AccueilExpressions par Montaigne6 mois de Giorgia Meloni, une présidence "normale" ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.19/04/20236 mois de Giorgia Meloni, une présidence "normale" ? Europe Coopérations internationalesImprimerPARTAGERAuteur Marc Lazar Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie Meloni, une présidente "normale" ? Six mois après son accession à la tête de l’Italie le 22 octobre dernier, quel bilan provisoire peut-on dresser ? Alors que son élection avait suscité son lot d'inquiétudes, en particulier s'agissant d'une possible résurgence du fascisme en Europe, la dirigeante semblerait se plier au jeu des institutions. Tout n'est évidemment pas si simple, comme nous l'explique Marc Lazar dans son papier. Si la Présidente du Conseil demeure populaire, le déficit public la contraint lourdement en matière de politique économique. Empêchée de se livrer à un bras de fer avec l’Union européenne, elle poursuit une véritable bataille culturelle "à droite toute", sur les questions d'immigration en particulier. De quoi tenir sa coalition présumée fragile ? L'avenir nous le dira.Le renversement de perspective à propos de l’Italie est saisissant. Le scrutin du 25 septembre dernier, marqué par la victoire de la coalition de droite largement dominée par les 26 % de suffrages obtenus par le parti Frères d’Italie, puis l’accession de sa dirigeante, Giorgia Meloni, à la Présidence du Conseil des ministres le 22 octobre 2022, avaient alarmé les médias internationaux bien davantage que la presse italienne. Cent ans après, presque jour pour jour, l’arrivée au pouvoir de Benito Mussolini, le spectre du fascisme, semblait resurgir avec cette femme qui se présente comme une "underdog", pour reprendre sa propre expression, issue de cette famille politique. Les scenarii les plus noirs proliféraient : l’Italie se dirigeait vers une démocratie illibérale, quant à l’Europe elle risquait de perdre l’un de ses membres fondateurs.Six mois après, ces inquiétudes se sont dissipées. Giorgia Meloni apparaît méconnaissable - finis, ou presque, les discours enflammés, les polémiques cinglantes, les attaques contre Bruxelles, les propos ravageurs sur les migrants, les attaques contre les théories du genre, les dénonciations virulentes du "politiquement correct". Nombre d’observateurs en viennent à louer son indéniable habileté politique et à souligner son attitude responsable par rapport à la Commission européenne et, plus généralement, envers l’Union européenne. Giorgia Meloni semble illustrer une nouvelle fois la fameuse phrase du roman Le Guépard de Tomasi di Lampedusa, "Il faut que tout change pour que rien ne change". Mais qu’en est-il réellement ? Où en est Giorgia Meloni ? Que fait son gouvernement ? Quel est l’état du pays ? Une popularité qui n'est pas démentieAvant tout, Giorgia Meloni se trouve dans une situation particulièrement avantageuse. En mars, elle continuait de jouir d’une popularité élevée en tant que chef du gouvernement, 51 % d’opinions favorables selon IPSOS Italie, même si c’est sept points de moins qu’en novembre et décembre derniers. Au même moment, son parti est crédité de plus de 30 % d’intentions de vote, un pourcentage supérieur à celui obtenu aux élections législatives, toutefois très légèrement inférieur aux scores record de la fin 2022.Trois principaux facteurs expliquent ce que les Italiens appellent la "lune de miel" de Giorgia Meloni. D’une part, la première femme dans l’histoire de l’Italie à exercer la fonction de Président du Conseil apparaît comme une femme neuve en politique, bien qu’elle se soit engagée très jeune, à 15 ans, dans l’organisation de jeunesse du Mouvement Social Italien et bénéficie donc, trente-et-un an plus tard, d’une longue expérience de militance derrière elle.D’autre part, l’exécutif actuel est directement issu du vote des Italiens, ce qui n’était pas arrivé depuis 2008, tous les autres gouvernements ayant résulté de différents accords entre les partis au Parlement en l’absence d’un résultat net sorti des urnes. Non seulement cela satisfait ses soutiens mais encore cela interdit toute critique contre les arrangements des parlementaires : les Italiens qu’ils soient en faveur ou pas de cette majorité apprécient cette clarification politique.Enfin, pour la plus grande satisfaction de Giorgia Meloni, l’opposition éclatée se montre incapable d’adopter une stratégie commune, ce qui