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08/04/2020

Les États face au coronavirus - L'Allemagne, un modèle résilient

Les États face au coronavirus - L'Allemagne, un modèle résilient
 Alexandre Robinet-Borgomano
Auteur
Expert Associé - Allemagne

Chronologie

  • 27 janvier : premier cas de Covid-19 détecté en Allemagne dans le Land de Bavière. 
  • 24 février : le ministre de la Santé Jens Spahn annonce que l’épidémie a atteint l’Allemagne. 
  • 4 mars : l’Allemagne interdit l’exportation de matériel de protection médical hors de ses frontières. 
  • 9 mars : l’Institut Robert-Koch, l’agence fédérale responsable du contrôle et de la prévention des maladies, annonce le premier décès lié au Covid-19, alors que le nombre de cas porteurs du virus dépasse pour la première fois la barre symbolique des 1000 personnes. 
  • 11 mars : première conférence de presse de la Chancelière depuis le début de la crise. Angela Merkel annonce que l’épidémie pourrait toucher à terme 60 % de la population. 140 millions d’euros sont débloqués pour soutenir la recherche sur le vaccin ; le recours au chômage partiel est facilité pour les entreprises.  
  • 12 mars : l’État fédéral et les Länder annoncent la suspension de toutes les opérations médicales planifiées, afin de libérer des lits supplémentaires dans les hôpitaux. Les manifestations de plus de 1 000 personnes sont reportées. Les Länder décident progressivement de fermer leurs crèches et leurs écoles.
  • 13 mars : Olaf Scholz, le ministre des Finances et Peter Altmaier, le ministre de l’Economie présentent un paquet de mesures exceptionnelles visant à soutenir l’économie, qui comprend des garanties de prêts et un fonds de stabilisation de l’économie de 600 milliards d’euros.
  • 15 mars : le Ministre de l’Intérieur Horst Seehofer annonce la fermeture des frontières avec les pays frontaliers. Les transferts de marchandises et les déplacements des travailleurs transfrontaliers restent autorisés. Le journal Die Welt révèle ce même jour que les USA auraient tenté d’obtenir l’exclusivité du vaccin sur lequel travaille le laboratoire allemande CureVac. 
  • 16 mars : la Chancelière détaille une liste de mesure exceptionnelles visant à freiner la propagation du virus : fermeture des bars et des clubs, des institutions culturelles, des terrains de jeu et des maisons closes, suspension des offices religieux et des voyages à l’étranger. Pour éviter la congestion, les magasins d’alimentation et les pharmacies peuvent ouvrir le dimanche. La Bavière est le premier des Länder à décréter l’état d’urgence (Katastrophenfall).
  • 18 mars : dans une allocution télévisée - la première depuis qu’elle est au pouvoir - la Chancelière appelle les Allemands au respect des consignes de distanciation, à la solidarité et déclare que "l’Allemagne fait face à son plus grand défi depuis la Seconde Guerre mondiale".   
  • 20 mars : le Ministre-Président de Bavière, Marcu Söder, instaure des mesures de confinement plus strictes que dans le reste du pays. 
  • 22 mars : l’État fédéral et les Länder s’accordent sur la fermeture des restaurants et des salons de coiffure. Les regroupements de plus de deux personnes dans l’espace public sont interdits et passibles d’amendes.    
  • 23 mars : le Baden Wurtemberg est le premier État allemand à accueillir dans ses hôpitaux des patients venus de France et d’Italie.  
  • 25 mars : le Bundestag approuve le plan de sauvetage de l’économie et lève les freins à l’endettement prévus dans la Constitution. Lors de cette même session, il adopte une loi sur la protection de la population en situation d’épidémie, qui renforce significativement les compétences du ministère fédéral de la Santé dans la gestion de la crise. 
  • 30 mars : le Conseil économique des sages allemands annonce qu’une récession est inévitable. 
  • 1er avril : l’État fédéral et les Länder s’accordent pour prolonger les mesures de restriction imposées à l’économie et l’interdiction des contacts au-delà des fêtes de Pâques.
  • 15 avril : l’État fédéral et les Länder s’accordent sur une stratégie progressive de déconfinement.
  • 27 avril : le gouvernement présente le fonctionnement de sa nouvelle application de traçage numérique, basée sur une utilisation volontaire et un stockage décentralisé des données 
  • 13 mai : La Chancelière appelle les citoyens à rester prudents et disciplinés lors de la phase d’ouverture. 
  • 15 mai : premières manifestations "anti-restrictions" en Allemagne. 
  • 19 mai : La Chancelière allemande et le Président français présentent un plan de sauvetage de 500 milliards d’euros pour permettre à l’économie européenne de se relever. 
  • 26 mai : l’État fédéral présente un plan de 9 milliards d’euros pour sauver la compagnie aérienne allemande Lufthansa. 
  • 2 juin : les partenaires de la grande coalition au pouvoir (CDU-CSU-SPD) se réunissent pour décider d’un nouveau plan de soutien à l’économie. 
     

