AccueilExpressions par MontaigneGaza : la trêve humanitaire peut-elle infléchir le cours du conflit ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.28/11/2023Gaza : la trêve humanitaire peut-elle infléchir le cours du conflit ? Moyen-Orient et AfriqueImprimerPARTAGERAuteur Michel Duclos Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie La rencontre du G7 à Tokyo le 9 novembre a officiellement assorti le soutien à Israël de conditions, dont résulte l’actuel cessez-le-feu, tout juste prolongé de 48 heures.Stratégie sur le front nord contre le Hezbollah, sort des otages, pressions des opinions publiques émues par l’horreur de la situation humanitaire à Gaza, éventuelles dissensions concernant l’Autorité palestinienne : quel tournant peut prendre le conflit après la trêve et quel rôle les Européens sont-ils amenés à jouer ? Michel Duclos nous offre son regard d’analyste et d’ancien diplomate.Les déclarations du Secrétaire d’État américain à la rencontre ministérielle du G7 à Tokyo le 9 novembre marquaient clairement les limites du soutien américain à Israël dans la crise actuelle : refus d’un transfert de la population de Gaza ailleurs que dans l’enclave, rejet de l’occupation de celle-ci par Israël une fois le conflit actuel terminé, condamnation des exactions commises par les Israéliens en Cisjordanie, demande d’un accès humanitaire élargi pour la population de Gaza et d’une limitation des pertes civiles dans les attaques d’Israël contre le Hamas. Tout ou partie de ces exigences se retrouvent dans la tribune que le président Biden a signée quelques jours plus tard dans le Washington Post. Par ailleurs, les États-Unis ont travaillé d’arrache-pied, avec le Qatar, l’Égypte et bien sûr Israël, pour obtenir la "trêve humanitaire", qui a commencé le 25 novembre, permettant la libération d’une partie des otages détenus par le Hamas en échange de l’élargissement de prisonniers palestiniens des geôles israéliennes. On peut se demander si les positions de l'administration américaine répondent principalement ou non à des considérations de politique intérieure. Une composante du parti démocrate - et des fonctionnaires du Département d’État et d’autres agences - fait entendre une musique critique à l’égard de l’engagement de l’Administration aux côtés de l’État juif. Surtout, un sondage Ipsos datant de la mi-novembre montre qu’une majorité d’Américains (67 %) redoutent que leur pays ne s’engage dans une nouvelle "guerre sans fin au Proche-Orient" et souhaitent (à 68 %) un cessez-le-feu. La trêve conclue initialement pour 4 jours a finalement été prolongée de deux jours, conformément à ce que souhaitaient les Américains. Les images venant de Gaza - au Nord comme au Sud - montrent au monde, comme on pouvait le prévoir, des scènes d’apocalypse. Les scènes de retrouvailles entre les otages israéliens libérés, souvent des enfants, et leurs familles sont déchirantes.[Israël] n’a nullement atteint son objectif officiel d’élimination de la menace militaire du Hamas. Il sait que plus la trêve dure, plus il sera difficile de justifier la reprise des combats.Notons à ce sujet deux points : ces échanges portent pour l’instant presque uniquement sur des femmes et des enfants ; il est probable que le Hamas ne se séparera pas facilement des captifs hommes qu’il détient et notamment des militaires (de même les femmes militaires). En second lieu, même sur ce terrain de l’échange des prisonniers, le Hamas paraît avoir renforcé son image dans la population palestinienne (selon un sondage, trois quarts des Palestiniens approuvent l’action du Hamas du 7 octobre). Du côté d’Israël, l’opinion paraît divisée ; la fraction la plus à droite désapprouve l’échange prisonniers contre otages, mais selon un sondage publié par le journal israélien Maariv, 49 % des personnes interrogées préfèreraient un report de l’offensive terrestre (29 % soutenant une reprise immédiate et 22 % étant indécis).Cette dernière observation constitue un premier élément pour alimenter la réflexion sur la dynamique du conflit post-trêve humanitaire. Israël peut difficilement entrer dans la logique d’un cessez-le-feu à ce stade. Il n’a nullement atteint son objectif officiel d’élimination de la menace militaire du Hamas. Il sait que plus la trêve dure, plus il sera difficile de justifier la reprise des combats. Sa campagne a de surcroît plutôt renforcé jusqu’ici le prestige du Hamas sur la scène palestinienne, ce qui est, en soi, un problème pour la suite. La question des otages peut d’ailleurs jouer dans le sens d’une prolongation du conflit : s’il n’y a pas de perspective claire d’une libération possible des otages autres que "les femmes et