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28/02/2024

Décarbonation : corriger le système des garanties d'origine électriques

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Décarbonation : corriger le système des garanties d'origine électriques
 Maxence Cordiez
Auteur
Expert Associé - Énergie

Depuis 2001, l’Union européenne a mis en place des garanties d’origine pour promouvoir l’énergie verte dans le cadre d’une économie de marché. Selon Maxence Cordiez, qui l'explique dans ce premier papier pour l'Institut Montaigne, le mécanisme est mal pensé et le consommateur peut utiliser de l’énergie estampillée “verte” qui émane en réalité de sources fossiles. Comment comprendre l’inefficacité de ce dispositif censé financer le déploiement des énergies renouvelables ? Comment créer le cercle vertueux à même, non seulement de financer de nouvelles capacités de production électrique faiblement carbonée, mais aussi d’accompagner l’émergence d’un système électrique stable, apte à se passer complètement des combustibles fossiles qui lui apportent aujourd’hui une large part de sa flexibilité ?

Le mécanisme de garantie d’origine de l’électricité - conçu pour soutenir le développement des énergies renouvelables - sert de facto à tracer l’électricité renouvelable jusqu’aux consommateurs, permettant aux fournisseurs de proposer des contrats d’électricité "100 % renouvelable" à leurs clients. Ce système, défini dans la directive européenne sur les énergies renouvelables récemment révisée, contient cependant plusieurs failles présentant le double inconvénient de mal servir le déploiement des énergies renouvelables (EnR) et de tromper le client en permettant de qualifier de "renouvelable" de l’électricité issue en pratique de n’importe quelle source d’énergie (y compris fossile). Ce dispositif constitue ainsi une menace pour les objectifs de décarbonation européens, ce qui devrait inciter les pouvoirs publics à le corriger rapidement.

Une double faille, temporelle et spatiale, sape le mécanisme garantissant l’origine de l’électricité

Des garanties d’origine (GO) peuvent être générées en même temps qu’est produite de l’électricité d’origine renouvelable. Ce système a été conçu comme un moyen de financement complémentaire des énergies renouvelables par les consommateurs. En souscrivant un contrat de fourniture d’électricité renouvelable, un consommateur achète autant de garanties d’origine qu’il consomme d’électricité, contribuant ainsi en théorie à financer le déploiement de capacités EnR.

Une fois générées, GO et électricité sont échangeables indépendamment l’une de l’autre.

Une fois générées, GO et électricité sont échangeables indépendamment l’une de l’autre. Alors que l’électricité doit être transmise et consommée en temps réel, les garanties sont valables 1 an en Europe.

Elles permettent donc de servir de stockage virtuel au caractère renouvelable de l’électricité, à défaut de pouvoir stocker l’électricité renouvelable en elle-même. Il est ainsi possible de qualifier de "renouvelable" de l’électricité consommée en milieu de nuit grâce à des garanties d’origine issues d’une production solaire photovoltaïque. L’électricité en question n’est alors évidemment pas produite par des panneaux solaires photovoltaïques mais bien par les autres moyens de production – y compris fossiles – alimentant le réseau à ce moment-là.

La France a réduit à un mois la durée de validité des garanties d’origine au 1er janvier 2021. Ce pas de temps reste cependant bien trop large pour assurer la synchronicité entre production électrique renouvelable et consommation. Il serait cependant complexe d’aller plus loin à l’échelle nationale pour des raisons de compétition intra-européenne : le système de GO doit être rectifié au niveau européen.

Outre la faille temporelle, les garanties d’origine sont échangeables indépendamment des capacités d’interconnexion entre les pays. Cette faille géographique éloigne encore ce mécanisme de la réalité physique du fonctionnement du système électrique. À titre illustratif, l’Islande ne possède aucune interconnexion électrique avec le continent européen. Elle est pourtant intégrée au marché des garanties d’origine.

