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30/11/2017

Emmanuel Macron parviendra-t-il à réformer la zone euro ?

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Emmanuel Macron parviendra-t-il à réformer la zone euro ?
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Trois questions à Morgan Guérin, spécialiste des questions européennes à l’Institut Montaigne. 

Quelles sont les conséquences pour la politique européenne d’Emmanuel Macron de l’incapacité d’Angela Merkel à former un nouveau gouvernement ?

Le projet d’Emmanuel Macron était simple : attendre qu’Angela Merkel soit réélue chancelière et engager avec elle une ambitieuse refondation de l’Union européenne (UE). Du point de vue français, le cœur de ce projet devait être le renforcement de la gouvernance de la zone euro et la mise en place d’un embryon de capacité budgétaire afin d’organiser des transferts financiers entre les différentes économies de la zone. Durant la campagne électorale allemande, le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD), dirigé par Martin Schulz, président du Parlement européen jusqu’en janvier 2017, a semblé répondre positivement au projet proposé par Emmanuel Macron. En revanche, le Parti libéral-démocrate, dirigé par Christian Lindner, s’est quant à lui fermement opposé à toute union de transferts au sein de la zone euro.
 
Les résultats de l’élection n’ont pu que décevoir le président français. Comme le prévoyaient les sondages, l’alliance dirigée par Angela Merkel entre l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU) et l’Union chrétienne sociale en Bavière (CSU) est arrivée en tête avec 32,93 % des voix. Le SPD n’a quant à lui réalisé que 20,51 %, suivi par le parti eurosceptique Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui fera son entrée pour la première fois au Bundestag. Le FDP réalise ensuite 10,75 % des voix, suivi du parti de gauche radicale Die Linke (9,24%) et d’Alliance 90 / Les Verts avec 8,94 %.
 
Dès les résultats connus, Martin Schulz annonce publiquement qu’il ne souhaite pas que le SPD prenne part à une nouvelle coalition gouvernementale avec la CDU/CSU. Pour se maintenir à la tête du gouvernement allemand, Angela Merkel n’a alors d’autre choix que d’entamer des négociations avec le FDP et les Verts. Une telle alliance, dite "Jamaïque" en référence aux couleurs du drapeau de ce pays, ne s’est encore jamais produite au niveau fédéral. L’entrée au gouvernement du FDP, fermement opposé au projet de réforme de la zone euro d’Emmanuel Macron, a sans doute été un coup dur pour l’Elysée et on peut penser que cela a obligé le président à revoir le texte du grand discours sur l’Europe qu’il prononcera deux jours après l’élection allemande à la Sorbonne. Dans celui-ci, la zone euro n’occupe qu’une portion congrue et les propositions du président manquent – volontairement ? – de précision.
 
Si le SPD n’a pas souhaité entrer au gouvernement, c’est qu’il pensait qu’après huit années au gouvernement au sein de la grande coalition, ses résultats aux prochaines élections seraient encore plus faibles. L’objectif de Martin Schulz était de redorer l’aura de son parti en occupant à nouveau la place d’opposant. L’échec des négociations en vue d’une coalition "Jamaïque" change à nouveau la donne. En l’absence de gouvernement, le Président fédéral d’Allemagne, Frank-Walter Steinmeier, pourrait convoquer de nouvelles élections, qui se tiendraient alors en février, mars ou avril. Les résultats du SPD pourraient alors être plus décevants, ses électeurs n’ayant plus intérêt à voter pour un parti ne souhaitant pas gouverner. Cela explique pourquoi le SPD a maintenant entamé des négociations pour une nouvelle coalition avec la CDU/CSU.
 
Faut-il y voir un signe d’espoir pour le projet européen d’Emmanuel Macron ? Le retour d’un SPD plus favorable à ses propositions concernant la zone euro est en effet un signe positif. Cependant, le président de la République est à présent confronté à un important problème de calendrier. Il faudra encore compter plusieurs mois avant que les négociations arrivent à leur terme. Or, le temps manque. En mai 2019, se tiendront les prochaines élections européennes. Six mois auparavant, les institutions de l’UE commenceront à se mettre en retrait afin de ne pas interférer dans la campagne. Si la réforme proposée par Emmanuel Macron n’était pas actée précédemment, il ne fait aucun doute que celle-ci deviendrait un des principaux enjeux du débat électoral et cela pourrait inciter certains courants politiques qui pourraient y être favorables à prendre leur distance avec leur projet afin de ne pas effrayer une partie de leurs électeurs. On peut notamment imaginer que la CDU/CSU pourrait être tentée de suivre une telle stratégie. Emmanuel Macron aura-t-il alors le temps de convaincre l’Allemagne et ses partenaires européens de le suivre ?

