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10/12/2019

Listes communautaires : phénomène ou chimère ?

3 questions à Antoine Jardin

Listes communautaires : phénomène ou chimère ?
 Antoine Jardin
Docteur en Science Politique

Alors que les prochaines élections municipales se tiendront les 15 et 22 mars 2020, la question des "listes communautaires" est récemment revenue sur le devant de la scène : ces listes, dont la définition varie selon les points de vue, sont parfois présentées comme une atteinte à l’unité de la nation, et un encouragement au communautarisme. Comment appréhender ce phénomène aujourd’hui ? Les listes communautaires joueront-elles un rôle majeur lors des prochaines élections ? Antoine Jardin, docteur en Science Politique, ingénieur de recherche CNRS au CESDIP, enseignant à Sciences Po et à l'Université de Versailles Saint-Quentin, répond à nos questions.

Quel est le poids réel des listes communautaires en France ? Ont-elles de réelles chances de succès lors des prochaines élections municipales?

Il faut d'abord définir ce que l'on entend par listes communautaires. Il s'agit en réalité de listes qui se présentent ou s'affirment sur la base d'une affiliation spécifique, notamment religieuse. En un sens, on peut considérer comme communautaires les listes qui ne souhaitent s'adresser par principe qu'à une partie de la population, une communauté spécifique. Nous avons longtemps connu des listes que l'on peut considérer comme communautaires avec les listes régionalistes ou localistes. En 2014, cinq listes régionalistes, regroupées sous la bannière de la fédération Régions et Peuples Solidaires, se sont présentées aux élections européennes en France (sur 193 listes au total).

Ce qui change aussi, c'est l'hypothèse d'un vote structuré autour d'une identité religieuse (principalement musulmane) ou d'une identité ethnoraciale (ce qui est apparu dans le monde associatif mais pas dans la compétition électorale). Toutes les études électorales en France, depuis une vingtaine d'années, concordent pour signaler la faiblesse de ce phénomène et le peu de voix obtenues par ces listes qui, par définition, ne possèdent pas de couverture territoriale nationale, ne sont pas ancrées de longue date dans le paysage institutionnels, et ne possèdent pas les ressources des grandes forces politiques, notamment en matière d'accès à l'espace médiatique. Aux élections européennes 2019, la liste de l’Union des démocrates musulmans de France (UDMF) n’a obtenu que 0,13 % des suffrages exprimées (soit 28 400 bulletins).À Mayotte, département d’outre-mer peuplé à 95 % de musulmans, ce parti n’a recueilli que 2 voix.

On a vu plus souvent ces listes apparaître comme des adversaires ou des partenaires privilégiés des majorités politiques en place.

On a vu plus souvent ces listes apparaître comme des adversaires ou des partenaires privilégiés des majorités politiques en place : en ce sens, il peut s'agir d'une stratégie visant à peser sur le jeu politique local ou régional. Ce qui caractérise la société française est son faible taux de ségrégation, par rapport, par exemple, à la société américaine dans laquelle le principe du vote communautaire à base ethnoraciale est explicitement affirmé dans les "majority minority districts", des circonscriptions où les minorités raciales sont démographiquement majoritaires.

La plupart des habitants des banlieues marginalisés françaises, lorsqu'ils votent (c'est-à-dire principalement lors des élections présidentielles), ne construisent de fait pas leur socialisation électorale avec ce type de liste. Si elles semblent croître aujourd'hui, c'est d'abord en raison de la perte de capacité d'organisation des partis politiques traditionnels. Le déclin des grandes forces politiques de gauche (PCF et PS), concurrencées par des organisations moins implantées (LFI, EELV), et la perte d'influence de la droite au profit du RN dans les milieux populaires sont des éléments qui participent de l'émergence de nouvelles formes de politisation.

Leur existence est-elle légale ? Des municipales ont-elles déjà essayé de les interdire ?

Il n'y a pas d'obstacle à ce qu'une liste politique se définisse idéologiquement sur une base religieuse ou ethnoraciale, dans la limite des lois qui interdisent l'expression de haine ou les logiques de discriminations. En un sens, une large part des listes d'extrême-droite nationalistes peuvent être considérées comme des listes communautaires. Elles sont parvenues à se constituer une légitimité croissante au cours des 30 dernières années à mesure que ce secteur du champ politique s'est construit de façon institutionnelle. Les mairies n'ont pas la capacité d'interdire des listes électorales, ce sont les préfectures qui valident les candidatures déposées et c'est la justice qui peut être amenée à condamner des individus, éventuellement à des peines d'inéligibilité.

La présence de listes communautaires a t-elle conduit à une augmentation de la participation dans certaines territoires ?

La présence de ce type de liste n'est de facto possible que lors des scrutins locaux, qui sont paradoxalement des scrutins peu mobilisateurs dans les quartiers marginalisés. De fait, on n'observe pas de hausse spécifique de la participation lors des élections municipales. Il faut souligner, par ailleurs, qu'il est difficile de constituer une liste, bien davantage que de présenter une candidature législative ou départementale, dans la mesure où il faut disposer d'un vivier de candidats bien plus important pour déposer un dossier de candidature recevable.

Les mairies n'ont pas la capacité d'interdire des listes électorales, ce sont les préfectures qui valident les candidatures déposées et c'est la justice qui peut être amenée à condamner.

Étudier la seule participation électorale officiellement mesurée n'est pas suffisant, dans la mesure où de nombreux habitants des quartiers marginalisés sont mal inscrits sur les listes électorales, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas inscrits dans la commune dans laquelle ils résident. En 2012, on comptait en France 3 millions de non-inscrits sur les listes et 6,5 millions de personnes mal-inscrites.

Soulignons toutefois que le rapport à l'islam est en train de devenir un enjeu polarisant du débat politique français, mais cette polarisation n'a pas été construite par de petites listes communautaires, elle est bien davantage la conséquence de la reformulation de la stratégie de l'extrême-droite, qui a associé ces thématiques religieuses et culturelles au discours de rejet de l'immigration (qui, initialement, était un discours de clôture économique, développé notamment par François Duprat avec le slogan "1 million de chômeurs, c'est un 1 million d'immigrés en trop").

 

Copyright : OLIVIER MORIN / AFP

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