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12/10/2023

La République de Tel-Aviv et le Royaume de Jérusalem réunis face à l'horreur 

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La République de Tel-Aviv et le Royaume de Jérusalem réunis face à l'horreur 
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Resserrer les rangs face à l’horreur : l'allié américain rappelle sa fidélité déterminée et les Israéliens font désormais front commun en se rassemblant sous un gouvernement d’union nationale pour éradiquer le "Daech de Gaza". Au milieu des périls d'une situation régionale déséquilibrée en profondeur, il restera à éviter le piège tendu par le Hamas : celui de recréer, aussi, la coalition des opinions publiques arabes contre soi. Dominique Moïsi revient sur les conséquences politiques et stratégiques de l'assaut du 7 octobre.

À l'aube, ce 7 octobre, Israël voyait s'abattre sur son territoire les forces meurtrières menées par le Hamas palestinien. La surprise fut totale, en témoigne le chaos qui a régné parmi les participants d'une rave-party installée à seulement six kilomètres de la prison à ciel ouvert qu’est Gaza. Terrible aubaine pour les terroristes, qui montre du même coup combien les Palestiniens et les Israéliens, entre rage et rave, évoluent dans des réalités aux antipodes. 

Doit-on apparenter cette incursion terroriste et les massacres aveugles qui l’ont accompagnée à une sorte de pogrom ? L'assaut, inédit par sa violence et par son ampleur, fut en tout cas une chasse aux juifs (bien que les assaillants aient semblé faire leur la terrifiante formule "tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens", et que des ressortissants étrangers y aient indistinctement trouvé la mort). 

Malgré une région habituée au pire, une horreur inédite 

Sa singularité tient notamment au profond (quoique sans doute provisoire) renversement du rapport de force macabre. Alors qu'Israël avait habituellement l'avantage, en faisant payer un mort israélien par une dizaine de morts palestiniens, le Hamas a réussi, selon les décomptes récents, à "équilibrer la terreur" dans sa sanglante offensive, faisant 1200 morts (chiffres sans cesse revus à la hausse). 

Comment comprendre la survenue d'une telle explosion de violence, certes prévisible mais à laquelle personne ne semblait s'attendre ? Du côté du Hamas, le jour de l'offensive sur Israël a été retenu pour rappeler symboliquement l'anniversaire du début de la guerre du Kippour, presque cinquante ans après, jour pour jour (elle avait débuté le 6 octobre 1973). C’est aussi le choix tactique de lancer l’intervention un samedi matin, jour de Shabbat, où les soldats sont moins réactifs. Enfin, à un niveau plus stratégique, l'assaut tient lieu de réponse au récent rapprochement d'Israël avec certains pays arabes (Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan), dans la contexte des accords d'Abraham de 2020, et sert de réplique au discours prononcé par Benjamin Netanyahu ce 22 septembre 2023 à la Tribune des Nations Unies où il annonçait être "à l'orée d'une avancée qui sera encore plus spectaculaire : un accord de paix historique avec l’Arabie saoudite.

L'impuissance d'Israël à prévenir et empêcher le massacre révèle ses faiblesses structurelles.

Il reste que l'impuissance d'Israël à prévenir et empêcher le massacre révèle ses faiblesses structurelles : d'abord une hybris, commune aux Occidentaux obnubilés par leurs affaires domestiques et qui se font rattraper par le fracas du monde à leurs portes (de même, en 1973, le gouvernement israélien d’alors n’avait pu croire les avertissements des Américains face à l'imminence d'une opération).

Ensuite, l'offensive montre des œillères et des dysfonctionnements au sein d'un des systèmes militaires les plus puissants au monde : l'armée se serait trop concentrée sur le renseignement numérique et insuffisamment sur les enjeux purement humains. Enfin, que les soldats se soient laissés mettre en déroute un jour de shabbat témoigne aussi d'une religiosité croissante de l’armée qui entraîne des effets délétères sur le terrain. Il faut aussi relever que la tournure dramatique prise par les événements révèle l'affaiblissement de l'Autorité palestinienne, corrompue et vieillissante (Mahmoud Abbas est âgé de 88 ans), et sa perte d'influence sur les Arabes désespérés. 

Au-delà de ses divisions politiques : une nation face à l'horreur

Quelles conséquences sont à craindre après le choc de cette offensive ? Pour commencer, peut-on s’attendre, sur le plan domestique, à ce que le Hamas réconcilie les Israéliens entre eux ? Les Israéliens ont répondu par l'affirmative.