Pourquoi la réforme de la zone euro est-elle un sujet si clivant entre les Etats membres ?

La monnaie unique a été conçue comme instrument au service de la convergence économique des pays européens qui l’adopteront. On constate que l’effet inverse s’est produit. Les taux de chômage, la balance commerciale et les finances publiques de nombreux Etats membres ont fortement divergé au cours des dernières années. La comparaison entre la France et l’Allemagne est frappante. En 2016, le déficit public français était de 3,4 % du PIB, contre un excédent de 0,8 % en Allemagne ; le déficit commercial français était de 48,1 milliards d’euros, tandis que l’Allemagne réalisait un excédent commercial record de 252,9 milliards d’euros ; enfin, le chômage était de 9,7 % de la population active en France, contre 5,6 % en Allemagne.
 
La crise financière et la crise des dettes souveraines qui s’en est suivie sont encore dans toutes les têtes des dirigeants politiques européens. L’action déterminée des gouvernements nationaux et de la BCE a permis de préserver l’édifice de la monnaie unique et de faire en sorte qu’aucun pays ne fasse le choix de revenir à sa monnaie nationale. Toutefois, la fragilité de l’euro est une idée partagée à travers les capitales européennes et aucun gouvernement ne souhaite prendre le risque d’une déconstruction à la hâte de la monnaie unique qui pourrait intervenir du fait d’une nouvelle crise.
 
Le désaccord entre les Etats concerne les solutions à mettre en œuvre pour renforcer l’édifice. La France et l’Allemagne sont à l’origine de la création de la monnaie unique et pour une large part leur conception de l’avenir de l’euro et de son fonctionnement optimal n’a pas évolué. Pour la France, l’euro implique la mise en place d’une gouvernance économique et rend nécessaire une forme de solidarité financière entre les Etats membres. Pour l’Allemagne, l’euro a atteint ses objectifs de baisse de l’inflation et des coûts de financement des Etats et fonctionnera parfaitement si chaque Etat membre mène une politique budgétaire responsable et réalise les réformes structurelles permettant une hausse de la compétitivité du secteur productif. Ces deux visions sont le résultat de traditions culturelles et politiques différentes et la précédente crise les a en grande partie renforcées.

Concrètement, à quelle réforme de la zone euro devons-nous attendre ?

Les dirigeants politiques et économistes allemands reprochent fréquemment à la France d’inventer de grandes institutions ou mécanismes, sans prendre le temps d’expliquer leur utilité ni leur fonctionnement. La France défend ainsi depuis de longues années la création d’un gouvernement économique de la zone euro ou la création d’un poste de ministre des Finances. De telles propositions témoignent de la volonté française de renforcer le pilotage politique de la zone euro. L’Allemagne regarde ces propositions avec une forme de méfiance et, sans y répondre par un "non" catégorique, souhaite que la France et les Etats du Sud de l’Europe mettent de l’ordre dans leurs finances publiques et procèdent à des réformes structurelles avant d’entamer une discussion concernant les modalités précises de telles institutions.
 
La France défend également traditionnellement la création d’un budget ou d’une capacité budgétaire pour la zone euro dont le rôle serait de soutenir les finances publiques de certains Etats et de disposer d’un outil efficace pour répondre à une crise asymétrique au sein de la zone. Pour les Etats du Nord de l’Europe et en particulier l’Allemagne, l’introduction d’un tel mécanisme reviendrait à mettre en place des transferts permanents entre le Nord et le Sud et serait contre-productif pour inciter les Etats à réformer leur économie.
 
Dans ce débat très riche, auquel de nombreux think tanks et institutions européennes prennent part depuis de longues années, il semblerait qu’une proposition puisse recueillir une forme d’unanimité : la transformation du mécanisme européen de stabilité, issu des différents outils créés durant la crise financière et institué en 2012, en Fonds monétaire européen. Les compétences précises de ce fonds monétaire doivent encore être négociées, mais il aurait pour rôle de venir en aide aux Etats membres traversant une crise de liquidité ou risquant de perdre leur accès au financement de marché. S’il disposait de ressources financières suffisantes, ce fonds permettrait à l’Europe de ne pas avoir à demander l’appui du Fonds monétaire international (FMI) comme ça a été le cas durant la crise pour la Grèce. Au mois d’août dernier, la chancelière Angela Merkel a apporté son soutien à cette proposition, y voyant le moyen de pouvoir "bien réagir face aux situations imprévues". Wolfgang Schäuble, ancien puissant ministre des Finances allemand et aujourd’hui président du Bundestag, a également soutenu ce projet en avril 2017, rappelant toutefois le "manque de productivité et de compétitivité dans de nombreux pays, car les réformes nécessaires n’ont pas été réalisées".
 

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