contribue à rendre compte de ses lourds échecs aux élections régionales qui ont eu lieu depuis le 25 septembre. Les élections primaires du Parti démocrate (PD) le 26 février de cette année ont porté Elly Schlein, 35 ans, au poste de secrétaire. Elle se positionne plus à gauche que son prédécesseur, Enrico Letta, ce qui ne va pas sans susciter un certain malaise des composantes les plus modérées du PD. Cette figure assez neuve en politique a enclenché une petite dynamique ascendante. Nombre de jeunes ont rejoint le parti, ce qui fait penser à ce qui s’était produit avec Jeremy Corbyn dans le parti travailliste britannique, et les sondages enregistrent un petit frémissement au détriment du Mouvement 5 étoiles qui cherche à résister à cette pression, la compétition entre les deux se faisant âpre. Quant à ce que l’on a appelé le Troisième pôle formé de l’alliance entre deux hommes politiques issus du PD, l’ancien président du Conseil Matteo Renzi, dirigeant de son petit parti Italia Viva, et l’ancien ministre du Développement économique Carlo Calenda, avec sa formation, Action, n’a pas réussi à s’imposer. Les résultats en septembre dernier de ce regroupement centriste ont été mauvais (7,7 %) de même pour tous les autres scrutins qui se sont déroulés par la suite, et les tentatives de donner naissance à un parti unique ont échoué. L’économie comme prioritéL’économie a constitué la priorité de Giorgia Meloni. À cet égard, sa marge de manœuvre s’avère fort limitée. D’abord, parce que le gouvernement de Mario Draghi avait mis en place les grandes orientations du Plan national de résilience et de relance qui permet à l’Italie de bénéficier de 195,5 milliards d’euros : l’exécutif qui lui a succédé les a maintenues malgré quelques tensions au sein de la majorité avec Forza Italia de Silvio Berlusconi et de la Ligue de Matteo Salvini, lesquels avancent des propositions antagoniques, correspondant aux attentes divergentes de leurs électorats. Cependant, la mise en place du plan a pris du retard et certaines administrations se montrent incapables d’utiliser les ressources allouées : aussi la Commission européenne exerce-t-elle une forte pression pour que soient atteints les objectifs et respectés les délais fixés. Ensuite, parce que le fardeau de la dette publique - près de 147 % du PIB - et un déficit public à 4,6 % affaiblissent Rome dans les négociations avec les autres pays membres et Bruxelles. Il n’en demeure pas moins que Rome a agi avec succès pour que le Net Zero Industry Act mentionne la promesse de réviser le pacte de stabilité et de croissance.Cependant, la dette italienne reste un problème. Cela explique pourquoi le gouvernement n’a pas engagé un bras de fer avec la Commission comme avait tenté de le faire en 2018 le gouvernement Ligue-Mouvement 5 étoiles emmené par Giuseppe Conte. L’exécutif a décidé de crédits d’impôts, d’une réduction de la TVA sur le gaz, apporté de l’aide à certains secteurs économiques et à des familles en difficulté tout en s’efforçant d’assainir les comptes publics. Il a aussi pris des mesures liées à son positionnement politique. Il a engagé une réforme du revenu de citoyenneté qui entrera en vigueur à partir du 1er janvier 2024 et qui, de facto, supprime cette mesure phare du gouvernement de Giuseppe Conte et du Mouvement 5 étoiles. Il a facilité le paiement en liquide et décidé d’autres réductions d’impôts en faveur des artisans, commerçants, chauffeurs de taxis et autres petits entrepreneurs qui constituent une composante notable de son électorat. Le gouvernement a présenté au mois d’avril ses prévisions ; une croissance de 0,9 % en 2023 et 1,9 % en 2024, une dette qui passerait en 2023 à 142,1 % du PIB et 141,4 % l’année suivante, le déficit tombant à 4,35 % en 2023 et 3,7 % en 2024. En revanche, le chômage à la fin de 2022 tournait autour de 8 %, celui des jeunes dépassant les 22%, l’inflation restait élevée, 8,1 % en 2022, mais devrait tomber à 6 % en 2023, et le pouvoir d’achat des Italiens est sérieusement affecté.Giorgia Meloni, contrainte et forcée, s’inscrit globalement dans la continuité de l’action de Mario Draghi en matière économique au risque de décevoir les électeurs qui ont cru à ses multiples promesses électorales. Il lui faut donc marquer sa différence et entretenir la flamme idéologique et politique de son parti afin de consolider ses assises et d’essayer d’attirer encore plus d’électeurs des