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29/07/2022

La proportionnelle, un remède à la crise démocratique en France ?

Trois questions à Quentin Astoin

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La proportionnelle, un remède à la crise démocratique en France ?
 Quentin Astoin
Fonctionnaire au ministère de l'économie et des finances.

Alors que la nouvelle Assemblée nationale examine ses premiers textes dans une configuration inédite, nous interrogeons les différents modes de scrutin et l’éventuel recours à la proportionnelle. Quentin Astoin, haut fonctionnaire, répond à nos questions. 

En quoi les résultats des élections présidentielle et législatives de 2022 en France pourraient-ils plaider pour l'instauration du scrutin proportionnel ?

La réélection en demi-teinte du président de la République (hausse de l'abstention au second tour et score historique de la candidate d'extrême droite) et l’envoi à l'Assemblée nationale d'une majorité présidentielle relative constituent moins les prémisses d'une crise institutionnelle qu'une aubaine pour la vie politique et démocratique du pays, pourvu que les institutions s'adaptent à cette nouvelle réalité et qu'elles permettent, plutôt que le clivage permanent, le dialogue et la construction du consensus.

Il est indispensable de prendre acte de la fragmentation du paysage politique, dans lequel émergent des partis extrêmes pouvant désormais être considérés par les électeurs comme des "votes utiles" au détriment des partis dits de gouvernement, et de renforcer en conséquence le poids du Parlement, qui doit redevenir le lieu du débat public et de la définition des normes.

Le scrutin proportionnel pourrait y pourvoir : la diversité du choix des électeurs serait mieux représentée, ce qui serait susceptible de renforcer la participation, passée d’environ 76 % en 1958 à environ 46 % le 19 juin 2022. Le poids de l'Assemblée dans le processus législatif serait accru du fait de l’obligation de négocier et construire des compromis et, s’agissant d’un scrutin de listes, il serait possible d’avoir une assemblée quasiment paritaire. Par ailleurs, alors même que le scrutin majoritaire uninominal à deux tours protégeait naguère les partis dits de gouvernement, il semble que cela ne soit plus tout à fait le cas, LR ayant enregistré une baisse du nombre de ses députés et le PS et EELV ayant été contraints de s’allier à LFI dans la "NUPES" afin de garantir l’obtention de quelques circonscriptions.

Le scrutin proportionnel n'emporte-t-il pas néanmoins des risques vis-à-vis desquels nous devrions nous montrer vigilants ? 

Le scrutin proportionnel ne constitue en effet pas une panacée, et présente des faiblesses loin d’être anodines et qu’il est nécessaire de bien examiner afin d’y remédier. 

D'abord, le scrutin proportionnel étant un scrutin de liste, il renforce considérablement le poids des appareils partisans, crée des rentes électorales et réduit l'ancrage territorial des députés. En effet, alors que le scrutin majoritaire permet à tout un chacun de se présenter librement à la députation d’une circonscription et d’espérer être élu moyennant un ancrage territorial et une notoriété suffisante, y compris contre un parti, une telle perspective est quasiment impossible dans le cadre du scrutin proportionnel, qui invite les électeurs à voter pour une liste de candidats ordonnés et répartit les sièges entre les listes au prorata des voix attribuées à chacune d’elles puis au sein des listes dans l'ordre des candidatures.

Le scrutin proportionnel renforce considérablement le poids des appareils partisans, crée des rentes électorales et réduit l'ancrage territorial des députés. 

Il s'ensuit que le scrutin proportionnel renforce considérablement le rôle des partis, dont les instances sont souveraines pour choisir les candidats de leurs listes et les ordonner en leur sein ; crée des rentes pour les "stars" des partis, virtuellement immunisées contre une défaite et quasi assurées d’être élues car placées en haut de liste et, enfin, restreint l'autonomie et la liberté des députés : le moindre écart par rapport à la ligne partisane pourrait en effet être sanctionné par une non-inscription sur la liste au scrutin suivant. 

La conséquence mécanique de ce renforcement du rôle des partis est de réduire l’ancrage territorial des députés, qui devront leur élection bien davantage à leur place au sein du parti qu’à leurs électeurs, ainsi que le soulignait par exemple le sénateur de La Malène dans son rapport d'information au Sénat dédié au scrutin pour les élections européennes. Mieux vaut, dans le cadre d’un scrutin proportionnel, se faire bien voir à Paris que labourer une circonscription. 

