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18/10/2023

Giorgia Meloni, un an après

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Giorgia Meloni, un an après
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

Le 22 octobre 2022, le gouvernement le plus à droite et le plus eurosceptique que l'Italie avait connu depuis 1946 prêtait serment à Rome. Succédant au gouvernement de Mario Draghi, il suscitait la forte inquiétude des démocraties européennes. Un an après, il semble que la catastrophe redoutée n'ait pas eu lieu et les institutions italiennes sont toujours en place. Quel bilan peut-on dresser de cet anniversaire ? Dans le contexte de la récente perte de l'allié polonais - avec l’échec du PiS aux législatives du 15 octobre - et des désaccords avec la Hongrie de Viktor Orban sur la ligne ukrainienne, face aux difficultés économiques, la notabilité et la crédibilité de Giorgia Meloni pourront-elles encore tenir ?

Un relatif succès

D’un côté, la Présidente du Conseil des ministres peut se déclarer assez satisfaite. Elle a dissipé une partie de la méfiance de Bruxelles, des capitales internationales, des décideurs et des milieux financiers. Ne disposant d'aucune marge de manœuvre économique à cause de l'état des finances publiques, ses orientations sont globalement en phase avec les principales orientations de la Commission. En outre, l'exécution du plan national de relance et de résilience (PNRR) se poursuit malgré des déboires dus aux pesanteurs et à l'inefficacité de l'administration publique

L'exécution du plan national de relance et de résilience (PNRR) se poursuit malgré des déboires dus aux pesanteurs et à l'inefficacité de l'administration publique. 

Giorgia Meloni se targue d'une prévision de croissance de 0,8 % pour 2023 (+0,1 par rapport à la moyenne de la zone euro), d'un niveau de chômage de 7,4 %, le plus bas depuis 2009, d'une inflation en diminution (5,3 % en septembre). Les taux d'écart à dix ans avec l'Allemagne s'avèrent inférieurs à ceux de l'an dernier alors que, durant la campagne électorale de l'été 2022, l'opposition annonçait leur envolée en cas de victoire de la coalition de droite.

Frères d'Italie, le parti de Giorgia Meloni, n'a pas manqué de glorifier l'action de sa dirigeante en éditant une brochure de 32 pages abondamment illustrée et intitulée "L'Italie gagnante. Une année de résultats. Le gouvernement Meloni est en train de faire repartir l'Italie". Pour des motifs non dénués d'arrière-pensée dans la perspective de l'après scrutin qui désignera le nouveau Parlement de Strasbourg, la cheffe de l'exécutif s'évertue à nouer une bonne relation avec Ursula von der Leyen. Son soutien à l'Ukraine ne s'est pas démenti malgré les réticences de ses alliés, la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia, le parti fondé par Silvio Berlusconi et dirigé actuellement par le ministre des affaires étrangères Antonio Tajani. Elle maintient sa position alors qu'une majorité d'Italiens désapprouve l'envoi d'armes par Rome tout en se déclarant en faveur de l'Ukraine. Giorgia Meloni s’est rangée immédiatement du côté d’Israël après l'attaque du Hamas, le 7 octobre dernier. Admirative de Donald Trump lorsqu'il était à la Maison blanche, elle a établi un rapport constructif avec le Président Joe Biden, confirmant de la sorte le traditionnel engagement atlantiste de l'Italie. Pour la plus grande satisfaction de Washington, elle a décidé d'abandonner l'adhésion de l'Italie au projet chinois des routes de la soie. En effectuant trente-sept voyages à l'étranger en douze mois (sans compter ceux à Bruxelles pour les Conseils européens), elle a assis sa crédibilité internationale et voulu affirmer la présence de l'Italie au niveau mondial. Si la popularité de son gouvernement enregistre un léger fléchissement, la sienne reste élevée d’autant plus aisément que l’opposition est divisée et que ses leaders, Elly Schlein pour le Parti démocrate et Giuseppe Conte pour le Mouvement 5 étoiles, en compétition entre eux pour assurer la prééminence de leurs formations respectives, n'arrivent pas à la défier.   

