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28/06/2019

Israël – Au Moyen-Orient, la confusion s’ajoute à la confusion

Trois questions à Dominique Moïsi

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Israël – Au Moyen-Orient, la confusion s’ajoute à la confusion
 Dominique Moïsi
Conseiller Spécial - Géopolitique

Alors que s’est tenue les 25 et 26 juin derniers la Conférence de Manama, au Bahreïn, la situation politique en Israël semble tendue, et le résultat des deuxièmes élections prévues en septembre devrait avoir des conséquences sur la ligne politique du gouvernement. Comment expliquer la difficulté de Benjamin Netanyahou à former une coalition en mai dernier ? Son parti est-il menacé, ou le menace-t-il ? Quelles conséquences sur le plan de paix proposé par Jared Kushner ? Dominique Moïsi, conseiller spécial géopolitique, répond à nos questions.

Comment expliquer l’incapacité de Benjamin Netanyahou à former une coalition en mai dernier, à la suite des élections législatives du 9 avril ?

Il y a une dimension shakespearienne dans la situation actuelle, avec la volonté d’un homme qui s’est senti humilié par Benjamin Netanyahou de l’empêcher de constituer une majorité. Cet homme est l’ancien Ministre de la Défense, Avigdor Liberman, et le coeur du débat est le statut des jeunes juifs orthodoxes par rapport à l’armée: doivent-ils faire leur service militaire ? Pour Lieberman, ce statut particulier ne doit pas exister, il y va de l’unité du peuple israélien ; pour Benjamin Netanyahou, qui dépend des partis très religieux, il faut bien céder sur ce point, même si spontanément lui-même irait vers plus d’universalité dans le traitement de la question. À partir de là, Benjamin Netanyahou a été contraint de mettre en oeuvre la dissolution, ce que lui reprochent désormais beaucoup de personnes dans son entourage et plus particulièrement dans son parti, le Likoud.

La vraie question est de savoir si cet épisode est une simple parenthèse, et si Benyamin Netanyahou sera réélu en septembre, ou s’il s’agit d’un vrai tournant politique.

La vraie question est de savoir si cet épisode est une simple parenthèse, et s’il sera réélu en septembre, ou s’il s’agit d’un vrai tournant politique. Même s’il est réélu en septembre faute d’une sérieuse opposition, Netanyahou sera-t-il toujours Netanyahou ? Ce qu’il vient de se passer pourrait-il être toute proportion gardée pour Netanyahou l’équivalent de la défaite qu’a connu à nouveau Recep Tayyip Erdogan dans sa volonté de ne pas céder la municipalité d’Istanbul ? On peut en effet penser que Netanyahou, même si ses adversaires ne se sont pas renforcés, va aborder ce deuxième scrutin dans une position plus fragile.

D’abord, les électeurs n’aiment pas revoter. Ensuite, les juges "courent après lui" pour des affaires de corruption. Pour l’opposition israélienne, Netanyahou a absolument besoin de rester au pouvoir pour ne pas se retrouver en prison.

Le parti de Benjamin Netanyahou est-il menacé ?

Il y a au sein du Likoud des "éléphants" qui commencent à exprimer leur frustration par rapport au mode de gestion du pouvoir de plus en plus centralisateur de Netanyahou, et même ce qui est dénoncé comme de l’autoritarisme. Depuis quelques jours, certaines voix disent que cette deuxième élection n’est peut-être pas nécessaire, et discutent la légalité du processus. Là encore, le parallélisme avec Erdogan continue. Le parallélisme tient à la personnalité des hommes et à leur pari de retour devant l’électeur, contraint et forcé pour Netanyahou, choisi pour Erdogan. On retrouve dans les deux situations une très forte personnalité qui bat des records de longévité au pouvoir, qui devient à chaque fois plus sûr de lui-même, et perd le lien non seulement avec le peuple, mais avec son parti, avec une irritation toujours plus grande autour de sa personne et de ses choix. On le voit bien en Turquie, au lendemain de la défaite assez humiliante d’Erdogan à Istanbul. Il y a une sorte de montée des oppositions et des critiques au sein de l’AKP et du Likoud. La grande différence est qu’en Turquie est apparu un candidat d’opposition crédible et réel qui peut menacer Erdogan à terme, alors qu’en Israël,  Ehud Barak est revenu dans le jeu mais il est peu probable qu’il s’impose : il était rejeté il y a à peu près dix ans, pourquoi reviendrait-il aujourd’hui à 77 ans ? Benny Gantz et son parti "bleu blanc" a échoué au printemps, pourquoi réussirait-il à l’automne, à moins d’une aide massive de la justice israélienne ?

En quoi l’échéance électorale nouvelle a-t-elle fragilisé ou facilité le plan de paix défendu par Jared Kushner à Bahreïn les 25 et 26 juin ?

L’influence du report de ces élections est en réalité minime car le plan de paix proposé par les Etats-Unis n’avait de toute manière aucune chance d’être accepté par les Palestiniens et l’essentiel de la communauté internationale. Pourquoi ? Pour citer la Bible, car l’Homme ne vit pas que de pain, et que l’on achète pas un peuple avec un gros chèque. Il est déjà très difficile d’acheter son peuple, les Algériens en sont la démonstration, ils ont gagné du temps en 2011 en déposant un énorme chèque pour la paix civile mais les problèmes structurels de l’Algérie n’ont fait que s’aggraver depuis, et l’humiliation s’est rajoutée à la colère. Mais acheter un peuple qui n’est pas le sien, surtout le peuple palestinien, me paraît irréaliste. Leur dire qu’ils vivront prospères et heureux grâce aux $50 Mds que l’on met sur la table, c’est oublier les émotions, le rôle que jouent les questions de territoire et de souveraineté qui ne sont pas abordées dans le plan de paix Kushner.

Sur ce plan-là, avec un peu de cynisme, on peut dire que le nouveau calendrier électoral en Israël a donné à Jared Kushner un argument supplémentaire pour dissocier le volet économique des négociations du volet politique, qui attendront la constitution d’un nouveau gouvernement israélien après les élections de mi-septembre. À Bahreïn cette semaine, seul le volet économique a été traité, avec l’idée que la carotte, les $50 Mds, précède le bâton, la disparition de la solution à deux Etats.

Le plan de paix proposé par les Etats-Unis n’avait de toute manière aucune chance d’être accepté par les Palestiniens et l’essentiel de la communauté internationale.

Sur le fond, cette évolution politique israélienne ne change pas la situation car les chances du plan de paix Trump-Kushner me paraissaient inexistantes, mais elles rendent la situation plus fluctuante en introduisant une incertitude : que se passerait-il si Netanyahou était battu, si entre juin et novembre 2019 il y avait un gouvernement israélien plus faible, ou plus à gauche, qui dirait que le plan de paix ne lui convient pas, qu’il est contraire aux intérêts à long terme d’Israël ? Nous ne sommes pas du tout dans ce cas de figure.

La tenue de nouvelles élections en Israël modifie-t-elle les relations avec l’Iran? Les Iraniens seront-ils plus durs et radicaux en se disant qu’il n’y a pas de gouvernement en Israël, juste un gouvernement de transition ? Là encore, je ne le pense pas car les Iraniens sont relativement prudents. Néanmoins, le nouveau vote en Israël ajoute un élément de confusion dans la situation au Moyen Orient. Benjamin Netanyahou annonce de nouvelles élections au moment ou les Etats-Unis présentent un plan de paix, et où la tension Etats-Unis-Iran devient plus grande encore.
 

Copyright : GIL COHEN MAGEN / AFP

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