Par ailleurs, le scrutin proportionnel peut fragmenter la représentation nationale, complexifier la conduite du processus législatif et poser une question de légitimité démocratique des programmes de politique publique mis en œuvre. La mise en place d'un scrutin proportionnel enverrait à l'Assemblée nationale davantage de partis, disposant chacun de moins de députés en moyenne, privant le gouvernement d'une majorité à même de mettre en œuvre son programme. C'est ce que souligne Maurice Duverger dans Les Partis politiques. Le déterminisme mécanique de cette analyse a cependant fait l'objet de critiques et a été assoupli. Une multitude de facteurs entrent en compte, dont bien sûr la culture politique du pays ; c'est ce qui explique que le scrutin proportionnel peut conduire tout à la fois à une chambre constituée d'une multitude de petits partis (par ex. la Knesset) ou co-exister avec le bipartisme (cas du Portugal). Le gouvernement devrait alors construire sur chaque texte une coalition ad hoc ou conclure un contrat de coalition pluripartite par définition précaire - le moindre désaccord avec un petit parti "charnière", dont le rôle serait disproportionné par rapport à son poids réel, pourrait entraîner la chute du gouvernement et une crise institutionnelle. Le scrutin proportionnel prive ainsi le gouvernement du fait majoritaire, et les citoyens d'une stabilité politique sur la durée du mandat. En outre, la conclusion de contrats de coalition pose un problème de légitimité démocratique : les députés d'un parti sont élus afin de mettre en œuvre un programme. Une coalition négociée après le scrutin proportionnel est obligée de mettre en œuvre un tout nouveau programme, négocié entre appareils partisans, sur lequel les électeurs ne se sont jamais prononcés.

Quels sont les paramètres qui permettraient de résoudre au moins en partie ces problèmes ?

Ces faiblesses bien connues du scrutin proportionnel ne le disqualifient pas, mais rappellent si besoin était qu’il n'existe pas de mode de scrutin parfait et qu'il est nécessaire de tenir compte de l'ensemble de ses conséquences potentielles sur le fonctionnement de la vie politique. Si un scrutin proportionnel devait être adopté en France, il pourrait présenter les caractéristiques suivantes.

La mise en place d'une prime majoritaire, comme c'est le cas aujourd'hui pour les élections régionales, permettrait de faciliter la formation d'une coalition gouvernementale : la liste arrivée en tête en nombre de voix bénéficierait d’un nombre de sièges forfaitaire, et le reste des sièges à pouvoir dans l'Assemblée serait distribué entre toutes les listes à la proportionnelle. Par conséquent, la liste arrivée en tête serait certaine d'être sur-représentée par rapport à son score, facilitant ainsi la création d’une majorité de coalition. La question qui se pose alors est celle de la taille de cette prime, afin de ne pas garantir d’emblée au parti présidentiel une majorité absolue.

La mise en place d'une prime majoritaire, comme c'est le cas aujourd'hui pour les élections régionales, permettrait de faciliter la formation d'une coalition gouvernementale.

Les listes pourraient être ouvertes : le scrutin proportionnel peut en effet être à listes fermées - l'électeur vote pour une liste préalablement ordonnée, et le premier siège attribué à une liste donnée va au candidat placé en tête de liste - ou à listes ouvertes, comme par exemple au Brésil - l'électeur vote, au choix, soit pour une liste, soit pour un candidat au sein de la liste, la liste étant in fine ordonnée en fonction du nombre de voix que chaque candidat a obtenu sur son nom propre. Un scrutin à liste ouverte permettrait de réduire le risque de création de rentes électorales et forcerait tous les candidats à faire campagne sur le terrain afin d’obtenir des voix sur leur propre nom, au-delà de leur seule liste.

La limitation du nombre de mandats consécutifs réduirait davantage le risque de rente : limiter le nombre de mandats consécutifs exerçables par un député à trois permettrait tout à la fois de réduire le risque de création de rentes électorales et de disposer de députés expérimentés.

Le scrutin pourrait se dérouler dans plusieurs circonscriptions de taille limitée, afin de pousser les candidats à faire campagne sur le terrain, et non sur une unique liste nationale. En 1986, seule élection législative s'étant déroulée au scrutin proportionnel dans l’histoire de la Vème République, les circonscriptions correspondaient aux départements. Un juste milieu devrait en tout état de cause être trouvé entre la circonscription unique permettant une répartition quasi parfaite des sièges à la proportionnelle et une multitude de circonscriptions de taille réduite incitant les candidats à faire campagne sur le terrain. 

 

Copyright : LUDOVIC MARIN / AFP

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