AccueilExpressions par Montaigne[Le monde vu d’ailleurs] - Entre Trump et le "tigre de papier", les Européens à l’heure des choixLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Union Européenne01/10/2025ImprimerPARTAGER[Le monde vu d’ailleurs] - Entre Trump et le "tigre de papier", les Européens à l’heure des choixAuteur Bernard Chappedelaine Ancien conseiller des Affaires étrangères Découvreznotre série Le monde vu d'ailleursLors de son discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies, Donald Trump a qualifié la Russie de "Tigre de papier" : comment comprendre ce qui se joue derrière la formule "choc" ? Confrontés à la perspective d’un désengagement des États-Unis et aux menées de plus en plus agressives du régime de Vladimir Poutine, les Européens n’ont pas d’autre choix que de contrer la menace russe.Le Kremlin réagit sereinement au changement de ton de TrumpDans son intervention, le 23 septembre, devant l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU), Donald Trump a mentionné à dix reprises la Russie et cité une fois Vladimir Poutine, note le quotidien russe Kommersant. En dépit de leurs bonnes relations personnelles, aucun progrès n’a été réalisé pour mettre fin aux massacres en Ukraine, a-t-il déploré. L’incapacité de Moscou à gagner cette guerre - "ce qui aurait dû prendre quelques jours" - ne donne pas une "bonne image de la Russie", a souligné le président des États-Unis. Quelques semaines après l’accueil officiel réservé à Vladimir Poutine en Alaska, Donald Trump a "de nouveau endossé le rôle du méchant procureur à l’égard de Moscou" et "certains de ses propos contredisent ses précédentes déclarations", déplore le quotidien moscovite. Il n’a pas en effet ménagé ses critiques envers le Kremlin. L’échec de Moscou face à l’Ukraine est "mauvais pour la réputation de la Russie", qui est un "tigre de papier", a-t-il dit en rencontrant Volodymyr Zelensky, alors que "l’Ukraine s’en sort très bien". Après avoir un temps évoqué la nécessité de concessions territoriales à la Russie, Donald Trump a exprimé sa conviction que Kiev était en mesure de reprendre le contrôle de toutes ses frontières. Lors de son entretien avec le Président Erdoğan, Donald Trump s’est déclaré "très déçu" par son homologue russe. Il a refusé de confirmer qu’il faisait toujours confiance à Vladimir Poutine ("je vous le dirai dans un mois environ"). Le locataire de la Maison-Blanche a encore estimé qu’en Russie, "les choses vont mal" et que "l’économie russe est dans un piteux état et en voie de destruction", rapporte Kommersant.Après avoir un temps évoqué la nécessité de concessions territoriales à la Russie, Donald Trump a exprimé sa conviction que Kiev était en mesure de reprendre le contrôle de toutes ses frontières.Ce changement de ton est abondamment commenté en Russie. "Les déclarations blessantes de Trump contrastent avec les réactions très sereines, et dans une certaine mesure ironiques, des autorités russes", note Vzgliad, sous la plume de Gevorg Mirzaïan. Le journal pro-gouvernemental fait allusion aux propos de Dmitri Peskov, qui a contesté le terme de "tigre de papier" appliqué à la Russie - celle-ci est un "ours véritable", or "il n’y a pas d’ours en papier" - et qui laisse clairement entendre que Donald Trump a été influencé par Volodymyr Zelensky.Mais le porte-parole de Vladimir Poutine relève que le président des États-Unis s’est abstenu de toute déclaration laissant penser qu’il renonçait à une "ligne constructive dans le règlement du conflit ukrainien" et que, d’autre part, "l’administration américaine se concentre désormais sur le terrain des affaires et est consciente des avantages que recèle la coopération bilatérale avec la Russie dans le domaine économique et commercial". Alors même que le Kremlin refuse depuis des mois un cessez-le-feu en Ukraine, son porte-parole continue de prétendre