économie française ne peut pas s’autofinancer. Bien au contraire, elle a structurellement besoin d’investisseurs étrangers compte tenu de la faiblesse de l’épargne nationale exprimée par le déficit courant (estimé à 28,1 milliards d’euros en 2023 par la Banque de France), de l’absence de fonds souverains ou de fonds de pension nationaux, ou encore de la faible part des actions détenues par les résidents français. Quoi qu’on en pense, attirer des investisseurs étrangers est par ailleurs un bon calcul économique, car leur présence génère une concurrence accrue dans l’offre de capitaux, ce qui en limite le coût, élargit la base des financeurs de l’économie et renforce la résilience de l’économie en cas de crise. 

Attirer des investisseurs étrangers est par ailleurs un bon calcul économique, car leur présence génère une concurrence accrue dans l’offre de capitaux.

La France fait face à un mur d’investissements massifs les prochaines années, en particulier dans les secteurs alignés avec la transition écologique. Les travaux existants identifient à cet égard, avec de fortes incertitudes, un besoin de l’ordre de 60 à 70 milliards d’euros par an pour atteindre les objectifs climatiques fixés au plan national, dont 30 à 40 milliards d’euros financés par des acteurs privés. 

Une autre approche, centrée sur les besoins dans les infrastructures d’énergie et de transports comptabilisés d’après des annonces publiques aboutit à près de 500 milliards d’euros les quinze prochaines années, incluant les réseaux électriques de RTE (100 Md€) et Enedis (96 Md€), le transport ferroviaire (100 Md€) et plus généralement les infrastructures de transport (220 Md€), et les six nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR2 annoncés en 2022 (67 Md€). Cela sans tenir compte des huit réacteurs nucléaires EPR2 supplémentaires dont l’ordre de grandeur sera la centaine de milliards d’euros. Financer ces infrastructures sera d’autant plus difficile que, dans le contexte de la guerre en Ukraine, les besoins d’investissements sont également immenses dans l’industrie de défense. La loi de programmation militaire 2024-2030 prévoit un besoin de près de 270 milliards d’euros en matière d’équipements, soit plus de 50 % de plus que sur la période 2019-2025.

Nos finances publiques étant exsangues, il est clair que l’État ne pourra que marginalement contribuer à cet effort : la seule solution est donc de recourir à des capitaux privés.  Pour cela, il faudra certainement mobiliser davantage l’épargne européenne, comme le suggère le rapport de Mario Draghi de 2024 sur l’avenir de la compétitivité européenne, notamment à travers l’unification des marchés de capitaux. En complément, il est nécessaire de continuer à attirer les financements d’investisseurs institutionnels étrangers, tels que les assureurs, les mutuelles, les banques, mais aussi les fonds de pension. De fait, les données existantes portent à croire que les fonds de pension étrangers investissent moins en France que chez nos voisins européens, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas notamment. Pourtant, ces investisseurs pourraient être un levier majeur de financement du long terme en France : voyons alors comment.

Des investisseurs de long terme

Les fonds de pension sont des fonds d’investissement constitués en vue de servir les pensions de retraite et les prestations de santé de leurs adhérents grâce à l’investissement de leur épargne. S’il existe des fonds de pension privés, les plus gros acteurs sont des fonds de pension publics, c’est-à-dire constitués par des pouvoirs publics, et qui proposent en général un régime de pensions à prestations définies ("defined benefit pension plans"). Ces fonds se situent pour l’essentiel en Amérique du Nord (54 %) et dans une moindre mesure en Asie-Océanie (26 %)  et en Europe (15 %), dans des pays ayant développé les retraites par capitalisation. Parmi les plus gros fonds au monde, on peut citer par exemple le Government Pension Investment Fund (GPIF) japonais, le National Pension Service (NPS) coréen, le Federal Retirement Thrift Investment Board (FRTIB) et CalPERS aux États-Unis, APG aux Pays-Bas, ou encore le Canada Pension Plan Investments (CPP Investments) au Canada. Début 2025, à eux seuls, ces six fonds gèrent près 4 900 milliards de dollars d’actifs, soit 20 % des actifs sous gestion des fonds de pension publics mondiaux.

