AccueilExpressions par MontaigneLa réponse européenne vue d’Ukraine L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.25/05/2022La réponse européenne vue d’Ukraine Interview d'Halia Chyzhyk et Maryna Khromykh Union Européenne Coopérations internationales Europe RussieImprimerPARTAGER Maryna Khromykh Directrice exécutive de la Fondation DEJURE Halyna Chyzhyk Experte en réforme judiciaire au sein du Anticorruption Action Center Le 12 mai 2022, l’Institut Montaigne a eu l’opportunité d’échanger sur le passé, le présent et l’avenir de l’Ukraine avec Halyna Chyzhyk, experte en réforme judiciaire au sein de l’Anticorruption Action Center, et Maryna Khromykh, directrice exécutive de la Fondation DEJURE, à l’occasion de leur passage à Paris. Représentantes de la société civile ukrainienne, leur visite avait pour but de sensibiliser la France et l’Europe à la violence de la guerre qui ravage leur pays depuis le 23 février. Cet article, inédit pour un think tank français, propose une retranscription des sujets abordés au cours des discussions. L’Europe : un soutien déterminant pour mettre fin à la guerreNotre ambition est simple : en tant que représentantes de la société civile ukrainienne, nous voulons faire part de notre message à la France et à l’Europe. Notre chemin vers une Ukraine démocratique, libre et indépendante n’aboutira pas sans votre soutien. Depuis la révolution de 2014, nous avons engagé un important travail de transformation de notre société et de nos institutions. Des instances pour lutter contre la corruption ont été mises en place, des procès pour condamner ceux qui profitaient du système ont été conduits, et nous sommes aujourd’hui convaincues de la nécessité de mener à son terme la réforme de notre système judiciaire. Mais ces étapes, bien que cruciales, ont été percutées par une guerre que nous impose la Russie, et que nous ne pourrons gagner seuls. Pour sortir de cette situation, nous avons besoin de l’Europe. Nous avons besoin de faire partie intégrante de la famille européenne. Depuis le début de l’invasion russe, on relève une incroyable coordination de l’ensemble des acteurs de la société civile ukrainienne. Mais cela ne suffit plus. Sans l’aide de nos alliés occidentaux, nous ne pourrons protéger notre peuple. Nous pensons particulièrement à la France parce qu’elle incarne l’Europe : elle est un pays fondateur et central de l’Union, son leadership y est considérable. Pour mettre fin à ce conflit, nous avons besoin d’une aide militaire d’ampleur, de nouvelles vagues de sanctions contre la Russie, d’un plan de soutien à l’image du Plan Marshall, et de la création d’un tribunal international qui pourra juger Vladimir Poutine et ses alliés pour leurs crimes. L’Occident doit comprendre que la Russie de Poutine ne se contentera pas de l’Ukraine. Elle ne s’arrêtera pas avant d’être arrêtée, faisant donc de notre pays un terrain d’enjeux qui vont bien au-delà de notre souveraineté nationale. Le passage des siècles n’a en rien altéré les intérêts russes. Moscou veut le contrôle de la mer Noir et de la mer Baltique, ainsi que des territoires de ces régions. Si la Russie n’est pas stoppée, ce sera bientôt la Pologne, la Lituanie, l’Estonie et la Lettonie qui seront visées par Vladimir Poutine. C’est bien cela que souhaite le Kremlin : perpétuer son régime autoritaire en repoussant ses frontières, voire s’immiscer au sein même de l’Occident. Et ce qui pousse le Président russe ce n’est pas l’action, c’est l’inaction de ses opposants. L’Europe doit s’en rendre compte. Un élément intéressant nous a interpellé : dans les semaines de tensions qui ont précédé l’invasion, Vladimir Poutine a mentionné les réformes en cours au sein des institutions ukrainiennes. Une telle mention est loin d’être dénuée de sens : elle signifie que Poutine s’intéresse à ces réformes, qui vont évidemment contre son intérêt. Les Ukrainiens eux-mêmes ne sont pas toujours informés des avancées qui ont été faites dans leur pays en près d’une décennie. Poutine, lui, connaît bien les tenants de cette transformation d’ampleur, et il réalise l'importance des progrès réalisés pour assurer la démocratisation et l’indépendance de notre pays. Une Ukraine libre serait bel et bien à l’opposée des intérêts du Président russe. Il comprend que Kyiv devient un leader régional, et que, de ce fait, il ne sera plus en mesure d’influencer ses hommes politiques et ses institutions. Candidature à l’UE, nouvelles vagues de sanctions : des messages forts à destination de la Russie comme du peuple ukrainienLa candidature à l’Union européenne est un élément clé pour notre avenir, et nous comptons sur la France pour la soutenir. Dans le système scolaire ukrainien on insiste sur le fait que l’Occident, et la France en particulier, porte en lui un idéal de liberté et de démocratie. En vertu de ces principes, nous appelons aujourd’hui vos pays : nous avons besoin d’actions concrètes, et non plus seulement de mots. Une Ukraine libre serait bel et bien à l’opposée des intérêts du Président russe. Il comprend que Kyiv devient un leader régional.Nous sommes optimistes. Après 8 ans de réformes, de refontes de la structure de notre État, nous estimons avoir notre place au sein de l’Union européenne. Mais nous sommes parfaitement conscientes qu’une candidature à l’Union ne présage pas de facto une adhésion. L’Ukraine a encore du chemin à parcourir, nous ne disons pas le contraire. Nous sommes