que "Poutine est ouvert à la recherche d’un règlement pacifique. Le régime de Kiev a adopté une position totalement passive". "Il y a les déclarations publiques, il y a aussi les contacts confidentiels, nous prenons en considération à la fois les signaux qui nous sont adressés publiquement et ceux qui sont envoyés confidentiellement (…). Le tableau est beaucoup plus complexe", assure pour sa part Iouri Ouchakov, conseiller diplomatique du Kremlin. À New-York, Sergueï Lavrov a exclu tout retour de l’Ukraine à ses "frontières de 2022", hypothèse qui témoigne, selon lui, d’un "aveuglement politique". Le chef de la diplomatie russe a crédité ses "homologues américains, y compris au plus niveau" de la volonté de "mettre un terme à ce conflit en prenant en compte et en éliminant ses causes profondes. Je n’ai aucun doute sur le fait que le président des États-Unis y est véritablement attaché". De même, Dmitri Peskov a réagi avec flegme (Moscou va "analyser attentivement ces déclarations") à la possible fourniture à l’Ukraine de missiles à longue portée Tomahawk, évoquée par le Vice-président Vance. Ces armes ne sont "aucunement une panacée susceptible de modifier la situation sur le front", a-t-il ajouté, il faudra voir "qui sera responsable de leur mise en œuvre pour déterminer la riposte".Les multiples hypothèses des experts russesPour une partie des commentateurs moscovites, les déclarations de Donald Trump sur la Russie mettent un terme au rapprochement Moscou-Washington engagé depuis son retour à la Maison Blanche. Des mois de navettes diplomatiques et un sommet très médiatisé avec Poutine en Alaska n’ont abouti à aucun résultat concret, pas même à une rencontre entre les présidents russe et ukrainien, constate le Moscow Times. "L’amitié entre les deux dirigeants aura duré aussi longtemps que lors de son premier mandat présidentiel", se désole Georgui Bovt. De l’avis de beaucoup d’analystes, repris par le quotidien Vzgliad, ces propos annoncent un désengagement des États-Unis du dossier ukrainien. Jusqu’à présent "acteur du conflit, Trump adopte la position de l’observateur extérieur et du marchand d’armes", affirme ainsi Alexeï Naoumov. La priorité géopolitique des États-Unis c’est la région indo-pacifique, Ukrainiens et Européens ont perdu beaucoup de leur importance à leurs yeux, juge Vadim Koziouline, enseignant à l’Académie diplomatique du MID, si Donald Trump tente de les convaincre de leur force c’est aussi pour "leur vendre des armes et assurer des débouchés au complexe militaro-industriel américain". Les Républicains sont conscients que l’engagement des États-Unis en Ukraine les détourne de la Chine, Donald Trump tente de concilier la position des "MAGA", qui y sont hostiles, et celle des "faucons", explique Alexeï Vassiliev. Les Européens manquent d’argent pour financer l’acquisition de nouveaux armements par l’Ukraine, assure Vadim Koziouline, aussi leurs livraisons ne devraient pas dépasser le rythme actuel. Ria-novostimentionne un article du Financial Times, qui évoque les craintes des Européens d’être rendus responsables par Donald Trump de la défaite de l’Ukraine. Selon l’agence officielle russe, le président des États-Unis considère qu’une "offensive de l’Ukraine sera un très bon spectacle et, quelle que soit l’issue, elle lui conviendra". Si Kiev l’emporte, il pourra en revendiquer le bénéfice, si c’est un échec, ce sera la faute des Européens, qui "auront donné trop peu d’argent". Ria-novosti ironise sur Donald Trump que son commentateur compare au Roi Midas, qui "transformait en or tout ce qu’il touchait".Pour une partie des commentateurs moscovites, les déclarations de Donald Trump sur la Russie mettent un terme au rapprochement Moscou-Washington engagé depuis son retour à la Maison Blanche. Certains considèrent que "Trump est perdu pour Moscou", en réalité, les choses sont plus