Un bilan assombri par les inquiétudes sociales et économiques 

D'un autre côté, son bilan paraît plus mitigé. Certaines données inquiètent l’Union européenne et les investisseurs financiers. La dette publique, fut-elle détenue majoritairement par les Italiens, s'élève à 142,9 % du PIB – la deuxième après celle de la Grèce dans la zone euro. Selon le gouvernement, le déficit atteindra 5,3 % (contre 8 % en 2022) d'ici la fin de l'année et la croissance s'avère inférieure aux estimations du printemps dernier qui permettaient au gouvernement de claironner que l'Italie se portait mieux que l'Allemagne et la France. 

L'annonce d'une taxation des super profits des banques a irrité les décideurs économiques en Italie et en Europe, contraignant le gouvernement à réduire son montant. La suppression du revenu de citoyenneté, équivalent de notre RSA, remplacé par une aide plus restrictive aux familles pauvres, pourrait, lorsque cela entrera en application au début de l’année prochaine, provoquer le mécontentement de ceux qui en bénéficiaient, surtout dans le sud du pays. Le refus de l'instauration du salaire minimum demandé par la confédération syndicale de la CGIL, le Parti démocrate et le Mouvement 5 étoiles, risque de décevoir une partie de l'électorat populaire du Giorgia Meloni.

La croissance s'avère inférieure aux estimations du printemps dernier qui permettaient au gouvernement de claironner que l'Italie se portait mieux que l'Allemagne et la France.

Celui-ci se montre extrêmement préoccupé par la baisse de son pouvoir d’achat malgré les aides aux plus faibles engagées par le gouvernement - un million 300 000 familles composées de trois personnes et dont le revenu annuel ne dépasse pas 15 000 euros sont concernées. Si, globalement, le chômage est contenu, celui des jeunes de 15 à 24 ans s'élève à 21,3 % et le taux est bien plus haut dans le Mezzogiorno (au sud de la péninsule). En revanche, des allégements fiscaux avantagent les commerçants et artisans, ces professions autonomes, comme on les désigne en Italie, qui constituent une partie de l'électorat de la droite, tout comme l'assouplissement des contrats d’embauche satisfait les patrons des petites et moyennes entreprises. Sur l'immigration, Giorgia Meloni a enregistré son plus grand échec. Dans l'opposition, elle promettait de stopper les vagues de migrants en recourant à un blocus naval. Or, depuis le mois de janvier et jusqu’à ce début d’automne, 123 000 personnes contre 70 000 en 2022 ont débarqué sur les côtes italiennes. Malgré les déclarations tonitruantes de Giorgia Meloni, les mesures prises pour limiter l'action des ONG qui viennent au secours des réfugiés, les restrictions adoptées quant aux conditions d'accueil et de détention de ces populations, ou encore l'accord passé en juillet dernier avec le gouvernement tunisien en présence de la Présidente de la Commission européenne. Par ailleurs, le gouvernement a accepté l'entrée dans la péninsule sur trois ans de 452 000 immigrés légaux et sélectionnés, cédant en partie à la pression du patronat qui réclame encore davantage de main d'oeuvre étrangère nécessaire, selon lui, pour faire tourner l'économie, l'Italie étant en plein déclin démographique. Toutefois, le revers de Giorgia Meloni en la matière est compensé par l’accord obtenu au conseil européen du 6 octobre et survenu après des polémiques avec la France, qui se sont estompées rapidement, le président Macron cherchant désormais une coopération avec la Présidente du Conseil sur ce sujet, et avec l’Allemagne. Il consiste en un durcissement des conditions d'accueil inspiré de la politique de Rome, et une volonté d'étendre les accords déjà signés avec la Tunisie, le Maroc et la Turquie à d’autres pays de transit afin de limiter les flux migratoires en échange d’aides importantes au développement. 