d’accord avec le Président Macron lorsqu’il explique que l’accession de notre pays à l’UE pourrait prendre plusieurs années.Toutefois, donner le statut de candidat à l’Ukraine ferait résonner un message fort, d’autant plus pour les Russes : Kyiv, dans son combat, n’est pas seul. Ce statut nous permettrait aussi de saisir l’importance des réformes menées jusqu’ici, et pousserait notre pays à continuer dans cette voie. Certains États membres ne sont pas favorables à ce que l’Ukraine obtienne le statut de candidat à l’UE, nous en sommes conscientes. C’est pour cela que nous espérons que le président de la République défendra notre cause, et utilisera sa position - notamment dans le cadre de la présidence française de l’UE - auprès des États membres pour les convaincre. Un autre pan de la stratégie européenne doit s'illustrer dans les sanctions infligées à Moscou. Nous appelons à un embargo total sur le pétrole russe dans la prochaine vague de sanctions décidées par Bruxelles. Nous comprenons qu’une telle mesure concernant le gaz est plus compliquée à mettre en œuvre, compte tenu de la dépendance de certains États européens. Mais nous avons une solution : fermer Nord Stream 1. Le gaz russe n’aura ainsi d’autres solutions que d’être acheminé par les territoires ukrainiens, ce qui obligerait les Russes à la retenue, les empêchant de cibler notre pays avec leurs missiles. Transparence, justice et lutte contre la corruption : les réformes ukrainiennes Comme nous l’avons dit précédemment, notre pays s’est démené au cours des dernières années pour réformer nos institutions. Dans ce chantier, notre priorité a été la réforme de la justice. Nous avons maintenu le cap de ces réformes, y compris depuis le début de la guerre. La Moldavie et la Géorgie prennent d’ailleurs les réformes que nous avons menées comme des exemples à suivre. La justice ukrainienne a longtemps été marquée par l’héritage soviétique, qui a limité l’accès de nos juges à une réelle indépendance. Contrairement à la Pologne et à la Lituanie, l’Ukraine n’a jamais réussi à se défaire de la pratique judiciaire de l’ère soviétique. Pendant des années, notre système était pris dans un cercle vicieux, dans lequel des juges corrompus nommaient d’autres juges corrompus, et parfois au sein d’instances puissantes comme la Haute Cour de Justice. Afin de briser cela, nous avons mis en place un système transparent, garanti par des concours publics pour les sièges de la Haute Cour, et supervisé par un groupe d’observateurs internationaux. Donner le statut de candidat à l’Ukraine ferait résonner un message fort, d’autant plus pour les Russes.En plus de repenser les instances existantes, l’Ukraine a aussi établi de nouvelles institutions. C’est le cas, par exemple, du Bureau national anti-corruption ou de la Haute Cour contre la corruption. Pour assurer la transparence, nous avons mis en place une plateforme en ligne sur laquelle plus de 300 000 fonctionnaires doivent déclarer leurs ressources. Une autre plateforme, ProZorro, établie en 2016, rend totalement transparents les appels d’offres concernant les marchés publics et l’efficacité des dépenses de fonds publics. Ces efforts placent l’Ukraine dans une meilleure position pour obtenir le statut de candidat à l’Union européenne. Les médias ukrainiens ont aussi connu des changements de fond. Alors que la plupart étaient détenus par de riches oligarques, avec les risques que cela implique, les agences de presse indépendantes ont gagné en popularité au cours des dernières années. Financées directement par les citoyens ukrainiens, elles permettent, à leur manière, de combattre la corruption et la mésinformation, voire la désinformation. La réponse à Poutine : le langage de la force Notre dernier message pour l’Europe concerne les menaces proférées par Vladimir Poutine à l’encontre de l’Occident, et ses références incessantes aux armes chimiques, voire nucléaires.L’Occident, avec l’appui de la France, devrait poser les bases d’une réponse claire et précise dans le cas où Vladimir Poutine en viendrait à franchir cette ligne.Selon nous, l’Occident, avec l’appui de la France, devrait poser les bases d’une réponse claire et précise dans le cas où Vladimir Poutine en viendrait à franchir cette ligne. Le Kremlin doit comprendre qu’il sera défait face à l’union de l’Ouest. Mais pour cela, l’Occident doit comprendre que le Président russe n’est sensible qu’à la force. Son vocabulaire ne comprend ni le mot paix, ni le mot démocratie, ni le mot liberté. La matrice Poutine est celle de l'impérialisme, de la guerre et de l’invasion. Ce faisant, l’Europe enverra un message qui ira au-delà de la Russie. Elle se placera en opposition frontale avec tous les États autoritaires, pour montrer que la guerre n’est pas acceptable dans notre monde. Sans cela, Vladimir Poutine continuera à vouloir violer la souveraineté de notre pays.Nous sommes les témoins directs des ravages qu’engendre la guerre et la destruction qui s'immisce dans le quotidien de ceux qui ne la demandent pas mais sont condamnés à la subir. Institut Montaigne thanks Lisa Klaassen, assistant Content manager, for her work in the transcript of this interview.Copyright : Dimitar DILKOFF / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 10/05/2022 L’Ukraine après le 9 mai : Vladimir Poutine va-t-il revenir à la négociatio... Michel Duclos 27/04/2022 Le droit international face à la guerre en Ukraine Julia Grignon