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11/05/2023

Après la tempête, quelles conséquences pour l’avenir de la relation franco-italienne ?

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Après la tempête, quelles conséquences pour l’avenir de la relation franco-italienne ?
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Italie, Démocratie et Populisme

Le 4 mai dernier, le ministre de l'Intérieur français dénonçait la gestion de Giorgia Meloni, présidente du conseil italien, "incapable de régler les problèmes migratoires" de son pays. Ces propos ont amorcé une nouvelle crise diplomatique entre Paris et Rome. Pour Marc Lazar, expert associé à l’Institut Montaigne, spécialiste de l'Italie, cette déclaration vient dégrader encore davantage la relation déjà compliquée entre les deux pays. Au-delà de la polémique, cette crise est tout particulièrement intéressante dans la perspective des élections européennes de 2024. Explications.

Comment expliquez-vous la tension qui règne en ce moment entre Paris et Rome, suite, entre autres, aux déclarations du ministre de l’Intérieur ?

Le ministre de l’Intérieur entendait répondre aux critiques formulées contre sa propre politique d’immigration par Jordan Bardella, le Président du Rassemblement national, avec, en outre, l’intention plus générale de décrédibiliser Marine Le Pen. Deux échéances politiques importantes se profilent, les élections européennes l’an prochain d’une part, l’élection présidentielle de 2027 de l’autre. Or, toutes les enquêtes d’opinion démontrent que le Rassemblement national bénéficie d’une dynamique ascendante, accentuée par son comportement durant la mobilisation contre la réforme des retraites : le parti a soutenu cette mobilisation, mais sans adopter l’attitude outrancière de La France insoumise. Gérald Darmanin a donc instrumentalisé la cheffe du gouvernement italien : en dénonçant son incapacité à gérer les flux de migrants, il entend démontrer que si d’aventure Marine Le Pen se trouvait en situation de responsabilité, elle échouerait de la même façon, alors même qu'actuellement à l’opposition, elle ne cesse de donner des leçons à l’exécutif français. Il procède donc à un amalgame entre Giorgia Meloni et Marine le Pen, qui ont certes de nombreux points communs, mais également de réelles divergences.

Ce sujet de politique franco-français a eu un effet immédiat sur la relation franco-italienne. Les médias transalpins ont accordé une immense place aux propos du ministre de l’Intérieur. Le gouvernement italien a réagi avec la plus grande virulence, le sujet de l’immigration étant l’un des motifs de friction avec les gouvernements français depuis une décennie - et d’autant plus depuis l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni, qui a fait de la lutte contre les migrants l’un de ses thèmes de prédilection. Il entend combattre l’immigration de manière résolue, en appelle à la solidarité européenne et accuse la France de repousser les migrants qui tentent de franchir la frontière. De son côté, la France reproche à l’Italie de laisser passer une partie de ces migrants pour leur permettre de rejoindre d’autres pays européens. En d’autres termes, le gouvernement italien a lui aussi instrumentalisé la déclaration de Gérald Darmanin pour des motifs de politique interne.

La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, qui connaît l’Italie car elle y fut ambassadrice, a tenté de calmer le jeu au plus vite. Elle a publié un communiqué le même jour, qui parlait de "respect mutuel" entre la France et l’Italie, de "concertation", "d’esprit apaisé" et de "coopération" en matière de régulation des flux de migrants. Cela n’a pas empêché son homologue Antonio Tajani d’annuler sa venue au Quai d’Orsay le soir même, afin de finaliser la préparation du voyage de la Présidente du Conseil à Paris, prévu pour la fin du mois de juin, et qui s’organisait depuis des semaines entre Rome et Paris. Un voyage qui désormais semble compromis. Le 6 mai, la Première ministre en a également appelé à un dialogue apaisé. Or, alors que la mini-crise diplomatique entre la France et l’Italie semblait se calmer, une phrase de Stéphane de Séjourné, le dirigeant du parti Renouveau a de nouveau mis le feu au poudre. Au détour d’un article du Figaro en date du 10 mai, expliquant qu’en matière d’immigration, "la politique de Meloni est injuste, inhumaine et inefficace", il a aussitôt fait la une des médias italiens, tandis que la presse française demeurait silencieuse. Pour les journalistes transalpins, cette déclaration (dont, à la lecture de l’article du quotidien français, on ne connaît pas la source) attestait la relance de la crise franco-italienne. Je pense que ce type de controverses reviendra assez souvent car le parti Renouveau en France, Frères d’Italie, le parti de Giorgia Meloni, et la Ligue de Matteo Salvini en ont besoin. 

Que révèle cette crise de l’état des relations franco-italiennes ?

Contrairement à ce que l’on croit, cela révèle que nos deux pays entretiennent une relation très compliquée, au moins depuis l’unification italienne à la fin du XIXème siècle. Des deux côtés des Alpes, on rappelle fréquemment que nous sommes des cousins latins, que nous nous aimons passionnément, ce qui permet d’occulter nos différends, nos rivalités et nos antagonismes - lesquels provoquent des polémiques enflammées. Sans vouloir remonter dans le temps et sans aucun souci d’exhaustivité, deux exemples de deux de nos présidents de la Vème République attestent ce que Christian Masset, l’ambassadeur de France en Italie, aime à appeler "le paradoxe de la proximité". François Mitterrand était un amoureux de l’Italie, de Laurent de Médicis et de Venise. Ainsi, à peine élu, il avait lancé les sommets bilatéraux avec le gouvernement italien sur le modèle de ceux qui existaient avec l’Allemagne et le Royaume-Uni. Sous sa présidence, à plusieurs reprises, la France et l’Italie agirent ensemble. En revanche, ce que l’on appelle improprement "la doctrine Mitterrand", qui accorde une protection aux militants de l’ultra-gauche des années de plomb, réfugiés en France, demeure un sujet d’incompréhension de l’autre côté des Alpes et un motif récurrent de friction.

Emmanuel Macron partage également une passion pour l’Italie, pour Eduardo De Filippo et Naples. C’est lui qui a pris l’initiative en 2018 d’élaborer un Traité du Quirinal, pour non seulement graver dans le marbre l’intense coopération bilatérale - la France et l’Italie sont des acteurs économiques majeurs, l’Italie étant le troisième partenaire commercial de la France, premier investisseur dans la péninsule – mais aussi l’approfondir et l’intensifier. Cependant, en 2019, suite aux critiques récurrentes du gouvernement de Giuseppe Conte et de la visite impromptue en France de l’un des deux vice-présidents du Conseil, Luigi Di Maio, dirigeant du Mouvement 5 étoiles, pour soutenir les Gilets jaunes, l’ambassadeur de France fut rappelé à Paris. Un geste sans précédent depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale. La relation s’est fortement réchauffée avec le gouvernement Mario Draghi (février 2021-octobre 2022), durant lequel une sorte "d’entente cordiale" s’est nouée entre les deux capitales, et surtout entre les deux hommes qui s’estimaient réciproquement. La victoire des droites en Italie le 25 septembre et l’installation du gouvernement Giorgia Meloni, le 22 octobre, ont ouvert un nouveau cycle de relation plus tourmentée entre Rome et Paris. Il oscille entre un principe de realpolitik, car nos deux pays ont des intérêts communs à défendre entre eux et au sein de l’Union européenne; et la nécessité pour les deux gouvernements, pour des raisons de politique interne, de se distinguer l’un de l’autre, voire de s’ériger en adversaires respectifs.

Dans la perspective des élections européennes de 2024, cette séquence pourrait-elle contribuer à un rapprochement Meloni-Le Pen ?

Non, cela je ne n’y crois pas. Certes, l’une et l’autre appellent de leurs vœux une union des "patriotes", pour reprendre leurs termes. Mais elles poursuivent des objectifs différents. Giorgia Meloni a une stratégie claire d’institutionnalisation en Italie et maintenant en Europe. Elle, qui vient du fascisme, veut s’ancrer dans les institutions tout en y développant ses idées de droite radicale, nationale, conservatrice et populiste. En Italie, elle fait partie, avec la Ligue et Forza Italia de Silvio Berlusconi, d’une coalition des droites qu’elle domine largement. En tant que Présidente du parti des Conservateurs et réformistes européens (CRE), elle voudrait tenter la même chose l’an prochain au niveau européen, avec néanmoins une hésitation encore non résolue. Soit elle tentera de rejoindre le Parti populaire européen (PPE) pour l’infléchir vers la droite, parachever sa propre institutionnalisation et renforcer ainsi sa crédibilité, soit elle proposera en bonne et due forme, une alliance entre le CRE et le PPE pour mettre un terme au jeu traditionnel alliance entre le PPE et le Parti socialiste européen (PSE) qui se met en place après les scrutins électoraux. Ce projet suscite l’intérêt de certains représentants du PPE, à commencer par Manfred Weber, dirigeant de l’Union chrétienne-sociale (CSU), président du groupe parlementaire du PPE, qui a rencontré Giorgia Meloni. Toutefois, au sein du PPE, beaucoup de partis et d’élus de la droite modérée s’y opposent résolument. Si ce projet se réalisait, cela marquerait un tournant au Parlement européen avec des conséquences considérables sur l’ensemble de l’UE. La majorité en France et le parti Renouveau l’ont bien compris et c’est ce qu’ils entendent combattre.

On peut donc dire que la campagne des élections européennes, avec en ligne de mire la présidentielle trois ans plus tard, a commencé en France et en Italie. De son côté, le Rassemblement national ne se situe pas dans ces perspectives. Il ne siège pas dans le même groupe que Frères d’Italie au Parlement européen : il est, avec la Ligue, rattaché à Identité et démocratie et Marine Le Pen a récemment rappelé dans un entretien donné au quotidien italien La Repubblica que son allié en Italie était Matteo Salvini, et pas Giorgia Meloni. Le RN ne veut pas d’une alliance des droites, du moins pour le moment. Le RN et Frères d’Italie sont tous les deux critiques de l’Union européenne, souverainistes, nationalistes, populistes, hostiles à l’immigration et pourfendeurs de l’Islam. Mais ils divergent à propos de la guerre en Ukraine, en matière de politique économique (Giorgia Meloni combine du libéralisme et du protectionnisme, alors que Marine le Pen dit défendre l’État social, réservé aux Français) et sur les questions de société, la dirigeante italienne étant plus conservatrice que la française. Enfin, il y a désormais une rivalité personnelle entre les deux femmes qui aspirent toutes les deux à s’ériger en figure de proue au niveau européen. Par conséquent, pour le moment, je ne vois pas de rapprochement possible entre elles et leurs partis, même si Jordan Bardella, à titre personnel, est sans doute fort proche de la Présidente du Conseil italien.

 

Copyright Image : Alberto PIZZOLI / AFP

La Première ministre italienne Giorgia Meloni s'exprime lors d'une conférence de presse à Rome le 11 novembre 2022. Elle y a condamné la "réaction agressive" du gouvernement français concernant l'accueil d'un navire de sauvetage de migrants rejeté par Rome.

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