De ce fait, un consommateur européen peut consommer de l’électricité certifiée « renouvelable » grâce à des GO produites en Islande, même s’il est rigoureusement impossible que l’électricité qu’il consomme provienne physiquement d’Islande…
Ce mécanisme – sous prétexte d’aider à financer les énergies renouvelables – permet donc de qualifier de l’électricité issue en pratique de n’importe quelle origine, y compris fossile, de "renouvelable". Elle constitue donc une tromperie pour le consommateur, s’apparentant à de l’écoblanchiment.

Ce mécanisme – sous prétexte d’aider à financer les énergies renouvelables – permet donc de qualifier de l’électricité issue en pratique de n’importe quelle origine, y compris fossile, de "renouvelable".

Un outil en l’état peu efficace pour financer les énergies renouvelables

Si le mécanisme de garantie d’origine de l’électricité a initialement été conçu comme un moyen de soutien aux énergies renouvelables, deux paramètres inhibent sa capacité à servir un tel objectif.

Le premier réside dans l’absence, mentionnée précédemment, de relation entre les échanges internationaux de garanties d’origine et les interconnexions électriques entre les pays concernés. Les échanges de GO n’étant pas contraints par la réalité physique des capacités d’interconnexion, certains pays noient le marché européen, ce qui a pour effet d’entraîner l’effondrement du prix des GO. C’est notamment le cas de la Norvège. Son bouquet électrique déjà renouvelable à 99 % (89 % hydraulique et 10 % éolien à terre) n’incite pas la population à demander des garanties d’origine pour une électricité qu’elle sait être renouvelable physiquement. Les garanties d’origine norvégiennes sont donc vendues sur le marché européen, qu’elles inondent, permettant ainsi à des consommateurs d’autres pays de prétendre au caractère renouvelable de l’électricité qu’ils consomment (à défaut qu’elle le soit physiquement). Ironiquement, le consommateur norvégien n’ayant pas demandé de garanties d’origine n’est pas censé pouvoir prétendre consommer de l’électricité renouvelable. Réglementairement, son électricité est alors celle du bouquet résiduel, c’est-à-dire ce qu’il reste une fois les GO vendues, soit une électricité à 70 % d’origine fossile en 2022…

Le second paramètre limitant l’intérêt des GO pour financer les infrastructures renouvelables, couplé au point précédent, découle de la prédominance des barrages hydrauliques déjà amortis dans les émissions de GO. Si le prix des garanties d’origine a significativement augmenté en 2021-22, il est aujourd’hui retombé à près de 1€/MWh, comparable à son niveau d’avant-crise. Ce niveau de prix est très insuffisant pour constituer une aide sensible au développement de projets d’énergies renouvelables.

Le mécanisme actuel des GO dissuade les efforts de flexibilisation du système électrique

La validité d’un an des GO induit une forme de tromperie vis-à-vis du consommateur quant aux conditions de mise en œuvre d’un approvisionnement électrique exclusivement renouvelable. En effet, cette caractéristique des GO conduit l’usager à croire qu’un système 100 % renouvelable est possible sans surcoût (pour investir dans du stockage) ni contrainte d’adaptation de la demande à l’offre. Or cette absence de surcoût et de contrainte s’explique par le fait que le consommateur ne consomme pas dans la réalité de l’électricité renouvelable à tout moment.

Politiquement, ce message est problématique car il incite à opter pour un système électrique 100 % renouvelable en masquant les principales difficultés économiques et sociales liées à sa mise en œuvre

Politiquement, ce message est problématique car il incite à opter pour un système électrique 100 % renouvelable en masquant les principales difficultés économiques et sociales liées à sa mise en œuvre. Le mécanisme actuel de GO dissuade également les efforts de flexibilisation du système électrique, un impératif pour accompagner le développement de l’énergie solaire et éolienne ainsi que le déclin des énergies fossiles. Cela présente une double menace pour le système électrique.

Menace concernant la décarbonation car en l’absence d’efforts de flexibilisation en matière de demande et de stockage, le système conservera une dépendance à des centrales thermiques fossiles pour équilibrer l’offre et la demande. Menace également pour la sécurité d’approvisionnement électrique car les États européens ferment des centrales à charbon au titre de leurs engagements climatiques, sans remplacer le service de flexibilité qu’elles apportent par des progrès en matière de stockage et de décalage de la demande.

