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13/10/2020

Faut-il reconfiner la France ?

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Faut-il reconfiner la France ?
 Thomas Barnay
Auteur
Professeur de sciences économiques

Des voix s’élèvent pour proposer un reconfinement total de la population afin d’éviter une nouvelle saturation des hôpitaux. Dans cette interview, nous avons demandé à Thomas Barnay, professeur de sciences économiques à l'Université Paris-Est Créteil, économiste de la santé, son point de vue sur la question d’un nouveau confinement en France.

La situation sanitaire en France semble se détériorer rapidement, selon-vous un nouveau confinement est-il envisageable et surtout souhaitable d’un point de vue sanitaire ?

En effet, les taux d’incidence et de positivité augmentent continûment, avec de plus en plus de cas symptomatiques positifs (plus de 60 %). Ces chiffres, qui ont doublé en un mois, atteignent respectivement 116 cas sur 100 000 habitants la dernière semaine de septembre et près de 12 % en date du 12 octobre et traduisent l’accélération de la circulation du virus mais également un meilleur ciblage des dépistages. Mathématiquement, ce mouvement vient accroître les hospitalisations pour cause de Covid-19 (3 % des personnes infectées sont hospitalisées). Avec une nouvelle pression sur les lits de réanimation, la tentation d’un confinement complet apparaît de plus en plus forte.

Cependant, le nombre de patients Covid-19, actuellement en réanimation ou en soins intensifs (soient 1500), est cinq fois moins élevé qu’au plus fort de la crise sanitaire, le taux de reproduction du virus reste contrôlé (légèrement supérieur à 1 contre 3 au début de l’épidémie) et les chiffres de la mortalité entre le 1er mai et début septembre 2020 sont identiques à ceux observés en 2019 selon l’Insee. Cet épisode n’est pas, pour l’heure, comparable à la vague épidémiologique de mars-avril mais le risque de saturation hospitalière est fort et s'accroît (le nombre de patients en réanimation a été multiplié par 3,5 depuis le 1er septembre et le taux d’occupation des lits est localement supérieur à 40 % c’est le cas de Paris notamment), obligeant les pouvoirs publics à prendre de nouvelles dispositions.

L’efficacité absolue du confinement du printemps semble démontrée bien que son ampleur reste incertaine. Ainsi de 62 000 à 690 000 décès auraient été évités en France au premier semestre 2020. Néanmoins, ces évaluations sont établies en référence à une situation épidémiologique pré-confinement plus grave que celle que nous observons actuellement mais également à l’absence de toute stratégie sanitaire.

Contrairement au mois de mars dernier, nous disposons en effet d’une stratégie, perfectible certes, mais réelle et perçue, par beaucoup, comme déjà coercitive. Elle combine port du masque, mesures d’hygiène, distanciation sociale, dépistage organisé à grande échelle et intégralement pris en charge, traçage des cas contacts et de multiples restrictions locales. Par ailleurs, même si la souffrance au travail des personnels soignants requiert une action plus significative des pouvoirs publics,les services hospitaliers ont gagné en expérience, opérant une remarquable réorganisation des lits et gagnant en expertise. Le taux de décès est aujourd’hui plus faible en réanimation notamment parce que l’incertitude sur le traitement a été réduite.

Les services hospitaliers ont gagné en expérience, opérant une remarquable réorganisation des lits et gagnant en expertise.

Difficile alors d’affirmer qu’un confinement total serait plus efficace que la stratégie actuelle en termes de désengorgement significatif des services hospitaliers de patients atteints de Covid-19. L’efficacité relative du confinement est à l’évidence plus faible que l’efficacité absolue mesurée au printemps.

A contrario, les multiples risques et coûts associés au confinement sont désormais bien identifiés, notamment sur la santé.

Pendant le confinement, la déprogrammation des actes non-urgents et le renoncement aux soins ont entraîné une baisse du recours aux soins, une prise en charge repoussée des nouvelles pathologies et une chute des actes de prévention. Et le recours pourtant massif à la télémédecine n’a pas suffi à enrayer ce mouvement. D’après l’Assurance maladie, l’activité des ophtalmologues ou des chirurgiens-dentistes a été quasi-nulle. Les médecins généralistes ont vu leur activité diminuer de 30 %. Le recours à la vaccination s’est effondré (-43 % pour la vaccination HPV, -16 % pour le rougeole-oreillons-rubéole (ROR)). Une augmentation des troubles du sommeil, de l’anxiété et de la dépression a été enregistrée. Pire, une première estimation de la surmortalité par cancers, durant le confinement, est établie entre 2 % et 5 % par l’Institut Gustave Roussy. Un nouveau confinement dégraderait donc la santé de tous les Français, occasionnant une surmortalité de moyen et long terme, sans garantir de réduction significative de la mortalité associée à le Covid-19 ou de diminution des cas graves enregistrés.

Quelles pourraient être les conséquences économiques d’une telle décision ?

Les mesures économiques ne peuvent produire leurs effets potentiellement bénéfiques sans une large acceptabilité de l’intervention de l’État. Or, aujourd’hui, une grande partie des Français a conscience du fait que le risque de tomber malade, de développer des formes sévères ou de décéder de ce virus diffère selon l’âge, l’état de santé ou le lieu de résidence. Ils savent aujourd’hui que la pandémie est mortelle chez les aînés ou très incapacitante pour les personnes souffrant de maladies chroniques (antécédents cardiovasculaires, diabète et obésité, pathologies chroniques respiratoires, cancers, insuffisance rénale, cirrhose, splénectomie, drépanocytose…). Par ailleurs, les inégalités territoriales face au virus justifient des mesures de discrimination spatiale dans la gestion de cette crise. L’Insee a, en effet, démontré que c’est dans les communes les plus denses que la surmortalité a été la plus prononcée.

