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25/03/2021
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Changement climatique : vers un retour sur la scène internationale ? 

Trois questions à Lola Vallejo

Changement climatique : vers un retour sur la scène internationale ? 
 Lola Vallejo
Directrice du programme climat de l’Iddri.

Il semblerait qu’en matière climatique, nous soyons à l’aube d’importants changements sur la scène internationale. Les grands émetteurs se sont relancés dans la course à la transition écologique : les États-Unis ont de nouveau rejoint l’Accord de Paris sur le climat et la Chine a annoncé son souhait d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060. Le changement climatique pourrait ainsi redevenir un sujet international de premier plan : Joe Biden a convoqué un sommet international sur le climat en avril, et la COP26 se tiendra en novembre à Glasgow. Que signifie tout cela ? Les États-Unis vont-ils jouer un rôle déterminant afin d’encourager d’autres pays à réduire les émissions mondiales et agir en faveur de la protection de l’environnement ? D’autres leaders sont-ils en train d’émerger sur la scène internationale ? Les États les plus concernés choisiront-ils la coopération dans ce domaine, plutôt que la compétition ? Clémence Alméras, chargée d’études à l’Institut Montaigne, a demandé à Lola Vallejo, directrice du programme climat à l’Iddri, de nous donner son avis à ce sujet. 

Le 20 janvier 2021, pour son premier jour à la Maison blanche, le président des États-Unis, Joe Biden, a signé un décret présidentiel afin de rejoindre l’Accord de Paris sur le climat. Le sujet climatique a également été au cœur des discussions qu’il a eues - lui-même ou par le biais de son administration - avec ses homologues (en particulier Narendra Modi et Emmanuel Macron). Après des années d’incertitude, ce sujet est-il en passe de faire son grand retour sur la scène internationale ?

Dès le premier jour de sa présidence, Joe Biden a ratifié toute une série de décrets présidentiels relatifs à la crise climatique, qui visaient à faire passer un message : les États-Unis sont de retour. Les États-Unis sont le deuxième émetteur mondial derrière la Chine, et le premier en termes d’émissions cumulées. Cette décision a donc une portée importante sur le plan international, et nous offre l’opportunité de porter un regard neuf sur les dernières années écoulées.

Rejoindre l’Accord de Paris quelques heures seulement après avoir été intronisé montre la détermination de Joe Biden à lutter contre la crise climatique, mais aussi sa volonté de le faire dans un cadre multilatéral où les États-Unis sont redevenus attentifs au résultat des négociations internationales. Bien que préjudiciable, l’absence des États-Unis a paradoxalement servi de test grandeur nature, bien que périlleux, de la résilience de l’Accord de Paris de 2015 sur le climat. Malgré la tentation de certains autres pays de suivre l’exemple américain, notamment le Brésil de Bolsonaro, aucun autre pays n’a quitté l’Accord. Cette résilience prouve, entre autres, l’importance de ce qu’on appelle les "acteurs non-étatiques" pour, en cas de besoin, supplanter et poursuivre les efforts, dans les négociations, à la place des leaders nationaux. Ainsi, les entreprises, municipalités et États américains ont envoyé des signaux forts vers la communauté internationale via la coalition "We are still in" ("Nous restons"), ou le Sommet global pour l’action climatique (Global Climate Action Summit) qui s’est tenu en 2018 à l’initiative du Gouverneur de Californie Jerry Brown. La scène climatique internationale s’est aussi adaptée autrement : certains pays ont montré qu’ils pouvaient également être prêts à créer de nouveaux forums, comme avec la création de la réunion ministérielle sur l’action climat (Ministerial of Climat Action, ou MoCA) en 2017 par la Chine, le Canada et l’UE.

Les États-Unis devront désormais mériter leur rang de leader climatique.

Les États-Unis devront désormais mériter leur rang de leader climatique. La Maison Blanche a déjà décidé de soutenir une meilleure coordination climatique en organisant un sommet environnemental (Climate leaders' summit) le 22 avril (Jour de la Terre) afin de convaincre d’autres pays de formuler des objectifs plus ambitieux.

 

On dit que l’administration Biden annoncera des engagements climatiques plus ambitieux peu avant le sommet, et qu’elle s’engagera à libérer les financements retenus par l’administration Trump en matière de finance verte, en particulier en ce qui concerne la contribution des États-Unis au Fonds vert pour le climat (Green Climate Fund). D’autres pays ont fait des progrès importants tandis que les États-Unis se retiraient de la course contre le réchauffement climatique ; alors que le "G2" qu’ils formaient avec la Chine avait été absolument capital afin de négocier les bases de l’Accord de Paris, la Chine a unilatéralement annoncé son intention d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060 en septembre, quelques mois seulement avant les élections américaines. L’Europe avait fait une annonce identique presque un an plus tôt. Les États-Unis devront donc eux aussi prouver qu’ils sont déterminés à atteindre cette neutralité dans leur pays afin d’être des leaders crédibles sur la scène internationale. Par ailleurs, parmi les autres décisions importantes prises par la Maison Blanche lors du premier jour de la présidence Biden, figurent l’arrêt de l’oléoduc Keystone XL venant du Canada ainsi que celui de nombreux projets de forage d’énergies fossiles dans des zones auparavant protégées.

