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18/10/2023

Raisons, déraisons, émotions : la contre-offensive à Gaza décryptée par nos experts

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Raisons, déraisons, émotions : la contre-offensive à Gaza décryptée par nos experts
 Patrick Calvar
Auteur
Expert Associé - Sécurité
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie
 François Godement
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Asie et États-Unis
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique
 Bruno Tertrais
Auteur
Expert Associé - Géopolitique, Relations Internationales et Démographie

Dix jours après l’attaque terroriste du Hamas, et alors que les troupes de Tsahal à terre n’ont pas encore lancé l’assaut contre Gaza, comment comprendre les dynamiques en cours ? Face à une situation en perpétuelle évolution, cernée par les incertitudes et les risques, où le moindre propos est soumis au feu roulant des critiques, nos experts reviennent sur les principaux aspects de la crise. Entre raisons, déraisons et émotions, le poids du tragique se mêle aux conséquences stratégiques. 

Enjeux stratégiques, contraintes tactiques, poids des opinions publiques, long-terme des visions diplomatiques : quatre de nos experts livrent leurs points de vue singuliers sur le sujet. 

Bruno Tertrais - Les conséquences stratégiques de la riposte terrestre d’Israël : un retour à l’anormal est-il possible ?
"Du Hamas à Netanyahou en passant par les accords d’Abraham : tous perdants

Buts de guerre

La contre-offensive qui se prépare est d’une complexité et d’une ampleur rarement rencontrées, dont l’objectif est l’éradication des capacités militaires du Hamas. En rappelant que chaque combattant du Hamas doit se considérer comme un homme mort, Israël espère aller au-delà du simple rétablissement de la dissuasion. On opposerait qu’il semble difficile de dissuader un mouvement extrémiste dont l’objectif n’est autre que de faire partir les Juifs d’Israël mais, s’il est vrai qu’en termes stratégiques, le but final du Hamas est total, il n’est pas interdit que le mouvement opère, en termes tactiques, un repli temporaire. 

Rappelons également que les responsables politiques israéliens ne se sont pas prononcés sur une éradication politique du Hamas. En effet, la capacité du Hamas à gouverner tout ou partie de la bande de Gaza n’est pas en jeu à ce stade : si le Hamas ne gouvernait plus à Gaza, qui le remplacerait ? 

Quant à la question des otages, dont le nombre est régulièrement revu à la hausse, elle n’est pas prioritaire. C’est à première vue la doctrine Hannibal de 1986 qui prévaut, doctrine selon laquelle, en cas de prise d’otages, la force peut être utilisée massivement, y compris au risque de tuer l’otage. Face aux terribles chiffres des 1400 morts en quelques jours, il sera difficile pour Israël de négocier leur sort, mais il l’a fait par le passé.

La force des images

Face à la contre-offensive, la question du récit et des images sera cruciale. Or, force est de constater les excès rhétoriques des commentateurs israéliens, dont certains procèdent à des rapprochements douteux, s’autorisant ainsi, à propos de la riposte israélienne sur Gaza, d’une comparaison avec le pilonnage de Dresde par la Royal Air Force du 13 au 15 février 1945 pour dire que tous les Gazaouites sont coupables. Ces excès rhétoriques limitent la portée de la communication de guerre et nuisent à la lucidité stratégique. On sait combien certaines images ont pu contribuer à orienter des décisions par le passé. L’exemple des bombardements de la ville libanaise de Cana en 2006, lors du conflit israélo-libanais, en témoigne. Les dirigeants sont réceptifs à ces images et leur impact est lourd de conséquences. 

Israël sera confrontée à un ou plusieurs épisodes de dommages collatéraux massifs, [...] Comment maintenir, alors, l’acceptabilité du récit israélien ?

De plus, Israël sera confrontée, c’est inévitable, à un ou plusieurs épisodes de dommages collatéraux massifs, intentionnels ou non, avec des victimes civiles en nombre important. Comment maintenir, alors, l’acceptabilité du récit israélien ? Côté arabe, les images ayant leur propre logique, quand des dommages collatéraux seront avérés, l’impact des tragédies à Gaza pourrait influencer la décision d’entrer ou non dans la guerre. 

