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23/09/2020

Quels scénarios envisageables pour la crise sanitaire ?

Trois questions à Philippe Guibert

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 Quels scénarios envisageables pour la crise sanitaire ?
 Philippe Guibert
Directeur Medical Régional, Europe Health Consulting Practice chez International SOS, France

Faut-il craindre une seconde vague du Covid-19 en Europe plus forte que la première ? Les mesures sanitaires prises jusqu’ici ont-elles atteint leur objectif ? À quels scénarios faut-il s’attendre, alors que l’épidémie de grippe annuelle fait craindre un phénomène de "twindemics" dans les mois à venir ? Pour répondre à ces questions, nous avons interrogé le Dr. Philippe Guibert, spécialiste de Santé publique et directeur médical régional d’International SOS, premier groupe de services médicaux pour les expatriés. Ce dernier dresse un bilan de la situation actuelle et explore les enjeux de la crise sanitaire.

Comment décririez-vous la situation actuelle de la pandémie ? Quel est l’état des connaissances sur ce virus, et les mesures prises pour en endiguer la transmission ont-elles été efficaces ?

On remarque tout d’abord plusieurs aspects positifs. C’est un virus nouveau, mais qui demeure stable depuis les six mois qu’il circule. Ce n’est pas un virus dont la virulence serait comparable au virus Ebola, qui ravagerait la planète. Nous connaissons les caractéristiques des personnes à risque, et savons comment les protéger. Nous savons également appliquer des mesures de santé publique qui, bien que drastiques, fonctionnent, notamment le confinement dont les résultats ont été prouvés.

De plus, un autre élément rassurant concerne la transmission du virus en Afrique : la catastrophe sanitaire annoncée pour ce continent n’a pas été observée pour l’instant. Même si nous n’avons pas accès à toutes les informations et que la situation diffère en fonction des pays, le bilan semble moins dramatique que ce que l’on aurait pu imaginer.

Initialement prises pour contrôler le Covid-19, les mesures sanitaires ont aussi été très efficaces pour contrôler l'épidémie annuelle de grippe, notamment en Australie et Nouvelle-Zélande où elle a duré un mois de moins que les années précédentes.

La lutte contre le coronavirus dans les pays de l'hémisphère sud a été doublement bénéfique : initialement prises pour contrôler le Covid-19, les mesures sanitaires ont aussi été très efficaces pour contrôler l'épidémie annuelle de grippe, notamment en Australie et Nouvelle-Zélande où elle a duré un mois de moins que les années précédentes, ce qui est considérable.

Enfin, la course au vaccin est sur la bonne voie. En général, la conception d’un nouveau vaccin prend entre 4 et 15 ans, tandis que pour le Covid-19, nous pourrions peut-être y parvenir en un an et demi.

Cette série de bonnes nouvelles est tout de même à relativiser du fait de la situation actuelle : l’épidémie est toujours en croissance, même si elle n’est plus en phase d’accélération. Il y a encore un million de nouveaux cas tous les quatre jours dans le monde.

Les secondes vagues, telles qu’elles ont été anticipées par la communauté scientifique, risquent d’être suivies par d’autres, comme c’est le cas en Europe.

En ce qui concerne la situation en France, le Comité scientifique avait évoqué quatre scénarios possibles : l’un où la situation serait totalement contrôlée, deux autres où seuls des clusters seraient affectés, et le quatrième où la situation ne serait pas contrôlée. Le scénario qui s’applique à la situation actuelle semble être le quatrième : on ne peut pas estimer que l’épidémie est actuellement sous contrôle, ce qui risque aussi d’être le cas dans d’autres pays européens

À l’échelle internationale, on observe des réponses en ordre dispersé, il n’y a pas de consensus entre les pays ni sur la gestion des rassemblements, ni sur la gestion des tests, ni sur le port du masque, etc. La dimension culturelle est extrêmement forte et pèse sur la gestion de l’épidémie. Dans certains pays, les mesures appliquées sont respectées par les citoyens, tandis que dans d’autres pays, leur application est moins rigoureuse.

Outre les mesures barrières traditionnelles, la technologie pourrait rendre ces mesures de contact-tracing d’autant plus efficaces : 30 pays dans le monde ont développé des applications à l’instar de l’application StopCovid en France. Mais encore une fois, la dimension culturelle joue un rôle, car les degrés d’adhésion varient : moins de 3 % de la population a téléchargé l'application en France, tandis que 20 % l’ont téléchargé en Allemagne.

