AccueilExpressions par MontaigneAUKUS, une nouvelle corde à l'arc du "Global Britain" ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.23/09/2021AUKUS, une nouvelle corde à l'arc du "Global Britain" ? Sécurité et défense États-Unis et amériques EuropeImprimerPARTAGERAuteur Georgina Wright Directrice adjointe des Études internationales, Experte résidente Sous-marins australiens : l'onde de chocAUKUS, le pacte de sécurité dans le Pacifique entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis a suscité la colère en France. Deux raisons expliquent cette réaction : la décision de l'Australie d'annuler un contrat vieux de cinq ans avec la France concernant la construction de sous-marins à propulsion diesel et le fait que la France n’ait appris l'existence d’AUKUS que quelques heures avant son annonce officielle ; deux raisons qui ont conduit la France à rappeler ses ambassadeurs de Canberra et de Washington. La France a en revanche décidé de ne pas rappeler son ambassadeur à Londres. Comment expliquer cette décision ? D’une part, la France considère que le Royaume-Uni ne joue qu’un rôle mineur dans le pacte AUKUS. Les nouveaux sous-marins, qui seront finalement à propulsion nucléaire, seront conçus aux États-Unis, et l'Australie, quant à elle, se charge uniquement de les acheter. Le rôle qu’aurait joué le Royaume-Uni dans les négociations entre les États-Unis et l'Australie reste, à ce jour, vague même si, d’après le journal britannique The Times, c’est avec les Britanniques que les Australiens ont pris contact en premier pour discuter du nouveau contrat. D'autre part, la France estime que le Royaume Uni adopte une posture opportuniste. Quelques jours après l’annonce, le ministre français des Affaires étrangères, M. Le Drian, a déclaré le Royaume-Uni coupable d’un "opportunisme permanent". Pour le gouvernement français, la décision du Royaume-Uni est motivée par deux choses : par la nécessité de montrer un soutien indéfectible aux États-Unis, comme d’obtenir une victoire politique facile confortant sa stratégie de "Global Britain" en n’ayant fait, en réalité, que très peu. Pourtant, malgré cela, AUKUS pourrait avoir un impact dommageable sur les relations franco-britanniques. Ce pacte vient envenimer une relation déjà détériorée et constitue une preuve supplémentaire de la distance et de la méfiance croissantes entre ces deux voisins.AUKUS - une nouvelle corde à l'arc du "Global Britain"Les raisons qui auraient poussé le Royaume-Uni à conclure un pacte de sécurité dans l’Indopacifique avec les États-Unis et l'Australie font l'objet de nombreuses spéculations. La première raison est sans nul doute de concrétiser le post-Brexit et de s’engager plus sérieusement dans l'Indopacifique - ce que le Royaume-Uni avait par ailleurs promis de faire après le Brexit. L'Integrated Review, le plan du Royaume-Uni pour sa stratégie de politique étrangère ("Global Britain") publié en mars 2021, mentionne l'Indopacifique une trentaine de fois. Le gouvernement a clairement indiqué qu'il entendait avoir la "présence la plus large et la plus intégrée" de toutes les nations européennes dans l'Indopacifique. A minima, AUKUS, couplée avec la décision britannique d'envoyer un porte-avions en mer de Chine méridionale, a le mérite de rendre cette ambition un peu plus concrète.La première raison est sans nul doute de concrétiser le post-Brexit et de s’engager plus sérieusement dans l'Indopacifique. Deuxièmement, il s'agit visiblement pour le Royaume-Uni de travailler en étroite collaboration avec ses alliés. L'Integrated Review mentionne la relation spéciale que le Royaume-Uni entretient avec les États-Unis, mais aussi avec son partenariat étroit avec l'Australie. Ces derniers, ainsi que le Canada et la Nouvelle-Zélande, font également partie d'une alliance en matière de renseignement, connue sous le nom de "Five Eyes". Il est ainsi probable que le Royaume-Uni soit en charge de la formation des militaires australiens afin qu'ils soient en mesure d'utiliser les nouveaux sous-marins à technologie nucléaire.Enfin, ce pacte de sécurité permettrait de développer des technologies communes au Royaume-Uni, aux États-Unis et à l’Australie pour protéger les câbles sous-marins en utilisant l'intelligence artificielle et les communications quantiques. Ceci est particulièrement important au vu des investissements chinois et russes dans la cybernétique et la technologie sous-marine. Le Royaume-Uni affirme que cela profitera non seulement à l'Australie, mais aussi à d'autres pays de la région Indopacifique. S'exprimant hier depuis les États-Unis, le Premier ministre Boris Johnson a déclaré qu’AUKUS était "fondamentalement un grand pas en avant pour la sécurité mondiale. Il