les enfants", le gouvernement israélien peut se sentir un devoir supplémentaire de poursuivre l’anéantissement de Gaza. Il est à craindre en fait que les combats se prolongent encore plusieurs semaines, éventuellement entrecoupés d’autres trêves. Et cela d’autant plus que le Premier Ministre Netanyahou voit certainement dans la prolongation de la guerre un moyen d’éviter sa chute et les poursuites judiciaires qui l’attendraient dans ce cas.D’autres éléments peu encourageants ressortent de contacts que l‘on peut avoir avec les observateurs de la scène israélienne. D’une part, il semble que l’establishment militaire continue de réfléchir à une opération contre le Liban -"le front Nord"- pour réduire la menace du Hezbollah. D’autre part, rien n’indique que les autorités israéliennes se projettent dans l’après conflit et soient prêtes par exemple à changer leur regard négatif sur l’Autorité Palestinienne - que de leur côté Américains et Européens recommencent à cultiver pour pouvoir lui faire jouer un rôle dans "le jour d’après". Il serait important que les alliés d’Israël apportent à celui-ci un soutien clairement conditionnel, dans la ligne de ce qui a été discuté dans le cadre du G7.Peut-être faut-il également observer que c’est désormais toute la région qui, outre le Liban, se trouve dans un état de tension élevée - si l’on prend par exemple l’Irak et la Jordanie mais indirectement les États du Golfe (menaces houthie, voire iranienne) ou une Syrie plus que jamais zone libre pour les milices de toutes sortes. Comment faire en sorte que l’après trêve puisse malgré tous ces éléments marquer une inflexion positive dans la suite du conflit ? Sans prétendre à aucune exhaustivité, voici quelques orientations qui mériteraient d’être explorées : Il serait important que les alliés d’Israël apportent à celui-ci un soutien clairement conditionnel, dans la ligne de ce qui a été discuté dans le cadre du G7 : la population de Gaza et de Cisjordanie doit impérativement être ménagée et l’horizon d’une solution à deux États doit réapparaitre dans le discours des Israéliens. L’accès humanitaire à la population de Gaza doit être renforcé, éventuellement en faisant appel à des solutions imaginatives ; peut-être par exemple les Européens en particulier - qui dans cette crise ne brillent ni par leur unité ni par leur activisme - pourraient-ils ouvrir une voie d’acheminement de l’aide à Gaza par la mer pour doubler l’accès terrestre par l’Égypte.Le moment est venu d’un dialogue approfondi avec les États arabes modérés, dès lors que le soutien américain et européen à Israël serait affiché comme clairement conditionnel. C’est en effet d’abord avec l’Arabie Saoudite, d’autres États du Golfe, l’Égypte et la Jordanie que devront être gérés en particulier, après le conflit, la gouvernance de Gaza et la réhabilitation d’une Autorité palestinienne capable de nouveau d’assumer son rôle. Il faut rappeler que les dirigeants de ces pays ne portent certainement pas le Hamas dans leurs cœurs mais doivent tenir compte -au moins dans une certaine mesure- de leurs opinions. Nous serions dans notre rôle [...] pour 1/ pousser des formules d’aide humanitaire à Gaza plus fortes 2/ consulter de manière approfondie les États arabes modérés pour préparer une plateforme commune [...] sur "le jour d’après".Quel rôle pour la France ? La réception à l’Élysée puis au Quai d’Orsay le 22 novembre d’une délégation des États arabes de la région (qui font le tour des Membres permanents du Conseil de Sécurité) n’a pas fait l’objet d’annonces fracassantes. On ne sait pas si la singularité française - appel à un cessez-le-feu immédiat - a renforcé notre main auprès des pays arabes. De toute façon, nous serions dans notre rôle dans une action pour 1/ pousser des formules d’aide humanitaire à Gaza plus fortes 2/ consulter de manière approfondie les États arabes modérés pour préparer une plateforme commune entre ceux-ci et certains Européens sur "le jour d’après" (gestion de Gaza, réhabilitation d’un interlocuteur palestinien) - en bonne intelligence avec les États-Unis. Il conviendrait que cette dernière ligne d’action, contrairement aux habitudes de nos dirigeants, soit menée de manière discrète.Copyright image : JONATHAN ERNST / POOL / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 18/10/2023 Raisons, déraisons, émotions : la contre-offensive à Gaza décryptée par nos... Patrick Calvar Michel Duclos François Godement Dominique Moïsi Bruno Tertrais 11/10/2023 Conflit en Israël : quelles cordes de rappel internationales ? Michel Duclos 12/10/2023 La République de Tel-Aviv et le Royaume de Jérusalem réunis face à l'horreu... Dominique Moïsi