Les capitaux que ces investisseurs doivent déployer sont colossaux : les près de 300 fonds de pension publics dans le monde détiennent plus de 25 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion en 2025. Pour se représenter ce montant, il peut être comparé aux 42 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion des compagnies d’assurance dans le monde ou aux 12 700 milliards de dollars de réserves de change mondiales. Plus proche de nous, c’est l’équivalent de quatre fois le stock d’épargne financière des ménages français, évalués par l’Insee à 6 249 milliards d’euros en 2022. Surtout, le vieillissement démographique ne fait qu’accroître leurs capitaux, qui ont été multipliés par plus de cinq depuis le début des années 2000.

Afin de faire fructifier cette épargne, les fonds de pension investissent dans le monde entier sur une large gamme d’actifs, à la fois en actions et en obligations et, dans une moindre mesure, dans des actifs dits "alternatifs" : on estime que près de la moitié des actifs sous gestion (à la fois les investissements en immobilier, en infrastructures, dans des hedge funds et en fonds propres de sociétés non cotées) des fonds de pension publics dans le monde sont investis à en dehors de leur économie domestique. Compte tenu des volumes en jeu, leurs “tickets” – montant de chaque investissement – sont significatifs, de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’euros voire du milliard d’euros. Exigeants et professionnels en termes de gouvernance, sans pour autant être “activistes”, ils investissent souvent en tant qu’actionnaires minoritaires au capital des sociétés qu’ils financent. Ils investissent dans tous les cas avec de fortes exigences de rentabilité et incarnent ainsi l’essence même du capitalisme.

Cependant, ils incarnent aussi, par d’autres aspects, une version raisonnée et durable du capitalisme, puisqu’ils investissent avec un horizon de long terme, souvent sur plus de dix ans, et dans des projets dont le risque est limité. Ils financent ainsi rarement les start-up, et manifestent au contraire une large préférence pour les grands projets d’infrastructures alignés avec la transition écologique, notamment dans l’énergie et les transports. En somme, des investisseurs passifs et patients, désireux de financer la transition écologique, les financeurs parfaits ?

Ils incarnent une version raisonnée et durable du capitalisme, puisqu’ils investissent avec un horizon de long terme, souvent sur plus de dix ans, et dans des projets dont le risque est limité.

Des investisseurs "verts"

Le fait est que les fonds de pension intègrent de façon croissante le changement climatique dans leurs stratégies d’investissements. Moins par conviction que par intérêt, certes, car ils ont bien compris que le changement climatique génère des risques pour leur portefeuille, notamment en termes de dégradation physique des actifs et des valorisations. Mais, s’agissant d’entités publiques, de plus en plus aussi pour répondre à la demande exprimée par leur gouvernement et leurs cotisants de contribuer à la transition écologique. Aux États-Unis, plusieurs États fédérés se sont engagés contre la prise en compte de critères environnementaux par les fonds de pension publics, mais cette situation fait figure d’exception à l’échelle mondiale.

En pratique, les fonds de pension investissent des montants croissants dans des actifs décarbonés, tels que les infrastructures de transport et d’énergie, en même temps qu’ils réduisent progressivement leurs investissements dans les énergies fossiles. Ainsi, la part des infrastructures dans leur portefeuille a doublé entre 2016 et 2022. Cette classe d’actifs présente de nombreux avantages pour ces investisseurs, auxquels elle procure des revenus récurrents sur un horizon de long terme, des rendements réels protégés contre l’inflation, la diversification sur des actifs faiblement corrélés aux marchés, ainsi qu’une prime de non-liquidité.

On peut citer le cas du fonds norvégien Government Pension Fund Global, qui a commencé depuis 2020 à investir dans les infrastructures d’énergies renouvelables non cotées. Certains fonds de pension publics se sont aussi engagés à atteindre des objectifs climatiques ambitieux, à l’instar de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui s’est engagée à atteindre la neutralité carbone de son portefeuille à l’horizon 2050. Il ne faut pas non plus exagérer ce verdissement, car de nombreux fonds continuent d’investir dans des secteurs fortement émetteurs comme les hydrocarbures et leurs annonces en matière d’engagements écologiques n’excluent pas le risque d’écoblanchiment (greenwashing), faute de standards partagés et d’audits indépendants rendus publics.