Comment corriger le système des garanties d’origine ?

S’il constitue aujourd’hui un outil d’écoblanchiment institutionnel, le système de garantie d’origine de l’électricité pourrait être corrigé afin de contribuer à la décarbonation de long terme du système électrique et à l’intégration massive d’électricité éolienne et solaire photovoltaïque (lesquelles figurent parmi les outils indispensables à la décarbonation du bouquet électrique européen).

Limiter les échanges internationaux de garanties d’origine aux capacités d’interconnexion permettrait d’assécher le marché et de faire remonter le prix des garanties d’origine afin que celles-ci aident véritablement à financer le développement de capacités de production bas carbone en Europe.

Réduire progressivement la durée de vie des garanties d’origine jusqu’à une heure créerait une incitation pour les fournisseurs d’électricité à mettre en œuvre des moyens de flexibilité, qu’il s’agisse d’investissements dans du stockage ou de contrats incitant leurs clients à décaler leur demande. En effet, si les GO ne sont valides qu’une heure, il sera beaucoup plus aisé d’accéder à des GO solaires en milieu de journée que la nuit. La certification du caractère renouvelable de l’électricité sera donc moins coûteuse à midi, ce qui créera un signal prix favorable à la flexibilisation du système électrique.

En internalisant les coûts de flexibilité, ce mécanisme corrigé permettrait en outre d’optimiser économiquement le système électrique. Ainsi, une source d’énergie renouvelable A dont les coûts de production sont inférieurs à une source d’énergie renouvelable B aura tendance à être développée en priorité. Cependant, si A produit en déphasage par rapport à la demande, contrairement à B, et que cela induit des coûts de flexibilisation compensant l’écart des coûts de production, des GO valides une heure inciteront à investir en priorité dans B car son développement sera économiquement favorable à l’échelle du système électrique.

Enfin, à capacités de production inchangées, flexibiliser le système électrique permettrait également une optimisation économique et environnementale. En période de faible demande et/ou de fort ensoleillement/vent, il arrive qu’il faille réduire la puissance du parc nucléaire voire écrêter la production solaire/éolienne, avant de démarrer une centrale à gaz quelques heures plus tard.

En internalisant les coûts de flexibilité, ce mécanisme corrigé permettrait en outre d’optimiser économiquement le système électrique.

Un système plus flexible permettrait de tirer davantage parti de l’électricité bas carbone lorsqu’elle est disponible, de manière à limiter le recours aux centrales fossiles – chères et polluantes – à d’autres moments.

Au-delà de la simple correction, une amélioration ?

Allons plus loin, le système des garanties d’origine pourrait devenir un véritable outil de traçabilité, un rôle qu’il assume déjà de fait, bien qu’improprement, aujourd’hui. Il conviendrait pour cela de l’ouvrir à tous les moyens de production d’électricité (y compris nucléaire et fossiles), en rendant la génération de GO et leur transmission jusqu’au client final obligatoire pour toutes les sources d’énergie à des fins de transparence. Dans cette hypothèse, un consommateur qui ne demanderait pas de GO bas carbone se retrouverait par défaut avec les GO fossiles résiduelles. De cette manière, il se trouverait incité à demander des garanties d’origine bas carbone et contribuerait à accroître leur contribution au financement de la décarbonation du système électrique.

En conclusion, le fonctionnement actuel des GO électriques trompe le consommateur sur les conditions de mise en œuvre d’un système 100 % renouvelable, et dessert l’intégration des énergies renouvelables en dissuadant la flexibilisation du système électrique. Ces dysfonctionnements ne sont cependant pas des fatalités et différentes évolutions permettraient de corriger et améliorer ce système. C’est pourquoi il est essentiel que l’Union européenne s’y attelle au plus tôt, dès que le prochain parlement et la nouvelle commission seront installés.

Copyright image : John MACDOUGALL / AFP

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