Au fond, tout le monde risque d’être perdant. Perdant, le Hamas, qui, après avoir remporté un succès opérationnel au-delà de ses espérances, perdra sans doute encore au-delà de ses craintes, perdant, Benjamin Netanyahou, perdants, les accords d’Abraham, tout comme le processus de paix : même s’il est sans doute trop rapide de faire de l’assaut du Hamas la conséquence directe des accords d’Abraham - cette opération est en réalité préparée depuis deux ans -, la volonté de mettre fin pour longtemps à tout processus de normalisation des relations entre Juifs et Arabes risque d’être couronnée de succès à moyen terme. On voit certains des acteurs de cette normalisation déjà en mauvaise posture : ainsi de Mohammed ben Salman, qui avait activement œuvré au rapprochement de l’Arabie Saoudite avec Israël et avec le Qatar et dont la position est d’autant moins assurée qu’il n’est pas roi. 

Néanmoins, peut-on dire qu’il n'y a plus, désormais, aucun espoir ? Certes, les manifestations pro-Palestine en cours au Maroc montrent l’échos des événements dans l’opinion publique et risquent de mettre en pause le rapprochement de Mohammed VI avec Israël, certes, la force des émotions substitue ses mobiles erratiques à toute forme de calculs, certes, l’impact du tweet pro-palestinien du footballeur Karim Benzema dimanche 15 octobre montre les clivages à l’œuvre dans les opinions, certes, encore, Israël est face au dilemme impossible de n’avoir, pour toute solution politique, que celle de ressusciter l’Autorité Palestinienne, qu’elle achèvera de condamner par le fait même que c’est elle qui tentera de la soutenir.

Certes, donc, l’heure est désespérante, mais, désespérée, peut-être pas : le monde arabe a maintes fois témoigné de la souplesse dont savait faire preuve sa diplomatie et, pour l’instant, on constate la relative retenue du Hezbollah et de l’Iran, au-delà des discours enflammés et des tirs de missiles à Shtula, le long de la frontière libanaise. 

L’heure est désespérante, mais, désespérée, peut-être pas : le monde arabe a maintes fois témoigné de la souplesse [de] sa diplomatie.

Dominique Moïsi - Quelles seront les conséquences de la contre-offensive sur la politique et la société israélienne ?
"Une société blessée, réunifiée, résiliente et en colère"

Israël, en ces heures noires, se trouve face à un dilemme dont les termes sont les suivants : comment recouvrer ou conserver simultanément une crédibilité stratégique, une crédibilité auprès de sa population et une crédibilité face au monde, sans tomber dans le piège du Hamas et sans s’isoler, pour ne pas faire le jeu de ses ennemis ? 

Concernant le rapport du gouvernement à la société israélienne, après la sidération, après la volonté de revanche, il reste la colère contre Benjamin Netanyahou. Lui, qui avait la ligne sécuritaire la plus dure, est celui sous le mandat duquel la situation sécuritaire a connu la pire crise. À cet égard, le Hamas a réussi à réconcilier les Israéliens entre eux - pour un court laps de temps - et la popularité du Premier Ministre s’est effondrée. La résilience et la solidarité des Israéliens les surprennent eux-mêmes. Nombreux sont-ils, parmi ceux qui travaillaient et séjournaient à l’étranger, à avoir décidé de tout quitter et de combattre pour leur pays et les récits d’actes héroïques se multiplient. 

Une partie de la gauche considère qu’Israël [...] a sa part de responsabilité dans le cours tragique des événements.

Bien sûr, une partie de la gauche considère qu’Israël récolte les conséquences d’une situation palestinienne laissée à sa catastrophique jachère et que la nation a sa part de responsabilité dans le cours tragique des événements. Bien sûr, la droite réfute absolument toute considération de cette nature. Mais un consensus existe néanmoins : l’heure présente ne se prête pas à ce type de débat.

Il resterait aux Israéliens à réussir à combattre totalement la barbarie tout en tentant, avec une égale intégrité, de comprendre ses causes, dans un souci de clarté morale. Or, Israël risque, demain, d’être plus radicale, plus à droite encore, une fois que les comptes avec Benjamin Netanyahou auront été soldés. 

