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03/07/2025
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Le président Macron a-t-il eu raison de renouer le dialogue avec Vladimir Poutine ?

Le président Macron a-t-il eu raison de renouer le dialogue avec Vladimir Poutine ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Dans un contexte sombre pour la diplomatie française, le coup de fil du président Macron à Vladimir Poutine est-il de nature à redonner des perspectives ? S'il présentait finalement peu d'intérêt s’agissant de l'Ukraine, il pourrait se révéler plus pertinent pour le dossier iranien. Mais le risque, nous dit Michel Duclos, est que le coup de fil soit mal perçu par nos alliés européens....

La période n’est guère favorable à la diplomatie française. L’appel à un cessez-le-feu en Ukraine, le 10 mai 2025, lancé par les quatre dirigeants européens (Macron, Merz, Tusk et Stamer), assorti d’une menace de sanctions, est tombé à l’eau. Il paraissait pourtant, sur le moment, bénéficier d’un appui de M. Trump (qui n’a pas duré). L’initiative franco-saoudienne d’une conférence à New York du 17 au 20 juin 2025 sur la Palestine a été torpillée par l’attaque israélienne contre l’Iran. La guerre Iran-Israël-États-Unis, dite des douze jours, a vu une marginalisation frappante des Européens. Le sommet de l’OTAN à La Haye suivi d’un sommet de l’UE en demi-teinte n’ont pas non plus grandi l’image de l’Europe. 

Ukraine : Dialogue de sourds

Dans ce contexte, une petite musique commençait depuis quelques semaines à se faire entendre à Paris : il serait utile de reprendre langue avec le président Poutine. Pour quelle raison ? Des tractations, certes avec des hauts et des bas, sont engagées entre Moscou et Washington sur la guerre en Ukraine; des contacts ont lieu aussi entre Ukrainiens et Russes, certes sur des bases léonines au bénéfice de Moscou (cf: l’"Accord d’Istanbul" de 2022, très défavorable aux Ukrainines et que ceux-ci n’ont jamais accepté) ; il paraissait donc nécessaire, vu de Paris, que "la voix de l’Europe" (comprenez : en tout cas celle de la France) se fasse entendre à Moscou. Selon ce raisonnement, il serait inacceptable que, sur un sujet aussi vital pour eux, les Européens ne puissent pas défendre leurs intérêts par eux-mêmes. 

Le "fait générateur" du coup de fil entre les présidents Macron et Poutine, résultant selon la présentation officielle d’une décision conjointe, a été constitué par le dossier iranien et non par l’affaire ukrainienne.

Pourtant, le "fait générateur" du coup de fil entre les présidents Macron et Poutine, résultant selon la présentation officielle d’une décision conjointe, a été constitué par le dossier iranien et non par l’affaire ukrainienne. Restons cependant un instant sur cette dernière : comme l’indique le communiqué de l’Élysée, le président de la République a réitéré son appel à la trêve ; le communiqué du Kremlin s’étend longuement, quant à lui, sur le récit habituel des Russes, soit, en substance: "la Russie est victime dans cette affaire d’une agression occidentale ; tout accord de paix doit traiter les causes profondes du conflit" (autrement dit, entraîner au minimum la neutralisation de l’Ukraine)". La conversation a donc été, sur ce point, un dialogue de sourds.

Iran : retour à la coopération ?

S’agissant de l’Iran, on peut imaginer que la conversation a été moins négative. L’opération conjointe israélo-américaine n’a pas éliminé le programme nucléaire iranien. Il est à craindre que le régime de Téhéran en tire pour leçon la nécessité d’aller à la bombe et d’y aller de manière aussi clandestine que possible. Alliés de l’Iran, au moins par certains aspects, les Russes ne souhaitent sans doute pas l’accession d’autres pays, fût-ce l’Iran, à l’arme nucléaire. Le président Trump, même s’il s’est déclaré prêt à réitérer si nécessaire une campagne militaire contre la République islamique, préférerait peut-être lui aussi, à ce stade, une solution négociée. En tout cas, il est à la recherche d’options. Sur un autre plan, l’accord nucléaire de 2015, dit JCPOA, entre l’Iran et le P5 (les 5 membres permanents du CSNU), l’Allemagne et l’Union européenne, arrive à son terme à l’automne. La date limite pour procéder au SnapBack - la remise complète de l’Iran sous sanction - intervient le 18 octobre 2025

De manière immédiate, l’objectif est de dissuader l’Iran de se retirer du traité de non-prolifération (TNP) et d’accepter le retour d’inspecteurs de l’AIEA. Ce sont des points sur lesquels Moscou (et d’ailleurs Pékin : M. Macron va aussi appeler le Président Xi, comme il a appelé M. Trump et le président iranien) peuvent exercer une influence sur Téhéran.

Pour toutes ces raisons à la fois politiques et techniques, une fenêtre d’opportunité paraît s’ouvrir pour une action conjointe des 5 puissances nucléaires, à supposer que le président Trump se rallie, ce qui serait exceptionnel pour lui, à une démarche multilatérale. Notons cependant que, sur un plan technique, l'élargissement de la négociation entre autres à l'arsenal de missiles de l’Iran, que préconise M. Macron a toute chance d’être un "non-starter". De manière immédiate, l’objectif est de dissuader l’Iran de se retirer du traité de non-prolifération (TNP) et d’accepter le retour d’inspecteurs de l’AIEA. Ce sont des points sur lesquels Moscou (et d’ailleurs Pékin : M. Macron va aussi appeler le Président Xi, comme il a appelé M. Trump et le président iranien) peuvent exercer une influence sur Téhéran

Quels leviers pour les Européens?

Sur un plan tactique, il n’est pas interdit d'interpréter le coup de fil à M. Poutine comme une tentative de la part d’Emmanuel Macron de rentrer par la fenêtre sur un dossier, le dossier iranien, que Donald Trump entendait jusqu’ici traiter directement, en excluant les autres puissances nucléaires. Ou plus généralement, comme une opération destinée à retrouver un peu d'oxygène dans un moment difficile, comme on l’a déjà indiqué, pour la diplomatie française.

Au-delà de la manœuvre tactique, se pose surtout la question de fond des leviers dont dispose encore la France, ainsi que l’Europe. S’agissant de l’Ukraine, on voit mal pourquoi M. Poutine tiendrait compte des avis des capitales européennes dès lors que celles-ci ne sont pas capables d’apporter un soutien décisif à Kiev ; et cela, au moment même où les États-Unis annoncent la suspension de la livraison d’armes cruciales pour les Ukrainiens (missiles patriotes en particulier) et alors que la Russie redouble ses frappes sur les grandes villes ukrainiennes.

En reprenant le fil du dialogue avec Moscou, le président de la République prend le risque d’entamer le capital de confiance qu’il avait réussi à retrouver auprès des Européens ; on se souvient que le flirt entre la Russie et la France avait, dans un passé récent, éloigné d’elle une bonne partie de ses partenaires.

Sur la question iranienne, il faudra observer dans les prochaines semaines si les Européens ont des cartes suffisantes pour se réinsérer dans le jeu. En tout état de cause, en reprenant le fil du dialogue avec Moscou, le président de la République prend le risque d’entamer le capital de confiance qu’il avait réussi à retrouver auprès des Européens ; on se souvient que le flirt entre la Russie et la France avait, dans un passé récent, éloigné d’elle une bonne partie de ses partenaires.

Copyright image : Ludovic MARIN / AFP
Emmanuel Macron à l’Élysée, le 5 mars 2025

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