complexes, affirme Gevorg Mirzaïan, qui décrit deux scenarii qui s’inscrivent, selon lui, dans le cadre qu’auraient défini Vladimir Poutine et Donald Trump à Anchorage. Le président des États-Unis se serait alors engagé à obtenir des Ukrainiens et des Européens qu’ils mettent fin au conflit.Donald Trump a tenté "honnêtement" de les convaincre, sans y parvenir. Dès lors, deux hypothèses se présentent, Washington peut se ranger du côté de l’UE pour infliger à la Russie une "défaite stratégique", mais il est beaucoup plus probable, d’après Gevorg Mirzaïan, que les deux dirigeants avaient anticipé cet échec de Donald Trump et convenu que ce dernier prendrait ses distances vis-à-vis de la crise ukrainienne pour faciliter la victoire militaire de Moscou. Compte tenu de la supériorité militaire de la Russie, qualifier celle-ci de "tigre de papier" et inciter l’Ukraine à reconquérir les territoires perdus serait en réalité précipiter sa défaite. C’est ce qui expliquerait le calme avec lequel le Kremlin a réagi aux propos de Donald Trump. D’autres politologues proches du Kremlin, cités par Vzgliad, expriment des idées voisines. Quand il apparaîtra clairement que la mission confiée par Donald Trump à l’UE et à l’Ukraine est impossible, ce dernier reviendra dans le jeu comme médiateur, avance Fiodor Loukianov. Après une nouvelle escalade militaire, les protagonistes feront le constat d’une impasse, alors Washington proposera à nouveau ses services, estime également Andreï Tchesnakov, mais, dans l’immédiat, le président des États-Unis va s’éloigner du processus de règlement, ce qui signifie encore un hiver et un été de combats. "L’Europe est seule face à la Russie"Si les commentaires officiels russes visent à relativiser les propos de Donald Trump et à calmer le jeu, les réactions de Moscou à la multiplication, ces derniers jours, des violations (drones, avions, missiles) de l’espace aérien des pays d’Europe centrale et riverains de la mer Baltique tendent à montrer que Moscou se prépare à la confrontation avec les Européens, dénoncés comme fauteurs de guerre. Constatant que "ses auxiliaires ukrainiens subissent une défaite après l’autre" et que "le dialogue russo-américain sur un règlement diplomatique du conflit se poursuit au plus haut niveau", le "parti de la guerre européen" a recours à des "méthodes douteuses" en accusant "sans preuve" la Russie de violations de l’espace aérien, affirme Mikhaïl Galouzine, vice-ministre des Affaires étrangères. Pour le diplomate, l’objectif est clair, il s’agit de convaincre Donald Trump de changer de position sur le conflit ukrainien. Depuis New-York, où il participait à l’AGNU, Sergueï Lavrov a mis en garde ceux qui seraient tentés d’abattre tout objet volant dans l’espace aérien russe, qui "le regretteront amèrement". "Nous ne tolérerons aucune violation de nos territoires, de notre espace aérien, de la part de ceux qui, en Europe, préparent ouvertement la guerre contre nous", a-t-il averti. Le ministre russe des Affaires étrangères s’en est pris vivement à Friedrich Merz, qui a déclaré, ces derniers jours, que l’Allemagne n’est pas en guerre mais n’est plus en paix, il a dénoncé une "rhétorique de la militarisation qui gagne chaque jour en intensité". En voulant faire de la Bundeswehr la première armée conventionnelle en Europe, le Chancelier souffre d’une "atrophie de la mémoire historique" et de rappeler qu’Hitler a pris le pouvoir avec pour objectif la "militarisation" de l’Allemagne.L’incertitude qui prévaut désormais sur l’engagement des États-Unis au sein de l’OTAN montre que" l’Europe est seule face à la Russie".Lors d’une réunion tendue au MID, ces derniers jours, rapporte l’agence Bloomberg, des diplomates britannique, français et allemand ont acquis la conviction que l’intrusion de 3 MiG-31 russes dans l’espace aérien estonien a été délibérée, le diplomate qui les a reçu a