partis alliés, notamment ceux de la Ligue. Aussi, elle prétend vouloir porter à son terme, ce qui est loin d’être acquis et de toute façon prendra du temps, une réforme des institutions pour instaurer le présidentialisme avec élection au suffrage universel du chef de l’État. Dans le même temps, pour satisfaire la Ligue, est engagée une réforme dite de l’autonomie différenciée qui accroîtrait le pouvoir des régions, notamment en matière fiscale, ce qui inquiète les régions méridionales qui redoutent un accroissement des inégalités territoriales.Une bataille culturelle à droite toutePar ailleurs, soit elle directement, soit ses ministres ou ses proches engagent une véritable bataille culturelle. Sont promues des idées de droite radicale, conservatrice, traditionaliste voire franchement réactionnaire, qui se traduisent par des actes. Ainsi en est-il sur l’immigration, le cheval de bataille par excellence de Matteo Salvini et de Giorgia Meloni. Devant l’afflux d’arrivées de migrants et aussi les épouvantables drames de naufrage des embarcations des passeurs, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence pour six mois et nommé un commissaire exceptionnel. Il souhaite supprimer "la protection spéciale", disposition instituée en 2018 et confirmée en 2022, qui consiste à donner un permis de séjour de deux ans renouvelable à des demandeurs d’asile qui n’ont pas obtenu celui-ci mais dont les autorités reconnaissent que des motifs humanitaires pourraient leur permettre de rester en Italie : en 2022, cela concernait 10 825 individus sachant que l’Italie avait enregistré 57 558 demandes d’asile, contre, à titre de comparaison, 156 103 en France et 217 774 en Allemagne. Ces chiffres relativisent l’ampleur du phénomène et démontrent qu’agir sur ce point, en y insistant lourdement dans la communication, relève de la part du gouvernement de la pure propagande politique et de son positionnement idéologique. Ainsi, Giorgia Meloni a-t-elle récemment déclaré que"pour créer de la main d’œuvre, il n’y a pas besoin de migrants, il faut faire davantage travailler les femmes" tandis que l’un de ses proches, le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, Francesco Lollobrigida a fustigé "le remplacement ethnique", version italienne du "Grand remplacement", expression qui figure depuis des années dans tous les textes de Frères d’Italie.D’un côté, Giorgia Meloni entend combattre l’immigration clandestine, durcit la politique d’accueil des migrants et restreint l’accès au droit d’asile ; de l’autre, à la demande des chefs d’entreprise en quête de main d’œuvre dans un pays frappé par la dénatalité et le vieillissement, elle a pris un décret le 9 mars fixant à 82 705 le nombre d’étrangers autorisés à venir travailler en Italie. Un décret-loi du 2 janvier met sous tutelle les ONG qui sauvent les migrants en Méditerranée. En matière de "law and order", Giorgia Meloni fait preuve d’autorité en particulier contre les agissements de groupes anarchistes violents et a pris des mesures pour encadrer l’organisation des rave party dont l’opposition redoute qu’elles puissent s’appliquer un jour à l’encontre des manifestations syndicales et politiques. Autre sujet de société brûlant, celui des enfants issus de couples du même sexe, nés à l’étranger grâce à la GPA interdite en Italie ou à la procréation médicale assistée. Le gouvernement interdit leur enregistrement à l’état civil, ce qui va à l’encontre de la proposition de la Commission européenne en faveur des droits des enfants, quelles que soient les conditions de leur gestation, de leur naissance et de la composition de leurs familles. De même, l’Italie ne s’est pas associée à l’action en justice engagée par la Commission et quinze pays de l’Union européenne contre la loi de protection de l’enfance de 2021 du gouvernement hongrois considéré comme anti LGBTQA+.Par ailleurs, Giorgia Meloni et plusieurs de ses proches ont fait des déclarations qui démontrent leur fidélité au néo-fascisme du Mouvement Social Italien et relèvent d’une forme de révisionnisme historique : cela suscite des polémiques qui certes n’intéressent pas la majorité de la population mais attestent d’une forme de pugnacité idéologique. Plus généralement, c’est tout un esprit national fort semblable dans son expression de celui défendu par le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, très proche de Giorgia Meloni, qui innerve