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08/06/2021

Santé : la France, terre d’innovation ? 

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Santé : la France, terre d’innovation ? 
 Laure Millet
Auteur
Experte Associée - Santé

La proposition faite le 5 mai 2021 par l’administration Biden de lever temporairement les brevets sur les vaccins contre le Covid-19 a suscité de vives réactions en Europe et aux États-Unis. Cette annonce, qui s'inscrit dans la démarche portée par l’Inde et l’Afrique du Sud à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a poussé les 27 pays membres de l’Union européenne à définir une position commune sur ce sujet. Alors que la France et les Pays-Bas semblent favorables à la levée des droits de propriété intellectuelle, l’Allemagne, d’où est originaire le laboratoire BioNtech, y est opposée. En France, de nombreux débats sur l’attractivité de notre pays en matière d’innovation ont ressurgi pendant la crise sanitaire et le lancement du Conseil stratégique des industries de santé en février dernier, qui vise à "faire de la France la 1ère nation européenne innovante et souveraine en santé", montre la volonté des pouvoirs publics d’avancer sur ce sujet éminemment stratégique. Mais où en est la France en matière d’innovation en santé et de dépôts de brevets ? Et comment peut-elle se maintenir dans la compétition internationale ?

La France est un pays innovant mais en perte de vitesse 

La France dispose de nombreux atouts à même d’encourager l’innovation et est plutôt bien lotie : le classement Thomson Reuters de 2017 place en effet la France en 3ème position en termes de nombre d’entreprises et d’organismes innovants (tous secteurs confondus), derrière les États-Unis et le Japon. Elle dépose significativement plus de brevets qu’un grand nombre de ses voisins européens et dispose d’atouts majeurs : recherche dynamique, réseaux entrepreneuriaux denses, hôpitaux de pointe, chercheurs et médecins bien formés, etc. 

Cependant, la réalité du terrain impose de constater que ces acteurs restent bien souvent en silo, et ce pour des raisons culturelles, réglementaires ou par absence d’infrastructures adaptées. Ce constat entraîne une perte de chance pour la France comme terre d’innovation, si l’on en croit l’étude qui peut être faite de certains hubs d’innovation, comme le Massachusetts, avec l’exemple de Boston, qui se démarque par une mise en réseau de l’ensemble des acteurs d’une filière de sciences du vivant extrêmement dense. Ainsi, la mise en réseau des acteurs et la capacité à faire levier sur leurs atouts respectifs sont de véritables facteurs clés de succès.

Dans un contexte de compétition internationale accrue, la France perd donc de la vitesse face à des pays comme la Grande-Bretagne, les États-Unis, l’Allemagne ou encore la Chine. Plusieurs freins permettent d’expliquer ce retard.

La course internationale aux talents n’épargne pas la France

Avec des institutions telles que le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) ou encore l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et 10 % des études internationales de recherche clinique réalisées sur son territoire, la France est mondialement reconnue pour l’excellence de sa recherche scientifique et clinique.

De trop nombreux chercheurs français choisissent de partir faire carrière à l’étranger sans jamais revenir en France.

Pour autant, de trop nombreux chercheurs français choisissent de partir faire carrière à l’étranger sans jamais revenir en France. Les raisons de leur départ sont nombreuses : le salaire moyen en début de carrière d’un chercheur français s’établit à seulement 63 % du salaire moyen des pays de l’OCDE. Par ailleurs, le peu de perspectives d’évolutions professionnelles dans la recherche publique et la rigidité des parcours entre recherche privée et publique constituent autant d’incitations pour les chercheurs à partir à l’étranger. 

Enfin, les profils recrutés changent et les industries des sciences de la vie ont désormais besoin de profils très pluridisciplinaires formés aux biotechnologies, au digital, à l’analyse de données et à l’IA, aux dispositifs médicaux. Les établissements d’enseignement supérieur doivent adapter leur offre à ces nouveaux enjeux.

L’enjeu du financement des entreprises pour réussir le passage à l’échelle 

Bien que la France crée de nombreuses startups (en 2017, 18 de biotech ou medtech pour un million d’habitants, contre 10 pour un million aux États-Unis), beaucoup de ces entreprises, face aux difficultés à lever des fonds et à l’environnement réglementaire français complexe, choisissent de faire leur développement hors de nos frontières. 

Il existe en France un grand nombre d’aides à l’amorçage pour les jeunes entrepreneurs souhaitant créer leur startup, mais les financeurs privés comme publics sont peu incités à investir dans le "passage à l’échelle" des entreprises (capital-risque et capital-développement) pour permettre aux jeunes pousses de devenir des petites entreprises, puis des entreprises de taille intermédiaire. Dans le domaine de la santé, les retours sur investissements peuvent être élevés mais il faut disposer d’une vision de long terme et connaître ce secteur, parfois jugé trop complexe et risqué par les investisseurs. 

Début 2020, le lancement du programme "French Tech 120" a permis d’illustrer la volonté du gouvernement français de devenir le meilleur des soutiens possibles pour les startups du secteur de la santé (biotechnologies, solutions thérapeutiques, dispositifs médicaux, e-santé). Les sociétés sélectionnées bénéficient d’un soutien pour l’aide au développement à l’international, le financement, l’accès au marché, le recrutement de talents, etc. Mais les montants d’aide au développement sont encore insuffisants pour un véritable passage à l’échelle et une visibilité au niveau mondial.

La réglementation française en santé demeure relativement instable et complexe 

L’instabilité et la lenteur de notre système réglementaire découragent souvent les entreprises innovantes à développer leur activité en France et privent les patients français de découvertes parfois réalisées dans leur propre pays. Bien que notre environnement normatif ait été pensé pour garantir aux patients un maximum de sécurité, les dernières crises sanitaires ont amplement contribué à crisper le débat autour des conflits d’intérêt et de la réglementation et à alourdir les procédures. Pour autant, alors que tous les pays font face aux mêmes défis, il est utile de voir que certains de nos voisins, à l’image du Royaume-Uni ou de l’Allemagne, ont su proposer des circuits rapides et transparents ainsi que des évaluations plus adaptées. 

La France a été pionnière en mettant en place dès 1992 l’autorisation temporaire d’utilisation (ATU), procédure d’accès à des médicaments en amont de l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Cependant, elle demeure à la traîne au niveau européen concernant les délais d’accès aux médicaments innovants, qui sont en moyenne de 33 jours plus élevés que l’objectif fixé par la directive européenne (nommée "Directive transparence"). De plus, la France se situe au 21ème rang des pays européens en termes de délai de disponibilité des médicaments

L’instabilité et la lenteur de notre système réglementaire découragent souvent les entreprises innovantes.

Notre pays peine par ailleurs à renouveler la gouvernance et les compétences de ses grandes agences à l’image de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ou de la Haute Autorité de Santé (HAS) qui ne disposent pas des moyens adaptés pour évaluer les nouveaux dispositifs et intégrer les nouveaux enjeux des NTIC et du numérique

Quelques pistes pour rendre la France plus attractive en matière d’innovation en santé

Une étude de 2017 montre les stratégies mises en place par différents pays pour renforcer leur attractivité en matière de R&D et de production. Elles sont classées en six catégories : les mesures sur la fiscalité des entreprises, par exemple la réduction du taux d’impôt sur les sociétés (au Royaume-Uni ou en France), l’amélioration de l’accès au marché, à l’image des procédures de fast-track (au Royaume-Uni ou aux États-Unis), l’allègement de la réglementation et de la bureaucratie (comme en Italie pour la législation sur l’emploi), le développement d’une filière santé avec de véritables synergies entre les différents acteurs de l’innovation, publics ou privés (comme en Suisse avec le Switzerland Innovation Park), les relations entre le public et le privé et le portage de l’offre, c’est-à-dire la promotion de l’investissement, l’aide à l’export, le soutien à l’industrie.

Ainsi, la France peut avancer sur plusieurs fronts pour redevenir une terre attractive pour les chercheurs (R&D) et les industriels (essais cliniques, production) : 

  • former et attirer les meilleurs talents pour faire émerger et développer les innovations ; cela implique d’encourager les établissements universitaires à développer des formations pluridisciplinaires en sciences de la vie et à adapter les filières de formation (biotechnologies, dispositifs médicaux, santé numérique, données en santé). En parallèle, l’attractivité des carrières des chercheurs doit reposer sur une plus grande flexibilité dans les salaires, le déroulement des carrières et les passerelles public/privé.
     
  • faciliter les connexions entre les acteurs à tous les niveaux ; des interfaces de collaboration et de rencontre doivent être pérennisées pour faciliter les connexions entre les acteurs. De plus, un méga-hub en santé pourrait être créé dans une ville française disposant d’infrastructures dédiées et dotée d’une notoriété internationale. Ce hub permettrait d’être le fer de lance de la filière à l’échelle nationale.
     
  • améliorer l’accès aux financements pour les entreprises innovantes comme pour la recherche ; cela peut passer notamment par la concentration des financements de l’innovation en santé par les pouvoirs publics sur quelques priorités clés dont l’efficacité pourrait être mesurée avec des indicateurs transparents. Par ailleurs, il est nécessaire que les investisseurs institutionnels et les acteurs de l’assurance vie investissent dans les sciences de la vie à travers des incitations et une information ciblée. Les grands fonds internationaux disposant d’équipes dédiées aux sciences de la vie devraient aussi être incités à investir en France.
     
  • établir un environnement réglementaire propice à un accès rapide et sécurisé du patient aux meilleures innovations ; il serait judicieux de conduire un audit de l’ensemble de la réglementation en santé et de réévaluer celle-ci au regard des meilleures pratiques internationales pour l’adapter aux enjeux de l’innovation (e-santé). De plus, il est nécessaire d’aller plus loin sur les expérimentations relatives aux processus fast track d’évaluation pour des produits de santé présentant potentiellement un intérêt clinique majeur. En parallèle, systématiser les réévaluations pour les produits innovants en se basant sur les données en vie réelle est essentiel. Pour ce faire, l'accès aux données de santé doit être simplifié.
     

 

 

Copyright : DENIS CHARLET / AFP

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