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16/11/2023

Le retour de David Cameron : coup de génie ou maladresse ?

Le retour de David Cameron : coup de génie ou maladresse ?
 Georgina Wright
Auteur
Directrice adjointe des Études Internationales et Expert Résident

La nomination de David Cameron au ministère des affaires étrangères par le premier ministre Rishi Sunak est un pari politique risqué et surprenant.

Ce choix s’inscrit dans une stratégie qui fait la part belle à l’international et tente de rassembler le parti conservateur à un an des prochaines élections générales. Faut-il s’attendre à un changement de priorités ? Comment cette nomination est-elle accueillie par les Britanniques ? Quel signe est envoyé à l’Union Européenne et à la France en particulier ? Réponses avec Georgina Wright.

Nouvelle inattendue : l’ancien Premier ministre David Cameron, qui avait quitté ses fonctions à la suite du référendum sur le Brexit en juillet 2016, fait son grand retour au sein du gouvernement britannique, comme ministre des Affaires étrangères. Sa nomination s’inscrit dans le cadre d’un remaniement ministériel consécutif au limogeage de Suella Braverman, ancienne ministre de l’Intérieur, dont les récentes critiques à l’égard de la police ont été jugées excessives. Elle est remplacée par James Cleverly, ancien ministre des Affaires étrangères en fonction depuis septembre 2022, qui, à son tour, cède sa place à David Cameron. Il est prévu que ce remaniement se poursuive jusqu’à la fin de la semaine.

Quel regard porter sur le retour de David Cameron sur la scène politique britannique ? Certains y voient une décision encourageante. Il est un visage familier du public, aussi bien dans son pays qu’à l’étranger, il bénéficie d’un vaste réseau international forgé au cours de ses six années à la tête du gouvernement, de 2010 à 2016. Son expérience inclut une connaissance approfondie de l’Europe grâce à sa participation à plusieurs Conseils européens, ainsi qu’une familiarité avec le parti démocrate aux États-Unis, où il a collaboré avec Barack Obama.

Rishi Sunak nourrit secrètement l’espoir que le retour de Cameron insufflera un nouvel élan à l’aile centriste du parti conservateur, qui continue de le soutenir.

Certains soulignent également des parallèles historiques : la dernière fois qu’un Premier ministre britannique a réintégré le gouvernement pour occuper le poste des Affaires étrangères remonte à 1973, dans le contexte de la gestion de la crise au Moyen-Orient. Sur le plan intérieur, le Premier ministre Rishi Sunak nourrit secrètement l’espoir que le retour de Cameron insufflera un nouvel élan à l’aile centriste du parti conservateur, qui, contrairement au reste du parti, continue de le soutenir.

Cependant, pour d’autres, ce retour est perçu comme l’acte désespéré d’un premier ministre dont la réputation est en chute libre. La réputation de David Cameron est, elle aussi, mitigée, de nombreux Britanniques ne lui ayant toujours pas pardonné d’avoir orchestré, puis perdu, le référendum sur le Brexit. D’autres se méfient de ses orientations politiques. Il croyait pouvoir persuader ses homologues européens d’accorder davantage d’exemptions européennes au Royaume-Uni, mais cette tentative s’est soldée par un échec. Sa politique d’ouverture envers la Chine, autrefois qualifiée de Golden Era, a mal vieilli.Le gouvernement s’efforce aujourd’hui de mettre fin aux investissements chinois massifs dans les infrastructures, les télécommunications et les centrales nucléaires britanniques encouragé par le duo Cameron-Osborne. Plusieurs scandales ont émergé après son départ de la scène politique, notamment l’Affaire Greensil. Bien qu’une enquête ait conclu que l’ancien Premier ministre n’avait pas enfreint les règles encadrant le lobbying, cela a néanmoins entaché sa réputation. 

La nomination de David Cameron est-elle un coup de génie ou une tentative désespérée de la part du Premier ministre ? À un an des prochaines élections générales britanniques, c’est la réputation de Rishi Sunak qui pourrait en pâtir. Une perspective peu favorable pour un parti au pouvoir depuis 14 ans et déjà largement distancé dans les sondages.

La nomination de David Cameron est-elle un coup de génie ou une tentative désespérée de la part du Premier ministre ?

Les motivations derrière le choix de Rishi Sunak

Il est évident qu’au sein des militants conservateurs, l’absence de David Cameron depuis 2016 a progressivement créé un vide. Il a toujours joui d’une popularité supérieure à celle de son parti, et même plusieurs années après son départ, il conserve une popularité plus importante que Rishi Sunak. Son départ est regretté tant dans les bastions conservateurs qu’à la City de Londres.

Comment expliquer le choix de Rishi Sunak ? L’histoire récente démontre que réintégrer des poids lourds peut être une stratégie gagnante. Lorsque Gordon Brown a demandé à Peter Mandelson, ancien ministre et "spin doctor" du parti travailliste, de quitter son poste de Commissaire à Bruxelles pour rejoindre son gouvernement, cela s’est avéré être un succès. Le parti travailliste n’a peut-être pas remporté l'élection, mais a évité la défaite cataclysmique que redoutaient de nombreux militants de gauche. 

