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05/08/2020

China Trends #6 - Comment convaincre ? La voix de la Chine à l’international

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China Trends #6 - Comment convaincre ? La voix de la Chine à l’international
 Johan van de Ven
Auteur
Senior Analyst au RWR Advisory Group

De l'apparition du coronavirus à la pandémie qui a suivi, le tumulte de l’année 2020 a brutalement mis en lumière la perception duale de la Chine à l'international. La Chine a été à la fois le berceau de l'épidémie et le plus grand pourvoyeur d’aide dans la lutte contre le virus. Les "fonctionnaires érudits" chinois ont, en réaction, cherché à comprendre pourquoi les accomplissements et la contribution chinoise à la communauté internationale n'ont pas aidé la Chine à acquérir un "pouvoir international du discours" (国际话语权), que l’on peut aussi traduire par "droit international à la parole". Ce pouvoir du discours relève d’un objectif de longue date et d’un enjeu pointé du doigt dès 2016 par le secrétaire général du Parti communiste chinois Xi Jinping, lors d’une conférence de travail sur l’information et l’opinion publique organisée par le Parti1. Alors que certains analystes attribuent les difficultés chinoises en la matière aux efforts entrepris par l’Occident pour contenir la Chine, d'autres mettent en avant la nécessité, pour le pays, de renforcer sa crédibilité à l'international. Ces experts expliquent aussi que c’est en augmentant son pouvoir du discours que la Chine pourra prendre le contrôle de l'agenda international. Cet argument va de pair avec la croyance selon laquelle la Chine est actuellement sujette à des normes morales qui diffèrent de celles qui s’appliquent aux autres grandes puissances. Ainsi, l'inquiétude généralisée au sujet de la montée en puissance de la Chine serait moins la conséquence d'un comportement controversé de l'État chinois en lui-même - par exemple la persécution des minorités ethniques au Xinjiang - que la manifestation d’un pouvoir du discours occidental qui dominerait toujours.

Beaucoup voient dans la tendance américaine actuelle visant à se retirer des organisations internationales, une opportunité stratégique offerte à la Chine pour prendre le contrôle de l'agenda international.

Sun Jisheng, vice-présidente de la China Foreign Affairs University (CFAU), soutient que pour pallier ce problème, la Chine doit "participer à la formulation des règles de gouvernance, à la fixation des agendas de gouvernance et à la création des institutions de gouvernance", afin d’avoir un impact direct sur l’ordre futur de la gouvernance mondiale, et à terme le statut international de la Chine2. Beaucoup voient dans la tendance américaine actuelle visant à se retirer des organisations internationales, tendance qui s’intensifie, une opportunité stratégique offerte à la Chine pour prendre le contrôle de l'agenda international.

S’approprier le pouvoir du discours

Dans certaines publications récentes, on trouve aussi l’idée selon laquelle, au-delà du cadre de la réponse à la crise du coronavirus, les réussites de l'État chinois – campagne de lutte contre la pauvreté, Jeux Olympiques de 2008 à Pékin, statut d’une Chine devenue deuxième économie mondiale – ne lui ont pas permis d’acquérir un respect proportionnel à ces réalisations. Aux yeux de Sun Jisheng, cela est pour partie expliqué par le fait que "ce sont des étrangers qui racontent la Chine, en discréditant et en déformant son rôle, propageant ainsi la théorie d’une menace chinoise et celle d’une ligne dure de la Chine" 3. Cette critique est reprise par Zhang Zhanbin, directeur de l'École des études marxistes à l'Académie nationale de gouvernance ; il affirme ainsi que "certains pays occidentaux cherchent activement à ternir la réputation chinoise, nous obligeant (nous, Chine) à adopter une posture de lutte contre l’incendie" 4.