Au-delà d’être des champions sur le plan national, le leadership américain serait d’autant plus utile si le gouvernement arrivait à se positionner en tant que médiateur dans les accords internationaux pour le climat. Les États-Unis pourraient ainsi être ouverts au dialogue avec tous les pays, et pas uniquement les économies les plus importantes : le continent africain et les pays les moins développés et les plus vulnérables. John Kerry - qui a été nommé Envoyé spécial du président pour le climat - a montré des signes indiquant que là serait sa priorité ; le sommet international convoqué par Biden rassemblera des pays n’étant pas inclus dans le Forum des grandes économies mondiales sur le climat (Major Économies Forum, ou MEF).

Au-delà du retour des États-Unis sur la question, l’importance des sujets climatiques sur la scène internationale devra être jugée à l’aune du contenu des plans de relance adoptés nationalement afin de répondre à l’impact du Covid-19 sur l’économie mondiale. L’élan international permettant au climat de rester en haut de la liste des priorités est parfois fragile ; pas plus tard qu’il y a deux semaines, les pays membres de l’OCDE ont élu Mathias Cormann à la tête de l’organisation, et ce malgré de sérieuses inquiétudes quant à engagement pour le climat.

Plus de cent pays se sont à ce jour engagés à atteindre la neutralité carbone dans les 40 prochaines années, y compris le plus gros émetteur, la Chine. Si ces efforts sont souvent solitaires et même compétitifs par nature (par exemple la course au développement de nouvelles technologies vertes), on attend beaucoup de la COP26 qui se tiendra à Glasgow en novembre. Est-ce réaliste de la considérer comme une COP plus ambitieuse que les précédentes ?

Les engagements à atteindre la neutralité carbone sont un signal politique important car ils montrent que les pays mesurent l’ampleur de la tâche qui les attend sur le plan climatique. Le GIEC indique en effet que le monde devrait atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 et un niveau d’émissions nettes négatif après cela afin d’éviter les effets les plus néfastes du changement climatique, et le limiter à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels. Ces engagements appellent cependant des feuilles de route détaillées au niveau sectoriel, un large éventail d’incitations, et une gouvernance attentive afin d’être atteints. Les engagements à l’horizon 2030, attendus d’ici à la COP26, seront un test du sérieux des engagements à plus long terme. L’Accord de Paris impose aux pays de soumettre des Contributions déterminées au niveau national (Nationally Determined Contributions, ou NDC) d’ambition croissante tous les cinq ans. Une enquête provisoire du secrétariat de la CCNUCC montre que nous sommes encore loin d’atteindre ces objectifs, et loin de ce que recommande la science. Les engagements mis à jour ou améliorés de 75 pays (y compris l’UE), soit 30 % des émissions mondiales, représentent moins de 1 % de réduction des émissions mondiales de CO2 en 2030 comparé aux niveaux de 2010, tandis que le rapport spécial du GIEC appelle à une baisse de 45 %. L’UE a joué le jeu en soumettant en décembre des engagements plus ambitieux visant à réduire d’au moins 55 % les émissions par rapport aux niveaux de 1990 (ce chiffre était de 40 % en 2015). Sous la pression internationale, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande ont quant à eux déjà signifié leur intention de soumettre de nouveaux engagements plus ambitieux d’ici 2030, après s’être engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Mais d’autres pays du G20, par exemple le Mexique ou l’Australie, ont soumis des engagements similaires, ou même moins ambitieux qu’en 2015. Les NDC soumis par les États-Unis et la Chine, qui représentent à eux deux 35 % des émissions mondiales, seront critiques afin de faire de la COP26 une "réussite".

Au-delà de la somme des objectifs, ce qui compte in fine c’est la qualité des discussions, au niveau national, au sujet de la transition. L’exemple français est à cet égard intéressant : la Convention citoyenne pour le climat et les débats en cours sur la loi "climat et résilience" qui en découle ont donné un aperçu des choix difficiles qui nous attendent à court-terme. Mais l’objectif - à savoir de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % - est déjà dépassé depuis que l’UE a augmenté ses objectifs en décembre dernier.

