AccueilExpressions par MontaigneÉtat de l'Union : les ambitions d'Ursula von der Leyen pour l'UE sont-elles réalistes ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.21/09/2023État de l'Union : les ambitions d'Ursula von der Leyen pour l'UE sont-elles réalistes ? Union EuropéenneImprimerPARTAGERAuteur Georgina Wright Directrice adjointe des Études internationales, Experte résidente Auteur Cecilia Vidotto Labastie Ancienne Responsable de projets - Programme Europe Chaque année, le discours sur l'état de l'Union, évènement symbolique majeur, permet à la présidence de la Commission européenne de revenir sur les accomplissements de l'année précédente, tout en définissant les priorités pour les douze mois à venir. Le 13 septembre dernier, lors de son discours, Ursula von der Leyen n'a pas dérogé à cette tradition.L'UE se trouve dans une situation de crise perpétuelle. Depuis 2019, elle a été confrontée à une succession de secousses majeures, notamment la crise sanitaire, le Brexit, le retour de la guerre en Europe, la crise énergétique, la crise migratoire, les dissensions internes, ainsi que la rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine. Malgré ces séismes, l'Union européenne a su démontrer son agilité, surpassant les attentes de nombreux observateurs.À travers ces crises, la Commission européenne a aussi considérablement renforcé son pouvoir.À travers ces crises, la Commission européenne a aussi considérablement renforcé son pouvoir. Dans le domaine de la santé, elle a joué un rôle central dans l'acquisition collective de vaccins. En matière de politique industrielle, elle a élargi son influence en proposant l’assouplissement des règles régissant les aides d’État, qui étaient jusqu’alors intouchables. Dans le même temps, elle est à l'initiative en s'engageant activement dans la réglementation de l'intelligence artificielle.La présidente de la Commission européenne, ardente défenseure de l'Ukraine, a par ailleurs été l'un des premiers dirigeants européens à soutenir publiquement sa candidature d'adhésion à l'UE. À neuf mois des élections européennes de juin 2024, Ursula von der Leyen, qui pourrait prétendre à un second mandat, souhaite que l'Union aille encore plus loin dans la protection de ses intérêts économiques, le soutien aux PME et la préparation de l'UE à l'élargissement.Pour atteindre ces objectifs, il lui faut néanmoins obtenir l'adhésion des États membres. Sans leur accord, celui du Parlement européen, et un soutien significatif de la part des entreprises et de la société civile, aucune législation européenne ne peut être adoptée. De ce point de vue, la Commission von der Leyen a été particulièrement critiquée pour ses textes législatifs présentés trop rapidement, sans consultation suffisante des chancelleries des États membres (et encore moins du Parlement européen). On lui a également reproché de prioriser les besoins de "grands États", la France et l'Allemagne, au détriment des plus petits, comme en témoigne sa décision d'assouplir les règles relatives aux aides d'État, malgré les réserves de pays tels que la Suède, le Danemark et d'autres qui craignent que cela ne mette en péril l’équilibre du marché unique. Enfin, sa proximité avec la Maison Blanche a elle aussi été pointée du doigt.Un vaste programme pour l’année à venirChaque discours sur l'état de l'Union poursuit deux objectifs : revenir sur les réussites de l’année passée et définir les objectifs pour la suivante. Dans son allocution, la présidente von der Leyen a plaidé en faveur de la continuité du soutien de l’UE à l'Ukraine, a annoncé de nouveaux plans liés au climat et au numérique, des lois sur l'égalité hommes / femmes, ainsi que des mesures de protection de l'industrie européenne contre la concurrence déloyale et la coercition.Elle a également donné un aperçu de ce que sa Commission espère réaliser en amont des élections de 2024. Ces objectifs incluent la réduction des risques liés à la Chine ("de-risking"), avec notamment l'ouverture d’une enquête sur les subventions accordées aux véhicules électriques chinois, ainsi que des initiatives visant à "renforcer la compétitivité de l'UE".L'Ukraine reste également prioritaire. À ce jour, l'UE et ses États membres ont fourni une aide financière, humanitaire et militaire à hauteur de 62 milliards d'euros. Jusqu'à présent, le rôle de la Commission s'est limité à soutenir les industries nationales d'armement, à coordonner l'aide à l'Ukraine (y compris les livraisons d'armes) et à assurer la liaison avec Washington et les autres alliés du G7 concernant les sanctions. Mais Ursula von der Leyen souhaite aller plus loin.En premier lieu, elle vise à maintenir le même niveau de soutien. Bien que le soutien envers l'Ukraine demeure élevé dans les opinions publiques européennes, des signes de lassitude face à la guerre n'en commencent pas moins à apparaître. De plus, le contexte des élections américaines de novembre 2024 soulève des interrogations sur le maintien par les États-Unis du niveau de soutien qui a jusqu’à présent été le leur. Lors du premier débat des primaires républicaines d’août 2023, les candidats étaient unanimes sur ce point : une concentration excessive des ressources américaines sur l'Ukraine réduit la capacité des États-Unis à répondre à la menace chinoise, pourtant la plus stratégique à leurs yeux. Bien que le soutien envers l'Ukraine demeure élevé dans les opinions publiques européennes, des signes de lassitude face à la guerre n'en commencent pas moins à apparaître.Deuxième point, Ursula von der Leyen entend faire avancer les négociations sur l'élargissement. L'adhésion de huit nouveaux États membres (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Kosovo, Macédoine du Nord, Moldavie, Monténégro, Serbie, Ukraine) amènera à des changements dans le budget de l'UE. Elle pose des questions difficiles car sans aménagement institutionnel, la prise de décision au sein de l’UE pourrait être potentiellement ralentie. Une réforme de l'UE est donc nécessaire. La Présidente von der Leyen a pris l’engagement de l’envisager. À l’agenda, l'extension du vote à la majorité pour les décisions en matière de politique étrangère et de questions fiscales, qui requièrent actuellement l’unanimité. Elle envisage également une refonte de la structure institutionnelle, incluant la réduction du nombre de commissaires (un par pays à ce jour) et de parlementaires. Elle prévoit également une révision du financement du budget de l'UE pour faciliter l’accès à de nouvelles ressources. Ce ne sera pas une tâche facile : les États membres conservent leur droit de veto et redoutent un accroissement du budget. En matière d'influence, chaque pays aspire disposer d’un représentant au sein de l'exécutif de l'UE, ce qui explique pourquoi Bruxelles peine à mettre en œuvre la décision de 2007 visant à réduire d'un tiers le nombre de commissaires.Or sans réforme, il n’y aura pas d'élargissement. L'Espagne en a fait un pilier de sa présidence semestrielle de l'UE. De nouvelles discussions sont programmées à Grenade en octobre. De leur côté, L'Allemagne et la France ont mandaté un groupe d'experts pour étudier la faisabilité de ces propositions. La Commission européenne parviendra-t-elle à faire avancer cet agenda de réformes d'ici juin 2024? Seule l’attente nous le dira. De la géopolitique à la géoéconomieCertains observateurs ont critiqué le discours de la présidente von der Leyen pour son manque de précision. Elle n'a pas indiqué à quelle échéance de nouveaux pays pourraient adhérer à l'UE, ni quelles réformes lui paraissaient nécessaires pour accélérer le processus d’adhésion. Elle n’a pas abordé non plus les questions relatives aux politiques régionales et de cohésion. Des conclusions inverses sont néanmoins possibles : au vu du niveau d’ambition des objectifs de la Commission européenne, un discours d'une heure ne saurait permettre des détails sur l’ensemble des chantiers ouverts.En 2019, Ursula von der Leyen avait promis une "Commission géopolitique" capable d’agir rapidement et de manière cohérente. À bien des égards, cet objectif a été atteint. L'UE a dépassé les attentes de nombreux commentateurs, parfois même au-delà de ce que prévoient les traités. Lors de son discours cette année, la Commission européenne confirme son glissement d’un focus géopolitique à une pratique de la "géoéconomie".Par comparaison avec les quatre précédents discours sur l'état de l'Union, celui-ci met davantage l’accent sur la protection des intérêts économiques de l'UE.Ainsi, par comparaison avec les quatre précédents discours sur l'état de l'Union, celui-ci met davantage l’accent sur la protection des intérêts économiques de l'UE et, de manière implicite, sur la nécessité de répondre à la coercition économique (et juridique) exercée depuis l'étranger. En juin 2023, la Commission européenne a dévoilé une nouvelle "stratégie économique européenne" visant à défendre et à promouvoir les intérêts économiques de l'UE dans un contexte international de plus en plus hostile.Le défi est de taille. Les États membres devront déléguer plus de responsabilité en matière de supervision et de coordination à la Commission pour ce qui concerne certaines de leurs décisions en matière d'investissement, notamment dans des secteurs critiques et sensibles tels que celui des semi-conducteurs. Ursula von der Leyen met en avant sa volonté de réduire les risques dans ce secteur, mais les outils à la disposition des institutions européennes pour y parvenir demeurent limités. De même, si l'UE souhaite mobiliser de nouveaux fonds pour soutenir son industrie, un équilibre délicat est à trouver avec la nécessité de préserver le marché unique. Dans le cas contraire, de nombreuses entreprises pourraient se retrouver en difficulté et être incitées à se délocaliser vers des États membres offrant un meilleur accès au financement et à l'innovation.Le compte à rebours est enclenchéDans son discours, la Présidente de la Commission n'a pas explicité les moyens d'atteindre les ambitions énoncées. Toutefois, elle s'est montrée cohérente dans son engagement envers la promesse formulée il y a près de cinq ans : celle de faire de l'UE une entité plus agile, capable de faire face aux menaces extérieures et de surmonter les divisions internes.Malgré tout, des voix critiques s'élèvent contre la Présidente von der Leyen. Le soutien dont elle jouit au sein des États membres n'est pas unanime. Des groupes parlementaires, tel que le Parti populaire européen (centre-droit), ont déjà menacé de bloquer la mise en œuvre de certains volets du Pacte vert pour l'Europe. C'est en partie pour cette raison que, dans les mois à venir, la présidente de la Commission a affirmé vouloir renforcer le dialogue avec les entreprises et la société civile. L'avenir nous dira si les gouvernements européens et le Parlement soutiendront sa vision à temps pour les élections de juin 2024. Les auteures remercient Enora Morin, assistante de recherche au sein du programme Europe de l'Institut Montaigne. Copyright Image : FREDERICK FLORIN/AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 05/05/2023 Chine : endiguement ou engagement, le dilemme occidental François Godement 13/09/2023 Chine : jusqu’où doit aller l’Europe pour assurer sa sécurité économique? Mathieu Duchâtel François Godement