Plutôt que de poser la question de savoir pourquoi la Chine suscite des opinions si négatives, ces analystes s’accordent avec consensus sur le fait que la propagation internationale de ces théories a pour objectif explicite de rabaisser le pays. Li Qiang, doyen de l'École des relations internationales à l’Université d’études étrangères de Tianjin, est à ce propos particulièrement direct : "afin d'empêcher la Chine d'améliorer son pouvoir du discours, les États-Unis s’appuient sur l’hégémonie du leur pour supprimer et entraver la Chine dans différents secteurs"5. Par conséquent, explique Zhang Zhanbin, il s’agit pour la Chine de "renverser de fond en comble le discours occidental et la représentation qui donne à voir l'Occident comme puissant et la Chine comme faible (彻底扭转"西话主导、西强我弱"的态势)".Les auteurs dressent un éventail de mesures qui permettraient à la Chine de communiquer sa perspective à l’international avec davantage d’efficacité. Zhang Zanbin évoque par exemple le besoin d’augmenter la production de travaux de référence en langues étrangères sur la trajectoire de développement chinoise et la nécessité d’amplifier les échanges académiques et la coopération, afin de former des experts étrangers sur les problématiques chinoises. Il suggère aussi que la Chine pourrait "enrichir et améliorer sa production théorique et académique dans le domaine des communications (提升对外交流的理论和学术含量)". Pour Sun Jisheng, des efforts doivent être menés pour "développer une théorie chinoise permettant d’expliquer les pratiques chinoises, afin d’éviter que les usages diplomatiques chinois soient appréhendés par le prisme de la théorie occidentale des relations internationales".

Feng Shizheng et Wei Qingong, chercheurs à l'Académie nationale de développement et de stratégie de l'Université Renmin, approuvent ces deux recommandations et préconisent "une meilleure étude des conditions en Chine et une étude des fondements historiques et pratiques qui l’ont conduite à faire ses choix", afin de "résoudre le problème des critiques exprimées à l’international à l’égard du modèle de développement chinois"6. Cependant, dans l’analyse politique chinoise, ces idées ne sont pas nouvelles ; on voit donc mal comment elles pourraient améliorer la capacité de la Chine à tenir tête à la prédominance du pouvoir du discours propre à l’Occident. Le pouvoir du discours chinois dépendrait davantage des circonstances, l'option la plus sûre pour la Chine résidant peut-être dans les moments d'opportunité stratégique à saisir, à l’image, par exemple, de la mauvaise gestion de la crise sanitaire par l’administration américaine.

Le pouvoir du discours chinois dépendrait davantage des circonstances, l'option la plus sûre pour la Chine résidant peut-être dans les moments d'opportunité stratégique à saisir, à l’image, par exemple, de la mauvaise gestion de la crise sanitaire par l’administration américaine.

Le besoin de bâtir l’influence

Compte tenu de la forte sensibilité politique du sujet, les conduites controversées de l'État chinois ne sont pas débattues dans les sources analysées pour cet article. Plusieurs auteurs reconnaissent qu’il ne faut pas attendre des réussites chinoises en termes de développement et de l’accumulation de hard power qu’elles génèrent mécaniquement un pouvoir du discours à l’international. Zuo Fengrong, doyen adjoint de l'Institut international d’études stratégiques de l'École centrale du Parti communiste chinois et Liu Yong, Senior Researcher du Centre de développement et de recherche du Conseil des affaires de l’État, admettent que parvenir à ce pouvoir du discours nécessite la reconnaissance et le soutien d'autres pays7. Li Qiang exprime une idée similaire : "le respect ou la violation des principes moraux internationaux peuvent affaiblir ou améliorer la légitimité du pouvoir étatique". De son côté, Sun Jisheng fait preuve de davantage de réserve en soutenant que la Chine est mal placée pour construire une influence internationale quand seulement 1 % du personnel du Secrétariat des Nations unies est de nationalité chinoise.