les déclarations et les actes de l’exécutif jusqu’à en arriver à un dépôt de loi punissant d’une amende de 5 000 à 100 000 euros l’emploi d’un mot d’anglais ou d’une autre langue étrangère dans la communication institutionnelle et interdisant les cours en anglais à l’université, à l’exception des cours de langue. L’Europe est conçue comme une Europe des patries, avec la prééminence des nations sur l’Union européenne, et donc du droit national sur le droit européen. Cela soulève une question essentielle : dans un futur plus ou moins proche, la cheffe du gouvernement se rapprochera-t-elle davantage de la Pologne, voire de la Hongrie, en dépit du désaccord avec Orbán par rapport à la Russie, que de l’Espagne, de l’Allemagne et de la France ? Rome a d’ailleurs rompu des lances avec Paris sur divers sujets dont celui de l’immigration ou encore à l’occasion de l’invitation à dîner au Palais de l’Élysée du président Zelensky en février auquel seul le Chancelier allemand fut convié. Cela étant, plusieurs ministres français et italiens, par exemple, ceux de l’économie, de la défense et des affaires européennes, ont engagé des coopérations fructueuses au nom de la raison d’État et de la realpolitik et, presque certainement, il en ira de même entre le chef de l’État et la cheffe du gouvernement.Une coalition toujours robusteGiorgia Meloni reste solidement au poste de commande. Certes, ses alliés tentent de se démarquer et de peser sur les orientations du gouvernement, surtout la Ligue et Forza Italia, les petits partis centristes de la coalition majoritaire n’étant pas en mesure de se faire entendre. Ils redoutent en effet que les Frères d’Italie, notamment aux élections européennes de 2024, les vampirisent complètement afin de jeter les bases d’un grand parti de droite nationale. Matteo Salvini, en perte de vitesse, s’active en ce sens, pas un jour ne passe sans qu’il ne fasse entendre sa voix, tandis que les graves problèmes de santé de Silvio Berlusconi affaiblissent Forza Italia. Les principaux sujets de controverses et de divergences concernent la mise en œuvre du plan de relance (PNRR), l’Union européenne, les nominations des dirigeants des grandes entreprises publiques actées au mois d’avril et pour lesquelles la présidente du Conseil a d’ailleurs dû faire des concessions à ses alliés par rapport à ses plans originaux, ou encore la guerre en Ukraine. Sur ce dernier point, Giorgia Meloni demeure intransigeante et Rome continue de livrer des armes aux troupes de Kiev car il en va de sa crédibilité internationale et de sa volonté non seulement de poursuivre la politique traditionnelle pro-atlantiste de l’Italie mais encore de s’affirmer comme l’une des alliées les plus fidèles de Washington, autant auprès de l’administration Biden que des Républicains.Giorgia Meloni paraît pouvoir demeurer assez longtemps au pouvoir, évitant les chausse-trappes de ses alliés, ripostant aux critiques de ses adversaires, prenant soin aussi de ne pas ouvrir les hostilités avec le président de la République, Sergio Mattarella dont le prestige et la popularité sont considérables, et qui, dans le strict respect des pouvoirs conférés par la Constitution, fait preuve d’une grande vigilance. On voit mal qui pourrait et surtout qui aurait intérêt à déclencher une crise gouvernementale. C’est une autre question de savoir si la durabilité probable de l’exécutif s’accompagnera d’un maintien de sa popularité, car les précédents de Matteo Renzi et de Matteo Salvini, quasi plébiscités par les Italiens avant qu’ils ne s’en détournent rapidement, démontrent la versatilité de l’opinion. Et surtout, il faudra vérifier si la présente stabilité gouvernementale permettra à Giorgia Meloni de relever les grands défis structurels auxquels le pays fait face : la dépendance énergétique - même si les gouvernements Draghi et maintenant Meloni ont considérablement et rapidement réduit leur dépendance envers le gaz russe, la lutte contre le réchauffement climatique, un sujet sur lequel le gouvernement se montre d’une coupable discrétion, la dénatalité qui ne cesse de s’aggraver, l’intégration des millions d’immigrés, le recul de la productivité, le mauvais état des comptes publics, le retard en matière d’éducation, de formation et de recherche, la disparité structurelle entre le nord et le sud du pays ou encore les inégalités de toute nature. 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