Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
16/10/2024

Chine : relance de l'économie, suffisant pour rétablir la confiance ?

Imprimer
PARTAGER
Chine : relance de l'économie, suffisant pour rétablir la confiance ?
 Philippe Aguignier
Auteur
Expert Associé - Asie

Le 12 octobre, les autorités chinoises annonçaient une injection massive d’argent public, qui s’inscrit dans la continuité d’une série de dispositions pour relancer une économie en berne depuis la crise immobilière de 2021. De quoi se compose ce "changement de cap" et quels enseignements peut-on tirer de la comparaison de cette inflexion avec les "trois flèches" (monétaire, budgétaire et de croissance) de la politique économique "Abenomics" mise en œuvre au Japon par Shinzō Abe entre 2012 et 2016 ? Analyse de Philippe Aguignier

Les autorités chinoises ont créé la surprise en annonçant une série de mesures pour relancer l’économie, d’une nature et d’une ampleur sans précédent depuis le début de la crise immobilière en 2021. Les mesures ont été dans l’immédiat accueillies avec enthousiasme par les marchés boursiers chinois, mais il faudra attendre de disposer de plus d'informations sur leur contenu concret avant de juger de leur efficacité à plus long terme.

Un panier bien rempli de mesures fiscales et monétaires

La Banque centrale (PBoC) a d’abord montré le chemin le mardi 24 septembre avec des mesures monétaires dont une baisse des taux d’intérêt, en particulier des taux hypothécaires, le relâchement de certains critères limitant la capacité des banques à accorder des crédits immobiliers (pouvant aboutir à une injection de liquidités allant jusqu’à 1000 milliards de RMB - 127 milliards d’euros, soit presque 1 % du PIB chinois), et la mise en place de mécanismes de financement pour que les institutions financières puissent plus facilement acheter des actions en bourse. Dès le lendemain, le Conseil d’État publiait une liste de mesures pour encourager les entreprises à embaucher et les gouvernements locaux à faciliter le développement de l’emploi dans leur territoire.

Le Conseil d’État publiait une liste de mesures pour encourager les entreprises à embaucher et les gouvernements locaux à faciliter le développement de l’emploi dans leur territoire.

Le surlendemain enfin, on apprenait par un communiqué officiel que le Politburo s’était réuni pour discuter de la situation économique. Il y avait également été décidé de nouvelles mesures fiscales pour stabiliser le marché immobilier et relancer l’économie, en autorisant notamment de nouvelles émissions d’obligations à la fois par le gouvernement central et les gouvernements provinciaux - au-delà de celles déjà autorisées dans le budget.

Le communiqué lui-même est avare de détails, mais des fuites (probablement organisées) ont laissé entendre que le total de ces obligations pourrait aller jusqu’à 2000 milliards de RMB, et que de plus, pour la première fois, des mesures de subventions directes aux foyers à revenus faibles ou intermédiaires pour soutenir la consommation étaient aussi envisagées -sans plus de précision sur leur montant ou la source de leur financement à ce stade toutefois.

De la pertinence et du caractère innovant des nouvelles mesures

Il s’agit bien d’un changement de cap, et le ton du communiqué du Politburo ainsi que les mesures elles-mêmes dénotent un sentiment d’urgence nouveau. La Banque centrale n’a pas tardé à exploiter l’espace ouvert par la récente baisse des taux américains pour baisser les taux chinois. L'approche de la fête nationale du 1er octobre et la volonté d’avoir de bonnes nouvelles à annoncer ont aussi sans doute joué un rôle - qui plus est après l’annonce d’une hausse de l’âge de départ à la retraite, mal accueillie par la population. Mais au-delà de ces éléments conjoncturels, les autorités ont surtout fini par écouter et appliquer les conseils prodigués par un nombre croissant d’experts et d’économistes locaux avec de plus en plus d’inquiétude, et parfois d’ailleurs à leurs risques et périls : on a ainsi par coïncidence appris cette même semaine qu’un économiste reconnu en Chine avait été démis de ses fonctions en avril, apparemment pour avoir critiqué de manière un peu trop vive le manque d’action du gouvernement devant la dégradation continue de la situation économique.

