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24/07/2024

[Le monde vu d’ailleurs] - Paris 2024 : Jeux olympiques et enjeux géopolitiques

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[Le monde vu d’ailleurs] - Paris 2024 : Jeux olympiques et enjeux géopolitiques
 Bernard Chappedelaine
Auteur
Ancien conseiller des Affaires étrangères

Comme ce fut le cas à maintes reprises dans le passé, l’arène olympique de Paris sert de tribune aux luttes politiques actuelles, qu’il s’agisse du combat des femmes afghanes, du conflit israélo-palestinien ou de la guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine. Profondeur historique, tensions stratégiques et perceptions politiques : un panorama des JO à 360° dans cet épisode du Monde vu d’ailleurs de Bernard Chappedelaine. Citius, Altius, Fortius, que le meilleur gagne.

L’histoire très politique des Jeux olympiques

Dès le début du XXe siècle, les Jeux olympiques ont constitué un enjeu politique, rappelle le Council on Foreign Relations. Les États vaincus de la Première Guerre mondiale (Allemagne, Autriche, Hongrie...) ne sont pas invités aux JO d'Anvers en 1920. En 1936, plusieurs pays menacent de boycotter les Jeux de Berlin, utilisés par la propagande nazie pour promouvoir son discours sur la supériorité aryenne, mis à mal par les athlètes noirs américains, notamment Jesse Owens, qui remportent 14 médailles. En 1948, l'Allemagne et le Japon ne sont pas invités aux JO organisés au Royaume-Uni, auxquels l'URSS refuse de participer. Les premiers boycotts effectifs datent de 1956. La Chine est absente à Melbourne, en raison de la participation de Taïwan, de même que quelques pays européens (Espagne, Pays-Bas, Suisse), qui condamnent l'intervention soviétique en Hongrie, alors que plusieurs États arabes (Égypte, Irak, Liban) entendent protester contre l'intervention militaire franco-britannique à Suez. En 1960, une nouvelle controverse éclate quand le Comité international olympique (CIO) contraint Taïwan à concourir sous le nom de "Formose". Les Jeux de Munich en 1972 sont endeuillés par l'attaque menée contre le village olympique par le groupe palestinien "Septembre noir", qui prend en otage des athlètes israéliens afin d’obtenir la libération de Palestiniens emprisonnés en Israël. Au lendemain de l'invasion de l'Afghanistan par l'armée soviétique fin 1979, une campagne de boycott des Jeux de Moscou de 1980 est initiée par l'administration Carter, une soixantaine de pays s’y joignent, mais plusieurs États européens, dont la France, l'Italie et le Royaume-Uni, participent néanmoins aux compétitions. En 1984, les Jeux de Los Angeles sont à leur tour boycottés par l'URSS et plusieurs alliés du pacte de Varsovie.

En 1948, l'Allemagne et le Japon ne sont pas invités aux JO organisés au Royaume-Uni, auxquels l'URSS refuse de participer.

En 1992, les JO de Barcelone, première compétition olympique de l'après-guerre froide, sont l’expression des nouvelles réalités géopolitiques. Les athlètes allemands défilent sous le même drapeau, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont leur propre délégation, de même que la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la Slovénie.

Quant à la Yougoslavie (Serbie-Monténégro), elle peut présenter des athlètes uniquement dans les épreuves individuelles. En février 2014, quelques semaines avant l'annexion de la Crimée, la cérémonie d'ouverture des JO, organisés à Sotchi, est boycottée par les principaux dirigeants occidentaux, qui protestent contre les violations des libertés publiques en Russie. Au lendemain de la crise migratoire de 2015, une équipe olympique de réfugiés est mise sur pied en vue des JO de Rio en 2016, qui inclut notamment des athlètes originaires de la République démocratique du Congo et de Syrie. En 2018, les Jeux d'hiver de Pyeongchang en Corée du sud sont utilisés par le Président Moon Jae-in pour tenter un rapprochement avec le régime nord-coréen. Condamnée fin 2020 par le Tribunal arbitral du sport pour ses pratiques récurrentes de tricherie et de dopage, la Russie en tant qu’État est exclue des compétitions olympiques à Tokyo (2021), repoussées d'une année en raison de la pandémie de Covid. En février 2022, plusieurs dirigeants occidentaux (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Australie) sont également absents de la cérémonie d'ouverture des JO de Pékin, afin de protester contre les violations des droits de l'homme et des minorités ouïghours. En mars 2022, au lendemain du déclenchement de l'invasion de l'Ukraine, le Comité international paralympique décide l'exclusion des équipes russe et biélorusse.

La participation des femmes afghanes

Les Jeux de Paris devaient marquer le retour à une certaine normalité, écrit le Sports business journal. Néanmoins, "une fois encore les JO de 2024 vont démontrer le lien inextricable existant entre le sport et la politique et mettre en question la notion d'olympisme comme pure compétition athlétique à l'écart des préoccupations du monde", soulignel’institut Lowy. "Les Jeux olympiques ont toujours été politiques", note aussi Politico, qui mentionne l’instrumentalisation par Vladimir Poutine et Xi Jinping des Jeux de Sotchi et de Pékin, afin de "glorifier leur nation (et eux-mêmes)". D'ores et déjà, Taïwan a protesté contre le nom ("Taipeï chinois"), qui lui a été imposé, "sans consultation", par le CIO, afin de créer "la fiction que la Chine a autorité sur Taïwan", alors que ce terme "ne correspond à aucune réalité politique ou identité".

La participation de sportifs afghans à Paris constitue un autre enjeu politique. Le CIO a confirmé la venue d'une délégation mixte paritaire (trois hommes - trois femmes), dont la plupart vivent et s'entraînent à l'étranger, tout en refusant d'accréditer une délégation de Talibans.

La participation de sportifs afghans à Paris constitue un autre enjeu politique.

Interrogée par la BBC, Kimia Yousofi, sprinteuse, déclare qu'elle représentera les "rêves et les aspirations volés" des femmes afghanes. La BBC fait aussi écho à la discussion sur le port du voile islamique (hijab), après la confirmation, en septembre dernier, par la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, qu’aux Jeux de Paris, l'équipe de France devra respecter le principe de laïcité, moins connu que la devise républicaine et plus difficile à traduire, admet la radio britannique, qui donne la parole à plusieurs sportives françaises critiques de la laïcité. Des ONG (HRW, Amnesty) sont également intervenues auprès du CIO pour obtenir des autorités françaises la levée de l'interdiction du port du hijab, indique la FAZ. Le CIO a confirmé pour sa part "l'absence de restriction sur le port du hijab et de toute autre tenue religieuse ou culturelle".

Quelle attitude adopter face au conflit à Gaza ?

À en croire Al Jazeera, le port du hijab figure parmi les questions le plus débattues au plan international en amont de l'ouverture des JO de Paris, la chaîne qatarie mentionnant aussi les appels au boycott d'Israël, en raison de la poursuite de son opération militaire meurtrière à Gaza, déclenchée après l’attaque terroriste du 7 octobre dernier. Certains commentateurs dénoncent un mépris de la Charte olympique, qui proclame son attachement aux droits de l'homme et aux principes moraux universels, ainsi que l'application d'un "deux poids - deux mesures", puisque la Russie a été bannie en raison de son invasion de l'Ukraine. "Le sport est la politique poursuivie par d'autres moyens" et, du fait de la guerre en Ukraine et à Gaza, les JO de Paris s'annoncent comme "les plus politiques depuis la guerre froide", estime Jules Boykoff dans l’Irish Times. "Pour les Palestiniens qui tentent de survivre à Gaza", ces Jeux "ne seront qu'une nouvelle confirmation de l'indifférence apparente du monde à leurs souffrances", affirme la chaîne Al Jazeera, pour qui "le projecteur devrait être braqué sur la Palestine". Plus de 300 morts seraient à déplorer à Gaza parmi les athlètes et le personnel sportif palestiniens, des infrastructures sportives ont été détruites, des stades utilisés comme centres de détention par l'armée israélienne, rapporte Al Ahram. "Vous n'êtes pas seulement des athlètes, vous êtes également des symboles de la résistance palestinienne", a déclaré Varsen Aghabekian Shahin, la ministre d’État aux Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, à l’adresse des huit athlètes qui prendront part aux compétitions. Le président du Comité olympique palestinien, Jibril Rajoub a lui aussi marqué que "Paris offre une occasion historique pour dire au monde que le temps est venu de dire 'Assez. Trop c'est trop'".

"Le sport est la politique poursuivie par d'autres moyens" et, du fait de la guerre en Ukraine et à Gaza, les JO de Paris s'annoncent comme "les plus politiques depuis la guerre froide"

Mais Jibril Rajoub s'est aussi distingué, relève le Haaretz, par des déclarations très contestables, en soutien au groupe auteur de l'attaque terroriste du village olympique de Munich en 1972 et à des actions meurtrières visant des civils israéliens. Alors que l'opération militaire à Gaza est entrée dans son dixième mois, les préoccupations sécuritaires liées à l'importante délégation israélienne, présente à Paris, qui compte 88 athlètes, figurent au premier plan, souligne le LA Times.

Ces derniers mois, les événements auxquels ont participé des sportifs israéliens ont suscité des manifestations favorables à la cause palestinienne et hostiles à l'État hébreu, qui sont appelées à se poursuivre. Aussi, le gouvernement israélien a doublé le budget destiné à assurer la sécurité de sa délégation olympique et les services israéliens maintiennent un contact étroit avec leurs homologues français. Le précédent de la tragique prise d'otages de Munich, qui s'était terminée par la mort de onze membres de leur délégation, est très présent à l'esprit des responsables israéliens, souligne le LA Times. Plus de 50 ans après cette tragédie et pour la première fois, une cérémonie à la mémoire de ces onze victimes israéliennes a été organisée lors des Jeux de Tokyo. Une commémoration, prévue à Paris le 24 juillet, a été annulée pour raisons de sécurité et sera organisée plus tard dans un lieu qui ne sera pas public, selon les informations de la presse israélienne.

Le mouvement olympique et l’invasion de l’Ukraine

Les questions sécuritaires sont au cœur des préoccupations des organisateurs des JO de Paris et des autorités françaises. Le Président Macron a affirmé n’avoir "aucun doute" sur le fait que la Russie mène des actions de déstabilisation, "y compris en termes informationnels". Dans un rapport publié début juin, Microsoft accuse deux groupes russes (Storm-1679, Storm-1099) de "semer la peur pour dissuader les spectateurs d’assister aux Jeux" et l’entreprise s’attend à ce que ces actions se multiplient à l’approche du 26 juillet. Ces tentatives de déstabilisation apparaissent liées notamment au durcissement des positions françaises à l’égard de la Russie. Cette agression a notamment eu pour conséquence la mort de nombreux athlètes ukrainiens et la destruction de plus de 500 installations sportives, indique Associated press. Au lendemain de l'invasion de l'Ukraine, la commission exécutive du CIO recommande le 28 février 2022 aux fédérations internationales de sport et aux organisateurs de manifestations sportives de "ne pas inviter ou de permettre la participation d’athlètes et de représentants officiels russes et biélorusses aux compétitions internationales". Mais, dès l'automne 2022, certains comités olympiques nationaux mettent en question ce consensus, estimant que les athlètes, qui n'ont pas soutenu la guerre, ne doivent pas subir cette sanction collective. Début 2023, les Occidentaux se prononcent clairement en faveur de l'exclusion des athlètes russes et biélorusses, mais beaucoup de comités nationaux se déclarent favorables à leur présence ou adoptent une attitude de neutralité, note Jürgen Mittag, spécialiste de la géopolitique du sport. En octobre 2023, la décision du Comité olympique russe (COR) d'intégrer les organisations sportives des régions de l'est de l'Ukraine, annexées par Moscou un an auparavant, conduit toutefois le CIO à suspendre le COR. Sont finalement autorisés à participer aux jeux de Paris, uniquement à titre individuel, les athlètes russes et biélorusses qui ne "soutiennent pas activement la guerre" en Ukraine et qui ne sont pas "sous contrat de l'armée et des agences de sécurité russes".

Pour la première fois depuis 40 ans, les chaînes TV russes ne retransmettront pas les épreuves olympiques. Ostracisée par les Occidentaux, la Russie tente de mettre sur pied une manifestation concurrente en faisant renaître les "Jeux de l'amitié", organisés en 1984 après le boycott par l'URSS et ses alliés d'alors des JO de Los Angeles, avec pour objectif, note Jürgen Mittag, de "diviser le monde sportif". Le CIO n'a pas manqué de dénoncer une "tentative cynique de la Russie" de politiser le sport, il a "recommandé à tous les acteurs du mouvement olympique et aux gouvernements d'exclure toute participation et tout soutien à cette initiative".

Début 2023, les Occidentaux se prononcent clairement en faveur de l'exclusion des athlètes russes et biélorusses, mais beaucoup de comités nationaux se déclarent favorables à leur présence ou adoptent une attitude de neutralité.

Les autorités russes ont vivement réagi, dénonçant une déclaration "totalement inacceptable et très politisée" qui s'inscrit, selon le MID, dans des décisions récentes du CIO, empreintes de "discrimination raciale". La préparation de ces "World Friendship Games", prévus à Moscou et à Ekaterinbourg dans la seconde moitié de septembre 2024, a cependant rencontré des difficultés - les organisateurs réfutant la thèse d'une participation insuffisante - et créé une certaine confusion, entraînant leur report en 2025, selon le quotidien russe Sport-Express. Une division du mouvement olympique signifierait la disparition du CIO et des Jeux olympiques, met en garde la FAZ. "Les Jeux olympiques de Paris seront politiques et c’est une bonne chose", estime le FT, qui souligne la multiplication des causes en faveur desquelles les athlètes se mobilisent. Après l’instrumentalisation à laquelle ont donné lieu les JO de Sotchi et de Pékin, écrit pour sa part le Washington Post, Paris offre un cadre idéal pour redonner du "lustre" aux Jeux olympiques.

Copyright image : Ina FASSBENDER / AFP
Kimia Yousofi, athlète afghane

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