Ensuite, il y a la dimension internationale. Rishi Sunak manifeste peu d’intérêt pour la politique étrangère. Toutefois, dans le contexte mondial actuel, le Royaume-Uni ne peut envisager un désengagement de la scène internationale. Le Premier ministre a probablement cherché à nommer une personnalité bénéficiant d’une expérience internationale, dotée d’un réseau solide et d’une communication claire et diplomatique. Comme le suggère The Economist, le charme de Cameron réside peut-être dans le fait que la forme dissimule le fond, tant dans les décisions prises pendant son mandat de Premier ministre que dans ses activités de lobbying depuis.

Le charme de Cameron réside peut-être dans le fait que la forme dissimule le fond.

La proximité entre David Cameron et la Chine, qui explique la réception positive de sa nomination à Pékin, pourrait également témoigner d’une stratégie du Premier ministre britannique visant à prévenir une perte significative d’influence en Chine, à l’heure où les États-Unis mais aussi l’Australie, organisent des rencontres diplomatiques de haut niveau avec les dirigeants chinois.

Quelle orientation pour la politique étrangère ?

Le contexte géopolitique a considérablement évolué depuis que David Cameron a quitté ses fonctions.

Il est peu probable que la politique étrangère britannique soit bouleversée par l’arrivée de Cameron. La mise à jour de la Revue Intégrée cette année, qui énonce les grands pans stratégique du pays, continuera de s’appliquer : une Grande-Bretagne engagée dans la sécurité européenne et active dans l’Indopacifique, notamment à travers le pacte AUKUS, le pacte stratégique militaire entre le Royaume-Uni, l’Australie et les États-Unis conclu en septembre 2021. 

James Cleverly, en fonction depuis un an, a réussi à reconstruire les relations avec ses homologues européens après les années de négociations du Brexit. Il entretenait une relation de confiance avec son homologue française, Catherine Colonna, qu’il connaissait déjà lorsqu’elle occupait le poste d’Ambassadrice de France à Londres. Cameron cherchera à capitaliser sur ces liens et à renforcer les relations extra-européennes.

Cependant, les plus grandes critiques pourraient venir de ses concitoyens. Les liens entre David Cameron et la Chine se sont poursuivis bien après son départ du gouvernement, en rupture avec la stratégie actuelle du gouvernement qui tente de mettre un peu de distance avec Pékin. Politico a révélé que cette année encore, l'ex-Premier ministre continuait à plaider en faveur de projets d’infrastructures chinoises dans l’Indopacifique. Il a également brièvement présidé le fonds d’investissement Royaume-Uni - Chine - une décision qui a été directement critiquée par la Commission des renseignements et de la sécurité de la Chambres des Communes. Ses premiers mois seront donc scrutés de près.

Malgré cela, la France devrait se réjouir de sa nomination, ainsi que de celle de James Cleverly en tant que ministre de l’intérieur. David Cameron apprécie et connaît la France, ayant présidé plusieurs sommets franco-britanniques. Il sera en faveur du rapprochement, ce qui est positif compte tenu des défis à l’Est de l’Europe, dans le Sahel mais aussi au Moyen-Orient.

David Cameron apprécie et connaît la France. [...] Il sera en faveur du rapprochement, ce qui est positif.

Un rôle amoindri pour la Chambre des Communes

C’est surtout son rattachement à la House of Lords qui semble poser problème.

Le gouvernement britannique tire sa légitimité du fait qu’il est redevable devant le Parlement britannique, et en particulier devant la Chambre des communes, seule chambre élue au suffrage universel. Cela veut dire qu’un ministre-député peut être convoqué à n’importe quel moment pour répondre aux questions des élus, à condition, bien sûr, qu’il (ou elle) soit également un député. En revanche, pour les ministres issus de la House of Lords ou de la société civile, le processus diffère : ils peuvent seulement comparaître devant les commissions parlementaires spécialisées de la Chambre des communes. Les postes les plus importants au sein du gouvernement sont généralement occupés par des députés : le poste du premier ministre, du Chancelier de l'Echiquier (Ministre des Finances), ministre de l’intérieur et, bien sûr, le ministre des affaires étrangères.

Cette situation pourrait s’avérer particulièrement problématique dans le contexte actuel extrêmement mouvant sur la scène internationale. Des décisions majeures en matière de politique étrangère doivent être prises. Le Speaker de la House of Commons, Sir Lindsay Hoyle, a ainsi déclaré lundi 13 novembre dans une adresse aux députés "Compte tenu de la gravité de la situation internationale actuelle, il est particulièrement important que l’ensemble de cette Assemblée (c’est-à-dire tous les députés, quelles que soient les commissions auxquelles ils appartiennent) soit en mesure d'examiner efficacement le travail du bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth".

Dans le cas de David Cameron, seuls les membres d’une commission des affaires étrangères ou de sécurité auront la possibilité de l’interroger. Il ne pourra pas, non plus, assister au débat hebdomadaire "Prime Minister’s Question Time", entre le Premier ministre et le Chef de l’opposition, Sir Keir Starmer. Bien entendu, il peut être appelé à tout moment devant la House of Lords mais ces débats ont tendance à être moins suivis du grand public pour le simple fait que ces membres sont nommés, plutôt qu’élus. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles de plus en plus de Britanniques appellent à une réforme de la House of Lords.

Pour Rishi Sunak, la nomination de David Cameron constitue un pari risqué. Le temps dira s’il s’agit d’un coup de génie, ou d'une maladresse.

Image copyright : Ben Stansall / AFP

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