La méthode de Giorgia Meloni face aux problèmes structurels

Giorgia Meloni gouverne à coup de décrets-lois, trente-neuf depuis son arrivée au Palais Chigi jusqu’au 30 septembre, une moyenne mensuelle encore plus élevée que ses deux prédécesseurs, Giuseppe Conte et Mario Draghi. Ce mode de gouvernement, qui contourne le parlement, pourrait surprendre dans le cas d’un système parlementaire comme le système italien, où Giorgia Meloni détient la majorité. Il permet néanmoins d’accélérer la prise de décision. Toutefois, nombre de réformes annoncées lors de son discours d’investiture au Sénat l'an dernier restent en suspens, comme celles de la justice, de la fiscalité, de la concurrence, des institutions - elle veut désormais aller vers l’élection au suffrage universel du Président du Conseil tandis que la Ligue réclame une autonomie encore plus importante des régions.

Nombre de réformes annoncées lors de son discours d'investiture au Sénat l'an dernier restent en suspens, comme celles de la justice, de la fiscalité, de la concurrence, des institutions.

Cette fin d'année s'assombrit quelque peu pour Giorgia Meloni. Les perspectives économiques sont préoccupantes et la loi de finances en discussion fondée sur une prévision de croissance de 1,2 % alors que le FMI indique 0,7 % ne convainc pas les marchés car elle pourrait détériorer encore les comptes publics. Quant aux problèmes structurels de la péninsule, par exemple, la situation du Sud, la faible productivité, la difficile modernisation de l'administration publique ou le retard en matière de recherche et d’innovation – l’Italie est à la 28ème position dans le  Global Innovation Index de 2022 établi par la World Intellectual Property Organization, à titre de comparaison l’Allemagne est 8ème, la France 11ème - demeurent non résolus. Les tensions dans le gouvernement ne cessent de monter.

Matteo Salvini cherche plus que jamais à se distinguer de Giorgia Meloni. Ainsi, critique-t-il la politique poursuivie en matière d’immigration en affirmant que son action en tant que ministre de l’intérieur en 2018-2019 s’avérait plus efficiente. Il n'hésite pas à rompre des lances avec Bruxelles, Paris et Rome. Giorgia Meloni s'efforçant de se recentrer quelque peu pour récupérer les électeurs de Forza Italia laissés en relative déshérence par le décès de Silvio Berlusconi, Salvini se positionne à droite pour tenter de reconquérir une partie de son électorat perdu au profit de Frères d'Italie. Giorgia Meloni, qui donne l'apparence de s’être normalisée, retrouve ses accents populistes et recourt de nouveau au complotisme pour expliquer les difficultés rencontrées. Elle en attribue la responsabilité aux représentants des "pouvoirs forts", de "l’Etat profond", soit les élites économiques et financières italiennes et mondiales, aux magistrats et aux médias. Elle s’en prend à la politique de la BCE et de sa présidente, Christine Lagarde. Elle accuse le commissaire à la concurrence, Paolo Gentiloni, ex-président du Conseil en tant que dirigeant du Parti démocrate, de ne pas défendre les intérêts de son pays, ce qui a obligé la Commission européenne à rappeler qu’un commissaire ne représente pas son pays d'origine. Héritage du ghetto politique dans lequel son parti est longtemps demeuré, elle se méfie de tout le monde en Italie et en Europe. Elle gouverne l'Italie et dirige son parti en s’appuyant sur un petit clan de fidèles, composé entre autres des membres de sa propre famille. Elle souffre manifestement d'un manque de vision stratégique, faute aussi de pouvoir s’appuyer sur une classe dirigeante compétente et de haut niveau. D’où l’impression d’une navigation à vue, d’initiatives prises à l’improviste, de choix décidés dans l’urgence. Si son action publique manque d’envergure, en revanche, très habile politique et remarquable communicante, elle sait parler à son électorat en insistant sur les mesures prises pour renforcer la sécurité contre la délinquance, en fustigeant continûment l'immigration, en faisant référence aux valeurs traditionnelles résumées par sa trilogie "Dieu, famille, patrie". Ce qui se traduit, par exemple, par diverses dispositions supposées relancer la natalité et des projets de loi visant à s’opposer à la GPA. De même, elle fustige en permanence la gauche, qui le lui rend bien, en l'accusant de se réjouir des problèmes rencontrés qu'elle assimile à une attitude anti-italienne. Elle affirme qu’avec elle l'Italie est davantage respectée et écoutée en Europe comme dans le monde. Un argumentaire largement relayé par la RAI, la télévision et la radio publique, placée sous le contrôle direct de ses amis. 

Élections européennes de 2024 : le test de résistance  

En 2024, outre les questions proprement italiennes, notamment socio-économiques, qu’elle devra affronter, la grande échéance de Giorgia Meloni sera celle de l'élection au Parlement européen. La compétition sera rude avec la Ligue de Salvini, allié de Marine Le Pen, mais aussi avec le Parti démocrate et le Mouvement 5 étoiles.

En dépit d'une abstention probablement élevée (on avait relevé 54,5% de taux de participation lors des élections européennes de 2019), ce scrutin indiquera le rapport de forces entre les partis. Il  permettra également de vérifier l'état d'avancement de son projet européen. Au départ, elle caressait l'ambition de sceller une alliance entre les Conservateurs et réformistes d'un côté, et le Parti populaire européen de l'autre. Pour le moment, ce projet semble avoir échoué, une fraction du PPE ne voulant pas en entendre parler surtout après la victoire de Donald Tusk en Pologne. Elle paraît donc s'orienter vers la recherche d’un accord avec le PPE et d’autres composantes au sein du Parlement qui aboutirait au maintien d'Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission.

En 2024, outre les questions proprement italiennes, notamment socio-économiques, qu'elle devra affronter, la grande échéance de Giorgia Meloni sera celle de l'élection au Parlement européen.

En retour, elle espère faire glisser davantage à droite les équilibres au sein du Parlement européen, mais aussi les politiques du Conseil et de la Commission. Il ne s’agit-là que de pures spéculations. Tout dépendra bien évidemment des résultats en juin prochain mais aussi des soutiens dont elle bénéficiera. A cet égard, Giorgia Meloni se retrouve assez isolée. Paris, Berlin et Madrid font preuve de pragmatisme dans les relations bilatérales que ces capitales tissent avec Rome mais ne partagent pas sa conception contradictoire et ambivalente de l'Europe. En effet, d'un côté, la cheffe du gouvernement italien demande beaucoup à l'Union européenne en matière d’immigration et d'économie, avec un changement des critères de stabilité, et, de l’autre, elle prétend réduire son poids dans tous les autres domaines. La récente défaite de Droit et Justice en Pologne la prive d’un allié de poids. Il reste la Hongrie, dont elle est proche d'un point de vue politique et idéologique malgré le désaccord sur la guerre en Ukraine, Viktor Orban étant pro-russe. Or Budapest s'oppose à l’accord du 7 octobre sur l'immigration voulue par elle. Cela plonge Giorgia Meloni dans un grand embarras dont elle se sort en expliquant qu’elle comprend la position de son ami car il défend ses intérêts nationaux. Cela en revient à démontrer l’inanité de ses propos sur la force de l’Europe des patries et des patriotes. 

Finalement, Giorgia Meloni est confrontée à des contradictions difficilement solubles et des défis majeurs qui menacent à terme ses points forts, notamment celui que lui procure l'absence d'une vraie opposition. Reste à savoir combien de temps elle bénéficiera du soutien d’un grand nombre d’Italiens. L'élection européenne fournira une indication importante pour la suite de son expérience gouvernementale. 

 

Copyright Image : Ludovic MARIN / AFP

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