En Europe, les fonds de pension publics sont particulièrement actifs dans le secteur des énergies renouvelables. C’est le cas en Espagne, en Allemagne et au Royaume-Uni, où des fonds de pension ont financé ces dernières années des projets importants d’énergie photovoltaïque ou éolienne et d’hydrogène vert, pour des montants dont l’ordre de grandeur est souvent le milliard d’euros. À titre d’exemple, le gestionnaire d’actifs de fonds de pension australiens IFM Investors a annoncé 10 milliards de livres sterling d’investissements au Royaume-Uni à l’horizon 2027 lors du Global Investment Summit de 2023, et les fonds de pension australiens Australian Super et Aware Super, à hauteur de respectivement 5 et 8 milliards de livres les années à venir, notamment dans des projets d’énergie et d’infrastructures. De même, le futur plus grand parc éolien offshore d'Allemagne, He Dreiht, est co-financé par AIP Management, un gestionnaire d’actifs danois qui investit pour des fonds de pension nordiques.

Les fonds de pension investissent des montants croissants dans des actifs décarbonés, tels que les infrastructures de transport et d’énergie, en même temps qu’ils réduisent progressivement leurs investissements dans les énergies fossiles.

Par comparaison, la présence de ces acteurs est bien moins marquée en France. Ils constituent, certes, des investisseurs de référence pour les fonds d’infrastructures, contribuant à près de 10 % de leurs levées de fonds, et certains fonds investissent aussi des montants importants en direct. C’est le cas, par exemple, du fonds canadien CPPI au capital d’Aéroports de Paris, et de la CDPQ dans les transports ferroviaires (Alstom, Keolis, Eurostar, etc.) et les énergies renouvelables. Ces quelques exemples sont cependant loin d’être représentatifs car les infrastructures françaises restent dans l’ensemble sous-financées et les fonds de pension publics étrangers n’ont pas investi en France ces dernières années dans les infrastructures à coups de milliards d’euros comme chez nos voisins européens.

Les fonds souverains, de faux jumeaux

Le débat public sur les investissements étrangers en France a souvent été prisonnier de l’activisme des fonds souverains, qui sont à la fois proches mais aussi très différents des fonds de pension publics. Comme eux, il s’agit de fonds d’investissements publics qui gèrent des actifs sur le long terme. Cependant, leurs ressources sont de nature distincte, provenant le plus souvent de la vente d’hydrocarbures ou des réserves de change, ce qui se reflète dans leur localisation ; parmi les dix premiers fonds souverains, deux sont chinois et six proviennent du Golfe persique. Surtout, alors que les fonds de pension sont des investisseurs de marché agissant suivant une pure logique de rendement, les fonds souverains peuvent répondre à d’autres motivations, en investissant dans une logique "stratégique" pour le compte de leur gouvernement. Certains fonds souverains sont en effet le "bras armé" d’États étrangers pour contribuer à leur développement économique, par la captation de savoir-faire technologiques étrangers et la localisation d’entreprises étrangères dans leur pays d’origine. Cela ne concerne pas tous les fonds souverains dans le monde, mais c’est nettement le cas des fonds souverains chinois et du Golfe persique.

Or, depuis bientôt deux décennies, la diplomatie économique française s’est davantage orientée vers ces fonds souverains que vers les fonds de pension publics, avec un tropisme marqué vers les fonds souverains du Golfe. Cette politique a été initiée par le président de la République Nicolas Sarkozy, qui avait déclaré la France "ouverte aux fonds souverains" à l’issue d’une visite d’État dans le Golfe en 2008, puis poursuivie par les présidents successifs jusqu’à aujourd’hui. Dans ce cadre, deux partenariats ambitieux et toujours en cours ont été conclus entre la banque publique Bpifrance et deux fonds souverains du Golfe, le fonds qatarien Qatar Investment Authority (QIA) et le fonds émirien Mubadala. Ce dernier a ainsi investi un milliard d’euros dans le fonds "Lac 1" de Bpifrance, qui finance de grandes entreprises françaises cotées.