L'opposition frontale entre la "République de Tel-Aviv", libérale et occidentale, et le "Royaume de Jérusalem", hyper-conservateur et rebuté par les valeurs de l'Ouest, est devenue anachronique pour un temps provisoire, qui tout de même appelé à s'installer dans la durée puisque les combats en cours viennent seulement de débuter. Le gouvernement national d’urgence décrété d'un commun accord le mercredi 11 octobre par le premier ministre Benjamin Netanyahu et par l'un des principaux chef de l'opposition Benny Gantz, ancien chef d'état-major de l’armée entre 2011 et 2015, se fixe pour objectif d'éradiquer le Hamas, "qui est le Daech de Gaza", comme l’a déclaré Yoav Gallant, ministre de la Défense (il l’était déjà sous la coalition de droite et d’extrême-droite). 

L'opposition frontale entre la "République de Tel-Aviv", libérale et occidentale, et le "Royaume de Jérusalem", hyper-conservateur et rebuté par les valeurs de l'Ouest, est devenue anachronique pour un temps provisoire.

Les conséquences se feront aussi bien évidemment sentir sur les équilibres en Palestine : le Hamas sort renforcé par le succès meurtrier de son offensive, qui dépasse sans doute largement ses espérances. Il a donné aux Palestiniens, et plus largement aux Arabes, voire même aux pays du Sud, un sentiment de fierté qui confortera son radicalisme quoiqu’il advienne dans les semaines à venir, après les représailles massives qui s’abattent sur Gaza. 

Incertitudes régionales

Enfin, d'un point de vue régional, les violences de l'attaque du Hamas et de la vengeance israélienne qui en résulte marquent un point de non-retour : les positions conciliantes de certains pays arabes avec le gouvernement de Benjamin Netanyahu sont durablement compromises. Ces positions étaient d’ailleurs plus celles des pouvoirs en place que celles de la rue, toujours résolument hostile à l'ennemi héréditaire qu'est Israël. L'Iran, ainsi que tous les pays réfractaires au principe des accords d’Abraham, sort gagnant de l’exacerbation du conflit, au moins à court-terme. 

On observe également le retour des États-Unis au Moyen-Orient : plus Israël se sent vulnérable, plus Washington lui paraît indispensable, là où dans les périodes plus sereines, elle a tendance à cultiver les alliances parallèles (avec l’Inde par exemple). Le Président Joe Biden a d'ailleurs immédiatement affiché sa solidarité avec Israël, affirmant que, s’il pouvait condamner les errements politiques du gouvernement en place, cela n'aliénait en rien le soutien sans faille que les États-Unis apporteraient toujours à leur vieil allié durant les heures les plus sombres et les plus graves qu'il traverserait. Il faudra donc observer les possibles conséquences de l'attaque du Hamas sur le soutien américain à la guerre en Ukraine, déjà insidieusement compromis. Il est à cet égard significatif que l'un des premiers dirigeants à avoir affirmé son soutien et sa solidarité à Benjamin Netanyahu ait été Volodimir Zelenski. Comme pour faire primer la solidarité sur la priorisation dont il risquerait de faire les frais. 

Israël ne doit pas tomber dans le même piège que celui qui a tant fait tort aux États-Unis le 11 septembre.

La situation, à l'heure où nous écrivons, reste extrêmement incertaine, notamment du fait de la prise d’otages massive et inédite qui a eu lieu (et dont le nombre précis n'a pas été communiqué). Israël ne doit pas tomber dans le même piège que celui qui a tant fait tort aux États-Unis le 11 septembre : celui de la sur-réaction après celui de la sous-réaction.

Le piège tendu par le Hamas est le même que celui qui avait été tendu par Al-Qaïda aux États-Unis il y a plus de vingt ans : alors, la riposte du président George W. Bush avait unifié le monde musulman contre les Américains. Israël court un péril semblable, si les images de Gaza effacent, aux yeux de l'opinion publique, celles du 7 octobre. Dans ce contexte, la voix de Yitzhak Rabin serait la bienvenue pour faire entendre de nouveau, comme lors des discussions d'Oslo en 1993, ses conseils : il faut poursuivre les négociations de paix comme si les terroristes n'existaient pas et poursuivre les combats comme si les négociations n’avaient pas lieu. 

propos recueillis par Hortense Miginiac

 

Copyright Image : Jack Guez / AFP

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