Désormais davantage conscients du risque réel encouru, les générations jeunes, en emploi et en bonne santé et les habitants des territoires ruraux accepteront-ils, à nouveau, de sacrifier leur bien-être pour un résultat incertain sur la santé des plus fragiles ? Toute nouvelle entrave à leur liberté pourrait être jugée particulièrement inique et donner lieu à des comportements de forte résistance.

Au plan économique, l’effet du confinement de ce printemps est désormais bien documenté. L’Insee établi que la diminution de la création de richesse sera d’au moins 9 % en 2020. Les secteurs les plus sinistrés sont l’hébergement-restauration, les transports de voyageurs et les activités culturelles. Un mois de confinement conduirait à une chute de PIB de 3 %, une potentielle nouvelle hausse du nombre de chômeurs (plus de 715 000 emplois déjà détruits au premier semestre 2020) et la survenue de problèmes additionnels de dépression et d’anxiété.

C’est finalement la question cornélienne du consentement à payer de la société pour sauver une vie et du degré de solidarité entre générations qui se pose.

Un confinement complet, brutal et non anticipé stopperait le rebond de l’activité observé depuis le déconfinement, renforçant les comportements de thésaurisation des ménages et de défiance des entreprises et annulant les efforts du gouvernement pour soutenir l’offre. Il ferait peser un risque énorme sur la situation économique et amplifierait le phénomène de défaillances d’entreprises annoncé pour début 2021. Il accentuerait également les inégalités sociales et les phénomènes de grande pauvreté, la perception d’une situation financière dégradée étant trois fois plus élevée chez les 20 % les plus pauvres que chez les 20 % les plus riches. Pour les salariés, la perte de revenu générée conduirait à une nouvelle dégradation de la santé physique et mentale et la survenue plus rapide de maladies chroniques et donc à terme d’une prise en charge collective accrue (dans le cadre du dispositif d’Affections de Longue Durée dont la couverture des coûts est intégrale). Plus globalement, une nouvelle dégradation du bien-être d’une grande partie de la population risquerait de mettre en péril la pérennité financière de l’Assurance maladie obligatoire qui relève des cotisations sociales et du versement de la CSG.

Dans tous les cas, c’est finalement la question cornélienne du consentement à payer de la société pour sauver une vie et du degré de solidarité entre générations qui se pose. À quel point les populations non-vulnérables seraient-elles prêtes à encore sacrifier leur qualité de vie pour accroître la durée espérée de vie des plus vulnérables ?

Quelles autres options pourrait-on mettre en place afin d’endiguer l’épidémie ?

En attendant la mise sur le marché d’un vaccin efficace, sûr et accessible aux plus vulnérables ou de traitements, le maintien des gestes barrières, la distanciation sociale et le port du masque sont des prérequis évidents. Le Conseil scientifique Covid-19, dans sa note de fin septembre, propose plusieurs options. Je me rapproche de l’option 2, à savoir celle comprenant des mesures différenciées en fonction de risques très inégaux liés à l’âge et à l’état de santé. La densité du lieu d’habitation est également fortement discriminante.

Un confinement préventif ciblé et localisé pourrait être proposé. La protection de la population vulnérable au Covid-19, estimée entre 12 et 22 millions de Français (cf. OFCE, Assurance maladie), doit être la priorité de l’intervention publique. Les personnes retraitées de plus de 65 ans pourraient être isolées voire confinées (a minima pour celles habitant en zone urbaine), tout en garantissant pour les EHPAD un minimum d’interactions sociales mais dans un cadre très réglementé.

Une véritable stratégie de priorisation de dépistage et d’isolement strict devrait être mise en place visant à cibler, tracer et isoler.

Les personnes vulnérables en emploi devraient également être toutes mises à l’abri. Lorsque l’activité en télétravail n’est pas possible (3,5 millions d'actifs occupés), elles devraient pouvoir être placées en situation de chômage partiel. Or le décret du 29 août a considérablement réduit les maladies pouvant ouvrir les droits au dispositif de chômage partiel. Les personnes obèses ou diabétiques de moins de 65 ans ne peuvent, par exemple, plus en bénéficier et sont de facto particulièrement fragilisées.

Par ailleurs, une véritable stratégie de priorisation de dépistage et d’isolement strict devrait être mise en place visant à cibler, tracer et isoler. Des personnes asymptomatiques non-vulnérables et qui ne sont pas personnes contact ne devraient plus être dépistées gratuitement. Les personnes identifiées "cas contacts" et celles souffrant de symptômes associés au Covid et vulnérables devraient toujours être jugées prioritaires. Il est, en outre, nécessaire de recommander le recours à la nouvelle version de l’application Stop Covid, disponible à partir du 22 octobre. Les expériences étrangères telles qu’en Allemagne démontrent l’intérêt d’un tel outil. Enfin, pour les cas positifs, les cas contacts, les cas asymptomatiques (en attente de dépistage ou de résultats de dépistage), un isolement strict d’une semaine devrait être opéré et contrôlé.

 

Copyright : NICOLAS TUCAT / AFP

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