Il est difficile de juger à chaud de la pertinence des mesures annoncées. Certaines relèvent du recyclage d’initiatives plus anciennes, et d’autres semblent plus symboliques et spectaculaires que réellement efficaces, comme par exemple celles qui concernent la bourse -une modeste partie de l’épargne de la population, contrairement à l’immobilier. Certaines des émissions d’obligations annoncées sont destinées à refinancer des dettes qui arrivent à maturité et ne représentent donc pas des fonds nouveaux. La baisse des prix immobiliers a été limitée artificiellement dans de nombreuses villes, et rien n’indique que ces prix ont atteint un niveau d’équilibre tels que des acheteurs pourraient se décider à revenir, et alors que les promoteurs immobiliers ont toujours des stocks considérables d’appartements invendus dans leurs bilans. En sus, malgré l’introduction de mesures de soutien à la consommation, une partie importante des nouvelles obligations émises financera sans doute des actions en faveur de l’offre plutôt que de la demande - comme dans les plans précédents. Rien n’indique non plus que les autorités sont prêtes à renoncer à leurs intentions d’investir dans la haute technologie et les "nouvelles forces productives", qu’elles considèrent comme un potentiel moteur de croissance pouvant remplacer celui qu’avait constitué le secteur immobilier pendant des décennies.

D’autres mesures en revanche vont dans le sens recommandé par la majorité des économistes, les montants dont il est question sont substantiels, et le plus important est que les autorités semblent avoir pris la mesure de la gravité de la crise.

Le plus important est que les autorités semblent avoir pris la mesure de la gravité de la crise.

Un effet de choc a clairement été recherché à travers l’accumulation de mesures disparates, mais c’est justement la loi du genre en matière de plans de relance.

Il reste la question centrale : même si elles sont en partie pertinentes, ces mesures seront-elles efficaces ? La bourse de Shanghai a salué les mesures en gagnant près de 20 % depuis les annonces, mais le véritable enjeu n’est pas là : le plan annoncé peut-il faire sortir l’économie chinoise du cycle d’anticipations négatives et autoréalisatrices dans lequel elle semble engluée depuis maintenant quelques années, alors qu’elle est très proche de la déflation (les prix à la consommation stagnent, mais les prix à la production sont franchement en baisse) et souffre d’un manque de confiance dans ses perspectives de la part des acteurs économiques ?

Les leçons passées du Japon

On ne peut que noter les ressemblances formelles du train de mesures annoncées avec les "trois flèches" qui constituaient le cœur des "Abenomics", et étaient supposées sortir le Japon de sa stagnation économique. Les autorités chinoises viennent de décocher les deux premières flèches, monétaire et fiscale, et disent préparer la troisième, celle des réformes structurelles, y compris la très nécessaire et attendue réforme des finances des gouvernements locaux.

Le précédent japonais illustre bien la nature des risques encourus : dans un environnement déflationniste, faciliter l’octroi de crédit par les banques ou baisser les taux n'encourage pas les opérateurs à s'endetter si la confiance n’est pas au rendez-vous.

Le précédent japonais illustre bien la nature des risques encourus : dans un environnement déflationniste, faciliter l’octroi de crédit par les banques ou baisser les taux n'encourage pas les opérateurs à s'endetter si la confiance n’est pas au rendez-vous. Les achats envisagés continueront d’être différés, si les opérateurs économiques restent pessimistes sur les perspectives économiques et s’ils préfèrent utiliser les ressources financières nouvelles dont ils viennent à disposer pour se désendetter plutôt que pour consommer. Dit autrement, les plans de relance dans un tel environnement creusent les déficits publics et peuvent s’avérer aussi inefficaces que de pousser sur une ficelle pour relancer la consommation. C’est ce que le Japon a connu pendant près de trente ans. Les perspectives restent donc très incertaines, et il faudra au moins quelques mois pour juger des effets de ce plan.

Le choc subi par les propriétaires de biens immobiliers en Chine a été brutal et les hésitations des autorités dans la gestion de cette crise ont entamé leur crédibilité. La confiance est un bien intangible qui se perd bien plus vite qu’il ne faut de temps pour la reconstituer.

Copyright Adek BERRY / AFP
Une femme marche devant la People’s Bank of China, la banque centrale de Chine, à Pékin, en juin 2024.

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne