AccueilExpressions par Montaigne[Le monde vu d'ailleurs] - Macron 2.0 et l’AllemagneL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.28/04/2022[Le monde vu d'ailleurs] - Macron 2.0 et l’Allemagne Union Européenne EuropeImprimerPARTAGERAuteur Bernard Chappedelaine Ancien conseiller des Affaires étrangères Tous les quinze jours, Bernard Chappedelaine, ancien conseiller des Affaires étrangères, nous propose un regard décalé sur l'actualité internationale. Nourris d'une grande variété de sources officielles, médiatiques et universitaires, ses décryptages synthétisent les grands enjeux du moment et nous invitent à poursuivre la réflexion en compagnie des meilleurs experts étrangers. Cette semaine, il examine les réactions allemande à la réélection d'Emmanuel Macron.Soulagés de la défaite de Marine Le Pen et conscients de la brusque modification de la situation géostratégique du continent européen, les milieux politiques allemands entendent, à la différence de 2017, mettre à profit la réélection d’un Président europhile pour renforcer l’Union européenne et la coopération franco-allemande. Emmanuel Macron doit quant à lui promouvoir un agenda de réformes internes pour maintenir sa crédibilité à Berlin. Un grand soulagement dans la classe politique allemandeLa première réaction des milieux politiques allemands à l'annonce de la réélection d'Emmanuel Macron est empreinte d’un grand soulagement. Une victoire de Marine Le Pen aurait signifié une remise en cause radicale de l'intégration européenne à laquelle sont attachés tous les partis représentés au Bundestag, à l'exception de l'AfD. La candidate du Rassemblement National (RN), dont "l'agenda politique est profondément imprégné d'un ressentiment anti-allemand" (Vorwärts), avait également fait part de sa volonté de retirer la France du commandement intégré de l'OTAN et de remettre en cause la coopération franco-allemande, en particulier les projets communs en matière d'armement. La reconduction du Président sortant est donc saluée par les responsables du gouvernement fédéral et des partis. "Votre réélection est pour nous aussi, Allemands, une bonne nouvelle", déclare le Président Steinmeier, qui ajoute "vous avez rendu à la démocratie en France et en Europe un grand service". Signataire avec ses homologues espagnol et portugais dans le quotidien Le Monde d’une tribune apportant son soutien au Président sortant, Olaf Scholz, qui a téléphoné à Emmanuel Macron dès les résultats connus, relève le "fort engagement européen" de ses électeurs et se félicite de "poursuivre la bonne coopération engagée". Les propos des dirigeants du parti des Verts sont particulièrement explicites : Cem Özdemir, ministre fédéral de l'agriculture, fait part de son "grand soulagement", Omid Nouripour, président des Grünen, accueille avec satisfaction cette "bonne nouvelle" pour l'UE et la coopération franco-allemande. "L'UE est la grande gagnante de cette élection", réagit également Christian Lindner, ministre (FDP) fédéral des Finances. "Aujourd'hui, l'UE a aussi gagné", se réjouit Friedrich Merz, président de la CDU. "Un nouvel élan à la coopération franco-allemande est possible et nécessaire". Seule l'AfD se démarque, qui a "félicité notre partenaire Marine Le Pen pour son bon résultat", Emmanuel Macron n'ayant obtenu, selon son président Tino Chrupalla, "qu'une victoire en trompe l'œil". Une nouvelle opportunité qui, cette fois, doit être saisieBeaucoup de responsables et d'experts allemands sont convaincus que Berlin doit éviter, comme ce fût le cas en 2017, de procrastiner. Angela Merkel n'avait en effet pas réagi au discours de la Sorbonne, et le Spiegel avait alors titré "Un cher ami : Emmanuel Macron sauve l'Europe et l'Allemagne doit payer". Il importe désormais selon eux de saisir l'opportunité de la réélection d'Emmanuel Macron pour faire progresser l'intégration européenne, alors même que l'héritage de l'ex-Chancelière fait aujourd'hui l'objet d'un réexamen critique. Christian Lindner admet que, depuis des années, l'Allemagne s'est exposée à un triple risque de dépendance, énergétique (Russie), sécuritaire (États-Unis) et économique (Chine), le ministre fédéral des Finances conclut que son pays doit "refonder son business model". Il importe désormais selon eux de saisir l'opportunité de la réélection d'Emmanuel Macron pour faire progresser l'intégration européenne.Bien qu'Olaf Scholz se soit présenté comme le successeur d'Angela Merkel dont il partage la prudence - illustrée encore en début d'année par son refus initial de remettre en cause le projet de gazoduc Nord Stream 2 - le Chancelier fédéral a prononcé le 27 février 2022 devant le Bundestag un discours qui fera date. Le Chancelier tire les conséquences du changement d'époque ("Zeitenwende"), provoqué par la décision russe d'envahir l'Ukraine, qui marque la fin de l'Ostpolitik. L'épidémie de Covid-19 avait déjà brisé un tabou de la politique allemande, Berlin ayant accepté, pour la première fois, une communautarisation des dettes. Au plan économique, l'ordolibéralisme strict fait moins recette chez les économistes, l'idée d'une politique industrielle n'est plus écartée, de même que la notion de souveraineté européenne progresse dans les esprits. Le conflit russo-ukrainien a également provoqué une rupture historique dans la politique de sécurité allemande : le budget de défense doit dorénavant excéder 2 % du PIB et, malgré ses réticences initiales, le gouvernement fédéral livre désormais des armes à l'Ukraine, pays en guerre. Les sujets habituels de discussion demeurentParmi les thèmes traditionnels de désaccord entre Paris et Berlin figure l’énergie. Toujours très critique à l'égard du recours au nucléaire, la nouvelle coalition va mettre en œuvre un programme ambitieux de développement des énergies renouvelables, mais est contrainte de rechercher en urgence des alternatives au gaz russe. Autre objet de discussions, la politique fiscale et monétaire est considérée sous un jour nouveau après l'épidémie de coronavirus et compte tenu des conséquences de la guerre en Ukraine. Mais le retour de l’inflation actuel conduit la Bundesbank à prôner plus que jamais un resserrement de la politique monétaire, alors que la France redoute une hausse des taux d'intérêt, susceptible d'accroître les écarts de taux ("spreads") entre l'Allemagne et des États membres plus endettés qu'elle. En dépit des dépenses occasionnées par la pandémie et d'un taux de croissance inférieur en 2021 à celui de la France, l'Allemagne a en effet pu contenir son déficit budgétaire (3,5 % du PIB) et son endettement public (70 %), qui atteint 115 % du PIB en France. Or le débat au sein de l'UE sur une réforme du pacte de stabilité et de croissance devrait reprendre. Exprimant une opinion répandue outre-Rhin, la Süddeutsche Zeitung s'inquiète de voir la France devenir "un problème pour l'UE" et s'engager dans "une impasse". "La deuxième économie européenne semble largement indifférente à l'état de ses finances publiques", déplore le quotidien.L'annonce par Olaf Scholz, le 27 février 2022, d'un effort sans précédent en faveur de la Défense (en 2021, deux points du PIB allemand représentent 70 milliards d’euros, alors que le budget de la Défense français avoisine 40 milliards d’euros), qui doit se traduire par la création d'un fonds spécial doté de 100 milliards d’euros, conduit aussi à s'interroger sur les priorités, européennes/transatlantiques, qui seront retenues (comme le démontre l’acquisition récente de F-35 américains par la Bundeswehr) et sur la part qui sera affectée aux programmes franco-allemands. D’ores et déjà, la guerre en Ukraine a modifié profondément la situation géopolitique du continent. S'il s'inscrit dans la durée, ce conflit est susceptible de mettre à l'épreuve la solidarité européenne (sanctions, intervention).S'il s'inscrit dans la durée, ce conflit est susceptible de mettre à l'épreuve la solidarité européenne (sanctions, intervention), et de renforcer l'attrait de l'OTAN et de la protection américaine, y compris en Allemagne, au détriment des ambitions françaises de souveraineté stratégique. L'avenir du partenariat oriental et l'élargissement de l'UE se posent dans des termes nouveaux, notamment dans les Balkans occidentaux - la Bosnie-Herzégovine est confrontée actuellement à une menace de sécession de la Republika srpska - alors que jusqu'à présent, la France se montre plus réservée sur l'adhésion de nouveaux États. La modification de la situation géopolitique renforce la main d’Emmanuel Macron Les enjeux pressants (conséquences du Covid-19, guerre en Ukraine, urgence climatique, défi chinois, etc.) auxquels fait face l'UE renforcent la main du Président français, qui dispose au sein du gouvernement fédéral d'interlocuteurs bien disposés à l'égard de ses priorités. C'est notamment le cas des dirigeants des Verts, qui ont contribué à donner au contrat de coalition une orientation pro-européenne très concrète. Emmanuel Macron a fait un pas en direction de Berlin en opérant, dans son discours, un glissement de "l'autonomie" à la "souveraineté" stratégique afin de prendre en compte les inquiétudes sur un possible découplage avec les États-Unis en matière de défense. Le terme de souveraineté permet en outre d'inclure les questions économiques, énergétiques et sanitaires. La pandémie de coronavirus et la guerre en Ukraine ont mis en évidence la vulnérabilité des chaînes de valeurs, les aléas de la mondialisation et, de manière générale, la permanence des risques politiques auxquels l'Allemagne, pays exportateur, est particulièrement sensible. Emmanuel Macron a fait un pas en direction de Berlin en opérant, dans son discours, un glissement de "l'autonomie" à la "souveraineté" stratégique.Éditeur de la FAZ, le grand quotidien libéral, Gerard Braunberger convient que ces nombreux facteurs d'insécurité internationale donnent des arguments à une politique européenne plus interventionniste. "Le dialogue germano-français n'a jamais été facile, mais il est incontournable", souligne Gerard Braunberger, qui invite l'Allemagne à ne pas hésiter à avancer des contre-projets aux propositions françaises, étant entendu qu'une France qui réussit sur le plan économique est "la meilleure France que l'Allemagne puisse espérer".Faire progresser l'intégration européenne nécessite non seulement de parvenir à un accord avec Berlin, mais aussi d'emporter l'adhésion des autres États membres. Il faut aller plus loin que la recherche, privilégiée par Angela Merkel, du consensus minimal, tout en prenant en compte leurs inquiétudes notamment sur la Russie, les initiatives solitaires de Paris et de Berlin (architecture de sécurité européenne, Nord Stream 2) ayant irrité les capitales d'Europe centrale et balte. Le discours tenu par Franziska Brantner, secrétaire d'État (die Grünen) au ministère fédéral de l'Économie, témoigne des espoirs et des attentes de ceux qui, comme elle, sont engagés dans la coopération franco-allemande. La réélection d'Emmanuel Macron offre "une nouvelle chance que nous devons cette fois vraiment utiliser", déclare-t-elle au DLF. "Nous avons inscrit la souveraineté stratégique de l'UE dans le contrat de coalition, afin de rendre l'Union plus résiliente, durable, sociale et démocratique, et cela avec une France forte", rappelle Franziska Brantner, il faut adopter une approche commune de la question des chaînes de valeur, réduire la dépendance aux matières premières vis-à-vis de certains pays, créer des instruments pour lutter contre la concurrence déloyale et mieux protéger notre industrie. Autant d'objectifs partagés à Paris, souligne la secrétaire d'État, qui admet qu'en Allemagne "certains redoutent toujours que la France et Emmanuel Macron soient Européens uniquement pour affaiblir l'industrie allemande et renforcer l'industrie française", craintes qu'il importe de dissiper. Les projets de la coalition dans le domaine des infrastructures énergétiques et de transport ont été élaborés en se référant à la France, précise Franziska Brantner, convaincue que la divergence existant sur le nucléaire ne constitue pas un obstacle à la coopération qui doit se développer sur les énergies renouvelables et l'hydrogène vert. L'actuelle coalition a hérité d'une dépendance à l'égard du gaz et du pétrole russes, constate la responsable du ministère fédéral de l'Économie que, depuis son entrée en fonctions, le Ministre et Vice-chancelier Robert Habeck s'emploie à réduire. L’hypothèque de politique intérieureLa volonté de réformer l'UE dont est crédité Emmanuel Macron pourrait cependant se heurter à la réalité des rapports de force politiques qui se dégageront à l'issue des élections législatives de juin prochain. Au cours des cinq années écoulées, le déficit démocratique n'a pas été comblé. Au contraire, les partis de gouvernement ont perdu l'essentiel de leur base électorale, tandis que les mouvements populistes ont accru leur audience au point de recueillir plus de la moitié des suffrages, notent les experts allemands. Le discours politique s'est radicalisé et droitisé, l'opinion est profondément clivée, l'euroscepticisme s'est répandu, ce qui réduit singulièrement les marges de manœuvre du prochain gouvernement, s'inquiètent-ils. Il n’est pas certain que, cette fois, La république en marche ! obtienne une majorité parlementaire. Dans ces conditions, la dette publique et le déficit budgétaire pourront-ils être réduits ? La réforme des retraites pourra-t-elle aller à son terme ? La politique énergétique suscite d’autres interrogations : la rénovation du parc nucléaire vieillissant mobilise des moyens importants, qui vont s'ajouter au financement de la construction de nouvelles centrales et au développement des énergies renouvelables. En 2027, Emmanuel Macron ne pourra briguer un troisième mandat. Sera-t-il pour autant en mesure de mener à bien dans les années à venir les réformes qui assureront sa crédibilité vis-à-vis du partenaire allemand ? Copyright : Ludovic MARIN / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 15/04/2022 [Le monde vu d'ailleurs] - L’élection présidentielle vue de Moscou Bernard Chappedelaine 01/04/2022 [Le monde vu d'ailleurs] - La fin de l’Ostpolitik Bernard Chappedelaine