Ce faisant, la France a ouvert à ces investisseurs des secteurs critiques pour sa souveraineté. Ainsi, un projet d’usine de semi-conducteurs à Crolles, près de Grenoble, qui a par ailleurs bénéficié de 2,9 milliards d’euros de subventions de l’État français, est cofinancé par une filiale du fonds souverain émirien Mubadala. Plus récemment, à l’occasion du sommet sur l’intelligence artificielle (IA) de février 2025, le même fonds émirien a annoncé plusieurs dizaines de milliards d’euros d’investissements dans des centres de données d’IA en France à travers sa filiale G42, qui avait pourtant été accusée d’espionnage par le passé. Au-delà des questions de souveraineté que ces investissements peuvent poser, cette orientation diplomatique a conduit à faire passer au second plan les fonds de pension publics et leur potentiel pour financer les infrastructures.

Réorienter la diplomatie économique française

Ces exemples confirment la nécessité d’ouvrir l’économie française aux capitaux étrangers sur de nouvelles bases, permettant de financer les besoins de notre économie sans mettre en péril notre souveraineté. Cela suppose, d’une part, de limiter les investissements dans des secteurs critiques comme les nouvelles technologies et l’IA en France de la part des fonds souverains du Golfe persique et chinois, dont les motivations sont davantage stratégiques que financières, et, d’autre part, de construire un portefeuille de projets dans les infrastructures alignés avec la transition écologique et pouvant être ouvert aux fonds de pension publics, notamment européens, canadiens ou australiens. Ces investissements dans des actifs sans innovation de rupture et non délocalisables, donc sans risque en matière de risques de sécurité économique, devraient permettre, en contrepartie, de mobiliser davantage de capitaux nationaux pour financer l’IA, les nouvelles technologies et l’industrie de défense par le biais de capitaux nationaux. En ce sens, cette stratégie permettrait de renforcer notre souveraineté économique. Cette orientation est d’autant plus nécessaire dans le contexte de guerre commerciale naissante, qui doit nous conduire à privilégier des partenaires commerciaux et financiers plus prévisibles que les États-Unis, qui représentent 15 % du stock d’investissements directs étrangers en France.

Les grandes infrastructures en France sont, par leur caractère stratégique, souvent opérées par des sociétés à capitaux publics, EDF ou la SNCF par exemple, ou des établissements publics tels que la RATP et la Société des grands projets (SGP). De ce fait, il s’agit moins d’ouvrir le capital de ces entités à des investisseurs étrangers que de s’appuyer, pour certains projets ciblés, sur des mécanismes associant des financements publics et privés définis au cas par cas. C’est par exemple ce qu’ont décidé de faire les autorités britanniques pour la future centrale nucléaire de Sizewell C, financée en majorité par des capitaux publics et, en complément, par des investisseurs institutionnels privés. Pour cela, un mécanisme de financement spécifique pourrait être mobilisé, le Regulated Asset Base (RAB), qui permettrait aux investisseurs de percevoir des revenus avant que le projet ne soit achevé à travers les factures d’électricité des consommateurs.

Sur ce modèle, la France devrait bien davantage développer le recours à des partenariats entre les capitaux publics et privés pour financer ses infrastructures. Cela suppose en particulier de renforcer l’expertise de l’État en matière d’ingénierie financière, qui se trouve aujourd’hui éclatée entre différentes agences et organismes publics : l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), le Conseil d’orientation des infrastructures (COI), l’Agence des participations de l’État (APE), le service FIN INFRA au ministère de l’économie, la SGP, etc.

Sur ce modèle, la France devrait bien davantage développer le recours à des partenariats entre les capitaux publics et privés pour financer ses infrastructures.

En Australie, l’agence publique Infrastructure Australia est chargée de tenir à jour une liste des projets prioritaires afin de faciliter les investissements privés, en même temps qu’elle conseille le gouvernement sur le développement des infrastructures et les mécanismes de financement. Sur ce modèle, un acteur unique et bien identifié devrait être désigné en France pour constituer un portefeuille de projets d’infrastructures alignés avec la transition écologique, et faciliter leur financement par des investisseurs du long terme tels que les fonds de pension publics étrangers.

Stabilité et attractivité

L’environnement d’affaires est un facteur important de l’attractivité de la France auprès des investisseurs étrangers. Mais, au-delà des caractéristiques de l’environnement d’affaires, le déterminant fondamental de l’attractivité de la France est la stabilité de cet environnement. Les fonds de pension, par leur horizon d’investissement de long terme, y sont particulièrement sensibles. Dans ce contexte, la remise en cause des contrats d'achat d'électricité solaire des installations photovoltaïques en 2020 puis la création de la taxe sur les sociétés concessionnaires d’autoroutes de 2023 ont été perçues par les investisseurs étrangers comme autant de "signaux faibles" d’une fragilisation en France du droit des contrats conclus. Ces deux décisions manifestaient aussi une véritable incompréhension de leurs effets : en rapportant des recettes à l’État à court terme, elles lui en feront perdre bien davantage à long terme en désincitant les investisseurs (l’évaluation préalable du projet de loi de finances initiale pour 2024 avait sobrement conclu, au sujet de la nouvelle taxe sur les sociétés concessionnaires d’autoroutes, à "l’absence d’incidences économiques sensibles".

Ces premiers signaux étaient prémonitoires, car la situation n’a cessé de se dégrader. L’instabilité politique, à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale en 2024, s’est en effet traduite, en miroir, par une instabilité économique chronique. Après sept années de baisse des prélèvements obligatoires, la loi de finances pour 2025 augmente de manière inédite les impôts de production et sur les bénéfices et signe ainsi la fin d’une séquence économique ouverte en 2017. S’il faut donner crédit au président Emmanuel Macron de sa politique d’attractivité auprès des investisseurs internationaux, en s’investissant personnellement dans les éditions successives du sommet Choose France depuis 2018, cette ambition semble cependant s’être fracassée sur les vicissitudes de la vie politique du pays.

Dans ce contexte, il y a urgence à ce que les décideurs politiques nationaux prennent conscience que les mesures économiques qu’ils adoptent, même à titre "exceptionnel" (si un impôt exceptionnel a déjà existé en France), peuvent avoir des répercussions économiques à long terme bien plus pénalisantes que les bénéfices qu’ils espèrent en retirer à court terme. Les investisseurs étrangers n’attendent pas que la France devienne un paradis fiscal, mais simplement que les règles du jeu soient stables et prévisibles à moyen terme.

Pour conclure, et des fonds de pension à la française ?

Le rapport de Mario Draghi de 2024 soulignait que le sous-financement en capitaux de long terme des marchés de capitaux européens par rapport à d’autres grandes économies s’explique en grande partie à cause du sous-développement des fonds de pension en Europe. En 2022, le niveau des actifs des fonds de pension dans l’Union européenne ne représentait que 32 % du produit intérieur brut (PIB), essentiellement aux Pays-Bas, au Danemark et en Suède, alors que ces actifs représentaient 142 % du PIB aux États-Unis et 100 % au Royaume-Uni. 
 

Le développement de la retraite par capitalisation est ainsi présenté par certains comme une solution doublement gagnante, en assurant le financement durable des retraites par des acteurs investissant à long terme dans l’économie française.

Cette question est d’autant plus d’actualité dans le contexte actuel de débats sur la soutenabilité de notre système de retraites par répartition, où les cotisations des actifs ne parviennent plus à financer les pensions des retraités. Le développement de la retraite par capitalisation est ainsi présenté par certains comme une solution doublement gagnante, en assurant le financement durable des retraites par des acteurs investissant à long terme dans l’économie française. Un récent sondage confirme d’ailleurs que, pour assurer la viabilité des retraites, une majorité de Français estime désormais qu’il faudrait développer les fonds de pension (55 %, soit neuf points de plus qu’en 2017). 

Encore faudrait-il objectiver les conséquences économiques d’une telle réforme et bien définir ce qu’on entend par "fonds de pension". 

Quelle que soit l’issue des débats actuels sur les retraites, l’image positive dont semblent bénéficier ces institutions dans l’opinion publique devrait, dès maintenant, nous inciter à nous appuyer davantage sur les fonds de pension publics étrangers afin de financer le long terme en France. Et peut-être, demain, sur des fonds de pension français.

Copyright image : Ludovic MARIN / AFP
La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, et le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique Éric Lombard, à l’Élysée le 16 avril 2025.

 

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