Enfin, on manque encore d’informations cruciales pour la communauté médicale, notamment en ce qui concerne l’immunité. Les tests sont un outil essentiel, ils représentent la clé pour lutter contre la pandémie. Avoir accès à des tests rapides, efficaces et faciles, et ce combiné à des mesures d’isolement, permettra de maîtriser les chaînes de transmission

On manque également, pour l’instant, de connaissances au sujet des conséquences physiques à long terme de la maladie, il y a notamment un risque que des séquelles cardiovasculaires persistent. D’autre part, nous manquons de capacité à comprendre l'évolution de la crise sur un mode exponentiel : nous voyons le danger arriver sans en comprendre les conséquences, ce qui explique pourquoi autant de pays ont tardé à mettre en place des mesures à temps.

Quels sont les scénarios auxquels se préparer pour les mois à venir ?

L’avenir de la pandémie prendra peut-être la forme d’une alternance de vagues successives, de vaguelettes, de pics, une sorte de "marécage" de transmission. Des pays ayant initialement bien maîtrisé l’épidémie pourraient la voir réapparaître plus affirmée, que ce soit pour des motifs explicables (levée de confinement ou reprise d’activités communautaires trop tôt) ou non (dynamique intrinsèque du virus). Il y a en effet une dimension dans cette épidémie foncièrement liée à l’aspect social, plus que médical. C’est un virus social, qui se transmet dans des environnements maintenant bien définis.

Un scénario probable serait que des zones peu éloignées, au sein d’un même territoire, soient affectées à des degrés différents au même moment : c’était récemment le cas de Melbourne et Sydney en Australie, où l’une ville était confinée et l’autre pas, à quelques centaines de kilomètres de distance. Les différences de transmission territoriales risquent donc d’être l’avenir de cette pandémie.

Les différences de transmission territoriales risquent donc d’être l’avenir de cette pandémie. 

Néanmoins, si l’on observe une seconde vague en Europe, ce n’est pas le cas en Asie, à l’exception de l’Indonésie, des Philippines et du Japon. Dans le reste du continent, la transmission est stable, il y a très peu de nouveaux cas. 

Quels sont selon vous les enjeux clés pour faire face à la crise sanitaire ?

Le premier enjeu essentiel est lié à l’information, et surtout la lutte contre la désinformation et la mésinformation. Nous faisons face à une avalanche de chiffres et de faits, ce qui peut entraîner un désengagement des populations vis-à-vis des mesures qu’on leur demande d’appliquer. La France est notamment le pays au monde où il y a, en temps normal, le plus de réticence quant au vaccin : nous pouvons donc nous demander ce qu’il se produira lorsque le vaccin contre le Covid-19 sera disponible. Quel en sera le niveau d’acceptation ? Nous l’ignorons encore. Tout ce qui tourne autour des sentiments de "propagande hygiéniste", de "dictature sanitaire", de "complot anti-vaccin" pourrait avoir de lourdes conséquences sur l’acceptation au long cours des mesures à appliquer et du vaccin contre le Covid.

La mésinformation concerne également la communauté scientifique : il y a pléthore de données médicales depuis le début de la crise, les médecins peuvent donc être perdus. Des publications de très bonne qualité, telles que The Lancet, peuvent véhiculer des messages diamétralement opposés à ceux d’une autre publication. En 9 mois, plus de 70 000 articles ont été publiés sur le Covid depuis le début de la crise : c’est deux fois plus que le nombre de publications qui concerne le virus du SIDA, alors que ce dernier a été découvert il y a près de 40 ans. 

La pandémie et les périodes de confinement [..] auront des conséquences à long terme sur la société.

La proportionnalité des interventions représente le deuxième enjeu majeur. Il faut pouvoir définir des interventions adaptées à la réalité de la pandémie là où elle affecte une ville, un territoire, une province, un État. C’est toute la problématique pour les gouvernements. La réponse ne doit pas être globale et généralisée, mais plutôt ciblée, a l’instar de ce que l’on appelle en médecine "precision medicine", un traitement qui correspond spécifiquement au cadre de l'environnement de l’individu. De cette capacité à apporter des réponses adaptées dépendra le degré d’acceptation des mesures par les citoyens.

Enfin, le dernier enjeu concerne les conséquences de cette crise sur la santé mentale et émotionnelle. La pandémie et les périodes de confinement que celle-ci a entraînée affectent lourdement la santé émotionnelle des individus, qui doivent gérer des situations très complexes : cela aura des conséquences à long terme sur la société. La responsabilité des organisations sera de reconnaître les effets induits par la crise sur la résilience des personnes, afin de les accompagner sans discrimination ni désavantage.

 

 

Copyright : MOHAMMED ABED / AFP

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