s'agit de trois alliés aux vues similaires se tenant côte à côte et créant un nouveau partenariat pour le partage de la technologie". En d'autres termes, ce pacte pourrait constituer les fondations sur lesquelles construire d’autres partenariats - qui pourraient éventuellement inclure d'autres pays tels que la France. Le Royaume-Uni a qualifié la réaction de la France d’"excessive" et "butée". Non seulement AUKUS n'empêcherait pas la France d’étendre son influence dans la région Indopacifique, mais cet accord, et le fait que l'Australie s’arme et s’équipe de la meilleure protection qui soit, servent également l'intérêt de la région, et donc également celui de la France. De plus, l'entreprise française de construction navale, Naval Group, n'aurait pas dû gâcher son "contrat du siècle" avec l'Australie, selon les Britanniques.La place du Royaume-Uni dans AUKUS vue par la France : entre opportunisme et insignifianceLa France n’y croit pas vraiment. Elle estime que le rôle du Royaume-Uni relève davantage de l’opportunisme et de l'insignifiance que de clairvoyance stratégique.Pour de nombreux Français, la décision du Royaume-Uni de rejoindre ce nouveau pacte de sécurité dans le Pacifique est une nouvelle tentative du Royaume-Uni de convaincre Washington qu'il est un partenaire de confiance - et que le Royaume-Uni devrait être le partenaire de choix des États-Unis, notamment pour faire face à la montée en puissance de la Chine dans la région Indopacifique. C'est également un autre exemple illustrant à quel point la politique étrangère et de sécurité du Royaume-Uni est de plus en plus déterminée par Washington. Le moment choisi a également suscité des interrogations. Si le Royaume-Uni finit par construire une partie des sous-marins, ce travail sera très probablement effectué en Écosse ou dans le nord de l'Angleterre, deux régions dans lesquelles le Premier ministre tient à investir et à créer des emplois. Même si ce n'est pas le principal moteur, c’est néanmoins, sans doute, un argument de poids.La politique étrangère et de sécurité du Royaume-Uni est de plus en plus déterminée par Washington. Enfin, la France considère que le Royaume-Uni est le partenaire "junior" de cette coalition. L'accord ne prévoit pas d'engagement militaire, de sorte qu'AUKUS ne risque pas d'épuiser les ressources britanniques. Ainsi, en tout point, le rôle du Royaume-Uni est soit trop faible, soit trop imprécis (à ce stade) pour être préoccupant.Mauvaise passe pour les relations franco-britanniquesLes relations franco-britanniques ne sont pas au beau fixe. Depuis trois ans, ces relations sont marquées par la suspicion. Du point de vue de Paris, AUKUS n'est que le dernier coup porté à une relation déjà tendue. La situation est si mauvaise que Paris ne se contente plus de se méfier du Royaume-Uni, il s’agit désormais d’une défiance manifeste.Cela rend toute réconciliation ou détente cordiale improbable. Alors que l'appel téléphonique de Joe Biden et d'Emmanuel Macron, mercredi, a abouti sur un engagement à renforcer leur collaboration ainsi qu’une promesse de soutien américain pour les initiatives européennes au Sahel, M. Johnson a opté pour une plaisanterie sur la réaction de la France en lui demandant de “donner un break” au Royaume-Uni.Le temps de la réconciliationParfois, même les désaccords les plus mineurs font des dégâts. Réparer cette relation distendue ne sera pas chose aisée. Il faudra du temps, de la bonne volonté et une action conjointe pour que la confiance revienne à son niveau d’avant, et il est difficile d’imaginer que cela se produise avant l'élection présidentielle de 2022.Pour commencer, le Royaume-Uni doit montrer à la France qu'il peut être un allié de confiance - par des actions plutôt qu’avec des mots. Le Royaume-Uni doit expliquer à la France quelles sont ses priorités et quelle place la France peut y occuper. Cela doit se faire par le biais de réunions bilatérales régulières, au niveau ministériel ainsi que par les canaux officiels. Le Royaume-Uni doit également étudier les moyens d'inclure la France dans les nouvelles structures de politique étrangère. Par exemple, en invitant la France à une réunion des "Five Eyes”, ou en créant un nouveau groupement États-Unis-Royaume-Uni-France sur l'Indopacifique. En attendant, la France devra également démontrer qu'elle est prête à commencer un nouveau chapitre avec le Royaume-Uni. Par exemple, elle pourrait organiser un nouveau sommet pour célébrer les traités de Lancaster House (un événement qui devait avoir lieu en 2020, mais qui a été retardé en raison de la pandémie de Covid-19) et en profiter pour réfléchir à de nouvelles manières de coopérer ensemble. 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