Comment donc préserver le souffle collectif insufflé par le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris ? Le gouvernement britannique, qui présidera la COP26 en partenariat avec l’Italie, a un rôle crucial à jouer afin d’encourager les pays à soumettre de nouveaux engagements climatiques plus ambitieux d’ici novembre. En outre, les deux pays peuvent mettre à profit leurs présidences respectives des forums du G7 et du G20 et les utiliser comme leviers afin d’essayer par exemple de glaner la fin des subventions aux énergies fossiles annoncée en 2009, et de s’assurer que les plans de relance induits par la crise liée au Covid-19 soutiennent les énergies vertes. Les Royaume-Uni a aussi tenu, la semaine dernière, un sommet mondial sur le climat et le développement centré sur le financement de la transition énergétique et l’allègement de la dette. Exprimer de la solidarité avec les pays émergeants afin de soutenir leurs ambitions climatiques est vital si l’on veut que la COP soit couronnée de succès, ce qui est d’autant plus vrai que le monde est toujours, en 2021, dans la tourmente à cause des suites de la pandémie.

Afin que la course vers la neutralité carbone ne soit pas qu’une compétition mais aussi un effort collaboratif, il faudra résoudre un certain nombre de sujets commerciaux brûlants, à commencer par la proposition européenne d’un mécanisme d'ajustement des émissions de carbone aux frontières (carbon border adjustment mechanism, ou CBAM). Les États-Unis peuvent jouer un rôle clé pour donner de l’élan à ce débat, et agir en tant que facilitateurs des discussions que l’UE a avec les autres grandes économies. Les dernières déclarations de John Kerry vont en ce sens.

Afin que la course vers la neutralité carbone ne soit pas qu’une compétition mais aussi un effort collaboratif, il faudra résoudre un certain nombre de sujets commerciaux brûlants.

Selon vous, l’UE a-t-elle encore un rôle de leader à jouer sur ce plan alors que les deux plus grands émetteurs, la Chine et les États-Unis, sont en train d’endosser les premiers rôles dans la transition écologique ? Ce nouveau paradigme n’est-il pas en train de bouleverser les relations entre États, et par conséquent la géopolitique mondiale ?

Alors que l’administration Trump s’apprêtait à quitter l’Accord de Paris, et avant que la Chine ne s’engage au plus haut niveau de l’État sur la neutralité carbone en septembre dernier, l’Union européenne allait, elle, de l’avant avec son action climatique, s’engageant en décembre 2019 à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et améliorant ses engagements de réduction des émissions pour 2030 un an plus tard. Le test du leadership exercé par l’UE dépend donc de sa capacité à mettre en œuvre avec succès le projet politique très ambitieux du Pacte vert, et de combiner efficacement ses divers objectifs : zéro pollution, neutralité climatique, préservation de la biodiversité, sécurité énergétique, mais aussi emplois. Les débats et choix politiques faits par l’UE pourront ensuite résonner à l’étranger, alors que les États-Unis et l’UE réfléchissent tous les deux à un CBAM, ou à créer un espace pour plus de coopération internationale, par exemple autour du développement de la finance verte. Le grand défi qui attend l’UE sera de décider de l’allocation des "émissions négatives" afin d’atteindre la neutralité carbone tout en maintenant la sécurité alimentaire et en tentant de préserver la biodiversité dans le secteur de l’Agriculture, foresterie et autre affectation des terres (AFAT, en anglais AFOLU pour Agriculture, Forestry and Other Land Uses).

S’il est mis en place, le Pacte vert européen déclencherait d’ambitieuses réformes internes qui auraient un impact sur des pays tiers. La transition énergétique aurait par exemple des implications profondes pour les pays exportateurs d’énergies fossiles tels que l’Algérie ou la Russie qui exportent principalement vers l’UE, tout en augmentant la dépendance de l’Europe vis-à-vis de certains matériaux critiques. De manière plus générale, la course à la neutralité carbone, si elle est prise au sérieux, impliquerait une mutation structurelle de toutes les économies et de ce fait modifierait en profondeur les flux commerciaux existants. La diplomatie climatique de l’UE est inséparable de la diplomatie de son Pacte vert, qui ne doit pas seulement se concentrer sur les risques mais aussi sur les nouvelles opportunités, par exemple dans les relations entre l’UE et l’Union africaine. En imposant des standards d’efficacité énergétique, de zéro-déforestation et d’économie circulaire aux produits vendus dans l’UE, le Pacte vert aura un impact sur les flux commerciaux, et il existe de réels risques que ces mesures soient interprétées comme une guerre commerciale masquée sous couvert d’action climatique. La coopération dans le domaine du développement et les politiques commerciales peuvent être canalisées afin de rendre plus facile l’acceptation des aspects externes du Pacte vert, et en faire un atout pour l’action multilatérale en réponse à des menaces environnementales partagées par tous.

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