admis qu’il s’agit d’une riposte aux frappes ukrainiennes en Crimée, menées avec le soutien de l’OTAN, et souligné que la Russie se considère impliquée dans une confrontation avec les pays européens. L’incertitude qui prévaut désormais sur l’engagement des États-Unis au sein de l’OTAN montre que "l’Europe est seule face à la Russie", conclut Foreign Policy."Une chose est sûre, souligne la revue, la guerre de basse intensité déclarée par la Russie à l’Europe va se poursuivre". Or, l’industrie de défense européenne demeure fragmentée, l’impasse sur le projet d’"avion du futur" (SCAF) étant l’exemple le plus éloquent. Les provocations de Vladimir Poutine et la semi-retraite de Donald Trump contraignent l’UE à se transformer, souligne aussi Politico. Évoquant un "moment François Ferdinand", certains responsables redoutent un engrenage qui conduise à une guerre comme ce fut le cas en août 1914, rapporte le magazine européen. De la Baltique à la mer Noire, constate le Guardian, "sabotage, cyber-attaques, trolling et désinformation font dorénavant partie du quotidien de la vie des Européens de l’ouest". Trump et Poutine n’ont pas encore conclu d’alliance formelle (cf. le pacte Ribbentrop-Molotov), mais, souligne le journal britannique, "ils ont beaucoup de choses en commun" : mépris de la démocratie libérale, hostilité à l’UE, à la mondialisation et au droit international. Dressant un parallèle avec le "suicide" de l’Europe dans les deux guerres mondiales, l’historien Sergeï Radchenko considère que "les véritables perdants de cette guerre sont l’Ukraine, l’Europe et la Russie elle-même".Que Trump prétende que Zelensky "n’a pas de cartes" ou qu’il affirme que l’Ukraine est en mesure de reconquérir tout son territoire, l’objectif dans les deux cas est de "minimiser le rôle des États-Unis dans cette guerre" et la volte-face opérée, ces derniers jours, par le Président Trump dans son discours n’augure pas un changement de politique, explique le politologue Richard Fontaine dans le New York Times. Face au regain d’agressivité de la Russie en Ukraine et dans son voisinage et sans écarter l’hypothèse d’un durcissement de la position américaine à l’égard de Moscou, Fredrik Wesslau propose une stratégie de "l’escalade pour la désescalade", afin de contraindre Vladimir Poutine à admettre qu’il a plus à gagner à un cessez-le-feu qu’à la poursuite de la guerre. Ancien responsable de la mission d’assistance européenne à l’Ukraine, il invite les Occidentaux à intensifier les sanctions sur le secteur énergétique russe, à saisir les 300 milliards€ d’avoirs russes gelés et à accroître l’assistance militaire à Kiev. Cet expert se déclare aussi favorable à des frappes en profondeur sur le territoire russe, à une opération de "police du ciel" dans la partie occidentale de l’Ukraine et au déploiement dans ce pays de forces non combattantes (entraînement, logistique, renseignement). Qualifier, comme Donald Trump, la Russie de "tigre de papier" illustre le fait que le terme de "guerre d’usure" n’est plus adapté pour caractériser le conflit ukrainien, analyse Kirill Rogov. La perspective d’une victoire militaire russe s’estompe, avec elle disparaît l’argument de l’inutilité de l’aide militaire à Kiev, le Kremlin a élaboré un nouveau narratif autour de la menace de confrontation directe avec la Russie, mais qui est à double tranchant, explique ce politologue indépendant, au lieu de paralyser leur volonté, la peur éprouvée par les Européens peut les conduire à se mobiliser. Copyright image : TIMOTHY A. CLARY / AFP Donald Trump à la tribune de l’Assemblée générale, le 23 septembre 2025.ImprimerPARTAGERcontenus associés 30/09/2025 [Le monde de Trump] - "Le piège des États serait d’oublier leurs facteurs d... Michel Duclos Soli Özel 24/09/2025 [Le monde de Trump] – Russie : "L'ordre libéral universaliste est révolu" Michel Duclos Fyodor Lukyanov