Les propositions des auteurs sur la manière de parvenir à une influence chinoise renforcée varient grandement. Li Qiang indique que "pour construire un pouvoir du discours qui soit moral, la Chine doit d'abord occuper les hauteurs stratégiques de la moralité". Zuo Fengrong et Liu Yong suggèrent l'importance de développer un environnement médiatique qui inspire confiance, en estimant que "l'apparence d’indépendance, d’absence de contrôle politique et d’objectivité dont sont dotés les médias occidentaux explique en grande partie pourquoi ils sont vus comme si importants par les autres pays", avec néanmoins une réserve : "la réalité est peut-être différente de ce qu’elle semble être". Li Qiang invite la Chine à gagner des soutiens en fournissant des biens publics mondiaux - une initiative qui semble avoir gagné du terrain depuis la pandémie de coronavirus, avec une Chine qui a émergé en tant que grand pourvoyeur d'aide matérielle. Néanmoins, les efforts accrus menés par la Chine en matière de biens publics – cette aide déployée dans la lutte contre le Covid-19, précédée par l’offre de prêts de grande ampleur dans le cadre des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative, BRI) – sont venus nourrir une inquiétude croissante face aux implications de cette expansion pour l'ordre international libéral.

Dans la continuité de son analyse, Sun Jisheng propose un remède institutionnel en plaidant en faveur d’une refonte complète du système de formation des diplomates chinois (y compris l’apprentissage des langues et l'éducation au sein de portefeuilles spécifiques), perçu comme susceptible d'améliorer la capacité du personnel diplomatique chinois à gravir les échelons des organisations internationales. Sun Jisheng souligne également qu’"avec le développement massif des plateformes de réseaux sociaux, savoir utiliser les outils de diplomatie publique à l’image de ces nouveaux médias est désormais une compétence que les diplomates doivent maîtriser". L’emphase mise par l’analyste sur les réseaux sociaux dévoile une certaine conscience du fait que la Chine doit s’efforcer de façonner activement la manière dont elle est perçue hors de ses frontières, plutôt que de passivement laisser ces perceptions se former.

La Chine doit s’efforcer de façonner activement la manière dont elle est perçue hors de ses frontières, plutôt que de passivement laisser ces perceptions se former.

Cependant, la tâche est ardue, en témoigne l’ampleur des réponses négatives en réaction aux attitudes agressives des diplomates chinois sur les réseaux sociaux dans le contexte de la diplomatie dite du "loup combattant" ("wolf warrior" diplomacy). Là encore, comme pour les recommandations de politiques publiques formulées par les auteurs pour contrer l'hégémonie du discours occidental, l’idée est que c’est plutôt en attendant patiemment que des opportunités arrivent - et non en forçant le cours des choses - que la Chine parviendra à servir sa quête d’influence à l’international.

Expliquer la Chine, en Chine, et en des termes chinois

Que le relatif déficit de la Chine en matière de pouvoir du discours soit attribué à la domination de celui de l’Occident ou à l’échec de la Chine dans ses efforts de gain d’influence internationale, les auteurs partagent l’idée que la Chine devrait être expliquée en des termes chinois. Ling Shengli a une interprétation littérale de ce principe puisqu’il promeut l’idée d’une expansion de la pratique chinoise dite de "la diplomatie à domicile (主场外交)" (en référence à l’accueil par la Chine de sommets bilatéraux et multilatéraux)8. L’auteur soutient qu’en "menant une diplomatie à domicile, la Chine peut faire porter sa voix à l’international, accroître sa participation et son rôle dans le façonnement du système mondial et optimiser sa propre image à l’international". La "diplomatie à domicile" a été préconisée par le ministre des Affaires étrangères Wang Yi en 2014, avec des origines qui pourraient remonter au moins au début de la période de la réforme économique chinoise. Depuis 2014, la Chine a déployé beaucoup d'efforts et d’argent au service du renforcement de sa diplomatie à domicile, en accueillant des forums multilatéraux comme le Forum sur la coopération sino-africaine de 2018. Ling Shengli affirme qu'à travers des événements de cette nature, la Chine "construit une scène sur laquelle elle chante par elle-même (搭台唱戏)".