Concernant la crédibilité face au monde, elle dépend de la capacité, chez les soldats qui s’apprêtent à entrer dans Gaza, à tirer les leçons de l’expérience étasunienne des années 2001 et à échapper au piège que représente l’occupation. Tsahal fait face au dilemme de sauvegarder la vie des civils palestiniens en privilégiant une offensive terrestre ou de préférer des opérations aériennes qui exposent moins ses soldats mais laissent plus distinguer difficilement entre civils et militaires et nuisent davantage à son image. Israël a averti les habitants de Gaza avant le lancement de la riposte, tandis que le Hamas, prêt à sacrifier les civils et à en faire des boucliers humains, leur intimait de rester. Les Gazaouites, on le constate, ont voté par leurs pieds et ont massivement cherché à quitter la zone. 

La crédibilité face au monde dépend également du décalage des perceptions dans les opinions publiques, et il est radical : d’un côté, Israël reconnaît les horreurs d’un nouveau pogrom, de l’autre, les Palestiniens, les Arabes voire le “Sud global” voient dans la contre-offensive d’Israël la démonstration, une nouvelle fois, de ce qu’une vie arabe compte moins qu’une vie occidentale. Les considérations juridiques du droit international, alors, deviennent secondaires au regard de l’acuité des questions de mémoire, de perception et de communication. 

Les Palestiniens, les Arabes voire le “Sud global” voient dans la contre-offensive d’Israël la démonstration de ce qu’une vie arabe compte moins qu’une vie occidentale.

Les conséquences internationales seront aussi le retour des États-Unis au Moyen-Orient comme acteur central. Les États-Unis, qui auraient voulu prendre leurs distances, sont pris à parti par l’Histoire, et ce d’autant plus que ses grands acteurs sont engagés dans les événements par leur trajectoire singulière et familiale : Joe Biden est un homme né en 1942, Anthony Blinken est issu d’une famille juive. Ce facteur joue aussi auprès des dirigeants européens : ainsi, Ursula von der Leyen est allemande et là encore, la singularité de trajectoires personnelles influe sur les positions politiques. On ne peut ignorer le poids de l’expérience du nazisme entre 1933 et 1945 sur sa réaction.

Il faut encore souligner que, peut-être, le seul vainqueur du chaos ambiant sera la Russie, qui bénéficie de la hausse des prix du pétrole et qui passe au second plan des préoccupations internationales. 

La diplomatie française est ainsi accusée d’être à la fois trop favorable et trop défavorable à Israël.

Quant à la France, ses réactions sont tout aussi difficultueuses : sa tradition diplomatique comprend des positions pro-Palestiniennes, à la différence de l’Allemagne, mais il faut également tenir compte de la part des musulmans en France et des positions de la rue.La diplomatie française est ainsi accusée d’être à la fois trop favorable et trop défavorable à Israël : elle doit faire face à une sorte de "double bind".

On remarque peut-être une singulière retenue dans les manifestations pro-palestiniennes en France, si on les compare avec la situation au Royaume-Unis ou en Allemagne : elle est néanmoins plus un effet de la loi que des positions spontanées de l’opinion et montre en creux combien la situation est sensible.

François Godement - Regard sur les réactions européenne et française
"Une extraordinaire cacophonie au niveau européen"

La crise divise en profondeur les opinions publiques. 

En Israël, les clivages de la société ne vont pas disparaître. Une coalition gouvernementale a pu être formée et l’opinion publique repousse pour l’instant le moment de solder les comptes : néanmoins, dès à présent, les divisions sont profondes entre ceux qui considèrent l’offensive comme la preuve que seuls des pourparlers de paix représentent une solution et au contraire ceux pour qui l’option hyper sécuritaire est l’unique qui vaille. 

Concernant la réaction européenne, on ne peut que constater l’indécence ou la cacophonie de certaines réactions. Ursula von der Leyen, en effet, a été l’une des premières à se rendre en Israël vendredi 13 octobre, pour manifester sa totale solidarité avec le pays. Elle a déclenché l’ire de nombreux responsables politiques pour ne pas avoir expressément rappelé, sur place, l’obligation d’Israël à respecter le droit international. Joe Biden était même allé plus loin encore dans son soutien affiché à l’allié de toujours. Il y a eu ensuite une forme de rééquilibrage, par Antony Blinken puis par Joe Biden lui-même.

Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, avait dit que les propos de la Maison Blanche revêtaient une charge "personnelle". Mais sans qu’il n’y ait la polémique qu’a connue l’Union Européenne entre représentants européens et de certains États membres pour se distancier et mettre en cause la légitimité de la présidente de l’Union à parler.

Concernant la réaction européenne, on ne peut que constater l’indécence ou la cacophonie.

Cette polémique intestine décrédibilise l’Union. La résolution très ferme du Conseil européen le 15 octobre a montré que l’UE prenait la mesure de la nécessité d’avoir une position claire. 

Quoi qu’il en soit, l’Union Européenne, qui n’est pas impliquée militairement, a un impact bien moindre que les États-Unis sur la crise, qu’on ne peut comparer avec celui qu’elle a sur la guerre en Ukraine. L’influence sur Israël, en particulier, ne peut exister sans la réaffirmation préalable d’une entière solidarité, sans équilibrages rhétoriques.

Patrick Calvar - Situation domestique : quelles seront les répercussions sur la sécurité nationale ?
"Les attaques sur notre sol ont toujours une composante liée à un phénomène extérieur, et une composante interne"

Avant de répondre à la question, je m'interroge sur les conséquences des attaques terroristes du Hamas et de la réponse en cours d'Israël, sur l’avenir des accords d’Abraham et une possible déstabilisation des pays arabes si le conflit devait durer et générer des images montrant les horreurs de la guerre, en particulier vis-à-vis des populations civiles. Sans oublier une possible extension du conflit, hypothèse que l'on ne peut écarter. Dans ce contexte, la bataille de la communication est et sera fondamentale, sachant que les médias occidentaux et une chaîne comme Al Jazeera, par exemple, sont sur des lignes diamétralement opposées.

La bataille de la communication est et sera fondamentale.

Sur le plan intérieur français, les conséquences des actes terroristes perpétrés par le Hamas et la riposte israélienne ne doivent surtout pas être sous-estimées. Évidemment, l’immense majorité de la communauté musulmane ne veut pas de problème et souhaite se tenir à l'écart du conflit. Mais encore une fois, le choc des images sera fondamental sur la perception d’un "deux poids deux mesures".

Concernant, plus spécifiquement, le drame d’Arras, l'enquête établira s'il existe un lien avec la situation au Proche-Orient. Plus généralement, même si le risque zéro n'existera jamais, cet assassinat doit nous faire prendre conscience, une nouvelle fois, de la crise de valeurs, de la crise identitaire à laquelle nous sommes confrontés, de l'incapacité dans laquelle nous nous trouvons sur les sujets d’intégration, mais aussi d'une forme d'impuissance des pouvoirs publics au-delà des discours guerriers. Attention à ne pas creuser davantage le fossé entre les gouvernants et les Français, témoins de cette impuissance. Expulser les étrangers radicalisés, soit ! Mais cela implique de changer les lois et les traités. Comment rendre possibles ces mesures ?

Nous sommes confrontés à l'éternel débat entre plus de libertés ou plus de sécurité, mais si l’on ne prend pas le problème à bras le corps, nous connaîtrons des lendemains difficiles d'autant que la menace est loin de diminuer et nous serons alors amenés à prendre dans l'urgence des mesures radicales.

La menace est loin de diminuer et nous serons alors amenés à prendre dans l'urgence des mesures radicales.

Michel Duclos - L’onde de choc internationale
"La fracture entre l’Ouest et le Sud global ne peut que s’aggraver"

Trois cercles concentriques sont à suivre de près dans l’onde de choc internationale provoquée par la terrible guerre entre le Hamas et Israël, dont il est à craindre qu’elle ne fasse que commencer.

La préoccupation immédiate porte sur le risque de conflagration régionale. Il est élevé compte tenu de l’émotion soulevée par les crimes du Hamas en Israël et inévitablement par l’émotion prévisible des opinions arabes à la suite de la riposte à venir d’Israël. Deux ou trois questions majeures se posent. D’abord, que veulent les Iraniens ? On ne sait pas jusqu’à quel point ils ont été associés ou même ont téléguidé l’action du Hamas, mais le fait est que celle-ci correspond à un intérêt fondamental de Téhéran, à savoir ralentir voire casser la dynamique des accords d’Abraham. Il est à craindre que dans un second temps, ils veuillent bénéficier d’une remobilisation de la "rue arabe" pour susciter une situation de chaos dans la région. Sont-ils intéressés à aller plus loin ? Restent-ils sur leur ligne traditionnelle qui est de garder le Hezbollah pour une circonstance où leur propre sécurité serait directement en jeu ? C’est pour l’instant ce que laisse penser la relative prudence du Hezbollah, encouragée par le déploiement des porte-avions américains.