Les événements ayant lieu en Chine sont cependant déjà nombreux. Le problème est moins de construire une plateforme permettant à la Chine de s'exprimer, que de s’assurer que les autres pays prêtent une oreille à sa version de l'histoire. L’accueil de grands événements internationaux comme le Forum Bo'ao doivent s’assortir d’une voix crédible, un point que Sun Jisheng et Zhang Zhanbin admettent indirectement au regard de leurs plaidoyers respectifs pour une formation diplomatique améliorée et un rayonnement académique international élargi.

Fixer l'agenda international

Bien que nombre de recommandations issues de ces articles reviennent à mettre les bouchées doubles sur des pratiques déjà existantes, l’argument selon lequel il est temps pour la Chine de chercher à augmenter son pouvoir du discours ressort avec clarté. Zuo Fengrong et Liu Yong affirment que cela permettra au pays de "définir l'agenda, établir les règles et les standards et gagner l'approbation et l'acceptation des autres pays". Pour Sun Jisheng, la capacité à fixer l'agenda international aidera la Chine à "mettre en avant les problèmes qui comptent pour elle". En mettant l’accent sur les réussites domestiques chinoises et ses contributions à l’international et en détournant l'attention des aspects controversés de l’attitude de l’État chinois, il est possible de garantir un soutien international accru et de faire levier sur la communauté internationale en faveur des intérêts stratégiques du pays. Cela se rapprocherait de l'approche américaine du pouvoir du discours international dans la période d’après-guerre. Zuo Fenrong et Liu Yong, tout comme Sun Jisheng, estiment que la tendance de l'administration Trump à se désengager des organisations et des accords internationaux ouvre une fenêtre d'opportunité pour la Chine et pour son pouvoir du discours, en particulier institutionnel. Pour Sun Jisheng, "après les retraits des États-Unis, la Chine est devenue la colonne vertébrale" d'un grand nombre d'organisations. Par conséquent, dans la recherche d’un pouvoir du discours international, cela pourrait être dans les intérêts des autorités chinoises de ne pas refaçonner l'arène internationale à travers des initiatives comme la "diplomatie à domicile", mais plutôt d’attendre, tout simplement, l'émergence des bonnes circonstances géopolitiques. Le contraste entre les trajectoires de la Chine et des États-Unis en termes de lutte contre le coronavirus n’est qu’un exemple illustrant comment une fenêtre d'opportunité peut surgir pour avancer le pouvoir du discours de la Chine.

 

1 "Grasp International Discourse Power, Effectively Broadcast China’s Voice – À Theoretical Discussion of Xi Jinping’s Thinking on Overseas Propaganda (把握国际话语权 有效传播中国声音——习近平外宣工作思路理念探析)", Xinhuanet.com, 6 avril 2016.
2 Sun Jisheng, "Theory, Mechanisms, Strength: Revisiting the Strengthening of Chinese Diplomacy Research (理论、机制、能力:加强中国外交研究的思考)", Pacific Journal, 2 juin 2020.
3 Sun Jisheng, "Revisiting Chinese Diplomacy and International Discourse Power (中国外交与国际话语权提升的再思考)", Journal of the Central Institute of Socialism, 27 mai 2020.
4 Zhang Zhanbin, "Turning China’s Development Superiority into a Discourse Power Advantage (把中国的发展优势转化为国际话语优势)", Study Times, 25 mai 2020.
5 Li Qiang, "China’s International Discourse Power: Evolutionary Logic, Construction Dimensions, and Pragmatic Challenges (中国国际话语权:演进逻辑、构建维度与现实挑战)", Journal of the Central Institute of Socialism, No. 2, 2020.
6 Feng Shizheng et Wei Qingong, "The Imagination, Localization, and Discourse Power of Chinese Sociology (中国社会学的想象力、本土化与话语权)", The Journal of Jiangsu Administration Institute, No. 5, 2019.
7 Zuo Fenrong & Liu Yong, "How Developed Countries Seek Discourse Power (发达国家怎么谋求话语权)", Beijing Daily, 29 février 2020.
8 Ling Shengli, "Home Field Diplomacy, Strategic Capacity, and Global Governance (主场外交、战略能力与全球治理)", Foreign Affairs Review, No. 4, 2019.

 

 

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