[L'action du Hamas] correspond à un intérêt fondamental de Téhéran, à savoir ralentir voire casser la dynamique des accords d’Abraham. 

Quelles que soient leurs intentions, le Hezbollah et les Iraniens ne risquent-ils pas d’être débordés par les circonstances si les Israéliens tapent trop fort ? Ne vont-ils pas tenter de monter une attaque sur Israël à partir de la Syrie ? Les interlocuteurs que j’ai vus à Istanbul pensent que même les dirigeants de la République islamique ont quand même intérêt à une certaine stabilisation pour ne pas compromettre les acquis du succès du Hamas.

Il en va peut-être de même des Russes, grands bénéficiaires évidemment de la méga-crise ouverte désormais au Proche-Orient. On doit observer l’extraordinaire position prise par Moscou, qui par exemple ne lève pas le petit doigt pour défendre les nombreux Russes pris en otages par le Hamas ou coincés dans la crise. Ou qui ne fait pas mine de jouer la carte habituelle de "broker" plus ou moins honnête. La ligne de Moscou est de coller aux Iraniens et aussi de jouer la carte du Sud global, avec des implications très concrètes pour un pays comme la France : encourager une rébellion de la communauté musulmane. Là aussi cependant, un interlocuteur russe avisé faisait la remarque que le Kremlin n’a pas intérêt à ce que l’embrasement du Proche-Orient aille trop loin… ne serait-ce que pour ne pas entraîner une attaque occidentale ou israélienne sur l’allié iranien.

L’administration américaine tente de prendre en compte ces facteurs en soutenant à fond Israël tout en essayant de modérer Tel-Aviv et d’atténuer les conséquences humanitaires de l’offensive israélienne sur Gaza. Il est probable cependant que les dirigeants israéliens ne sont pas en état d’écouter qui que ce soit dans la mesure où eux-mêmes se sentent coupables - et sont considérés comme tels par l’opinion- de ce qui est arrivé.

Second cercle : le détournement de l’attention au détriment de l’Ukraine. Il est clair que le consensus américain se fera sur une priorité absolue à Israël et une priorité au défi chinois, rendant un peu plus compliqué à vendre le soutien à l’Ukraine. Troisième cercle : la fracture entre l’Ouest et le Sud global ne peut que s’aggraver.

Il y a à cela des exceptions : l’Inde, le Kenya ou le Cameroun, mais au Brésil, en Afrique du Sud ou ailleurs la notion du "double standard" occidental va connaître une méga-piqûre de rappel. Un quatrième effet international de la crise actuelle va sans doute se situer dans l’émergence de divisions, en Europe évidemment mais peut-être entre certains pays du Proche-Orient et d’autres. 

La fracture entre l’Ouest et le Sud global ne peut que s’aggraver.

Y a-t-il dans ce drame épouvantable qui se déploie sous nos yeux comme une tragédie grecque des éléments positivement plus positifs ? J’en vois trois pour ma part : 

  • un espace pour une relance de négociation israélo-palestinien sera peut-être recréé si la crise entraine un changement de leadership en Israël et du côté de l’Autorité palestinienne. Encore faudrait-il reconstituer de toute pièce un "interlocuteur" palestinien 
  • dans cette situation, une coalition de puissances régionales (Golfe, Égypte, voire Turquie) et d’acteurs européens pourrait jouer un rôle en complément des États-Unis 
  • surtout, si nos dirigeants ont le courage de prendre leurs responsabilités, l’effet de distraction du Proche-Orient par rapport à l’Ukraine pourrait être l’occasion de surprendre la Russie en accroissant à bas bruit le nombre et la qualité des systèmes d’armes transférés à l’Ukraine. 


Inutile d’ajouter que cette crise met cruellement en valeur les limites du rôle "géopolitique" de l’Union Européenne. 

 

Propos recueillis par Hortense Miginiac

Copyright Image : JACK GUEZ / AFP 

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