 

Ce billet a été mis à jour le 4 juin 2020

 

La Chancelière Angela Merkel (CDU) a décrit l’épidémie de coronavirus comme le plus grand défi que devait affronter l’Allemagne depuis la Seconde Guerre mondiale. En retrait de la scène politique depuis qu’elle a annoncé qu’elle renonçait à briguer un cinquième mandat, Angela Merkel retrouve avec la crise un rôle politique de premier plan. La gestion de la crise par la "Krisenkanzlerin" (la Chancelière de crises) est largement approuvée par l’opinion publique allemande : selon le dernier baromètre politique de la ZDF, 89 % des personnes interrogées sont satisfaites de la façon dont le Gouvernement gère la crise et l’alliance CDU-CSU atteint dans les sondages son plus haut score depuis les dernières élections. Si elle a démultiplié ses prises de position publiques, Angela Merkel n’a rien changé à son style, marqué par le pragmatisme, la modération et l’appel à la responsabilité de chacun. Depuis le début de la crise, son message est centré sur un seul objectif : aplanir la courbe des contaminations pour éviter la saturation du système de soin.    

Une exception allemande ? 

Lundi 1er juin 2020, le nombre de personnes contaminées en Allemagne s’élevait à près de 184 000 et le nombre décès imputables au Covid-19 à 8 722, soit un taux de mortalité proche de 4,7 %. À la même date, la France comptait 189 000 personnes contaminées et plus de 28 830 décès liés au virus, soit un taux de mortalité proche de 15,2 % alors que l’Italie qui comptait 233 300 personnes contaminées et plus de 33 400 décès, soit un taux de mortalité proche de 14,3 %.

La faiblesse du taux de mortalité constaté en Allemagne, considérée comme une “exception  allemande”, peut être ramenée à deux facteurs d’explication. Avec près de 350 000 tests par semaine depuis le 16 mars, le nombres de tests pratiqués dans le pays est l’un des plus élevés au monde et contribue à dessiner un tableau de la propagation du virus plus réaliste que dans d’autres pays européens. La sous-estimation du nombre de personnes contaminées dans des pays comme la France ou l’Italie conduit à une importante surévaluation de leurs taux de mortalité et comme le révèle l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, seule l’évolution du nombre de décès peut, au fond, donner une image réaliste de l’évolution de l’épidémie pays par pays.  

La sous-estimation du nombre de personnes contaminées dans des pays comme la France ou l’Italie conduit à une importante surévaluation de leurs taux de mortalité.

L’autre facteur permettant d’expliquer le taux de mortalité particulièrement faible de l'Allemagne relève de la temporalité de la pandémie. Comme le montre le graphique du Spiegel qui décrit l’évolution du nombre de décès liés au Covid-19 à partir des 10 premiers décès, l’Allemagne a été touchée par l’épidémie avec 8 jours de décalage par rapport à la France et 14 jours de décalage par rapport à l’Italie. La courbe des décès en Allemagne suit, dans les 10 premiers jours, une évolution comparable aux courbes françaises et italiennes : il serait donc erroné de voir dans les faibles taux de mortalité qui caractérisent l’Allemagne le signe d’une exception allemande. 

L’évolution de la courbe allemande des infections et des décès liés à l’épidémie se caractérise en revanche par une inflexion plus rapide que dans les autres pays européens. Tout en reconnaissant que l’Allemagne était encore au "début de l’épidémie", l’Institut Robert Koch, l’agence fédérale responsable du contrôle et de la prévention des maladies, annonçait vendredi 3 avril 2020 que les mesures mises en place en Allemagne au milieu de mois de mars commençaient à produire leurs premiers effets. 

Une stratégie: trois piliers 

Afin de lutter contre l’épidémie,  l’Allemagne a mis en place des mesures pour limiter les contacts sur le territoire, identifier les individus porteurs du virus à travers la multiplication des tests et renforcer les capacités de son système de soin.

1. Limiter les contacts

En tenant compte du "retard" de l’Allemagne dans la propagation de l’épidémie, les mesures de distanciation sociale adoptées par l’Allemagne sont intervenues de façon plus précoce que dans d’autres États européens. Bien avant l’intervention du politique dans la crise, la population est sensibilisée à l’importance des gestes barrières par l’Institut Robert Koch, l’agence fédérale de santé, qui fait figure de référence et dont les recommandations sont largement prises en compte par les Allemands. Dès le 11 mars, alors que les premiers décès liés au Covid-19 venaient d’être identifiés, la Chancelière appelle ainsi les Allemands à éviter les rassemblements et à respecter les "gestes barrières" recommandés par l’Institut Robert Koch. Comme le montrent les études consacrées au rôle des contacts sociaux dans la propagation des épidémies, l’intensité plus faible de ces derniers en Allemagne, par rapport à d’autres Etats européens, a pu contribuer à limiter la diffusion du virus.

Comme dans toute l’Europe, l’Allemagne a pris des mesures de restriction exceptionnelles. Dimanche 15 mars, cédant à la pression des Länder frontaliers de la France et de l’Autriche, le gouvernement fédéral a annoncé la fermeture de ces frontières terrestres avec la plupart de ces voisins européens et mis en place des mesures de dépistage pour les nouveaux entrants. Le lendemain, la Chancelière détaillait, dans un style sobre et contenu, une liste de mesures visant à freiner la propagation du virus : fermeture des bars et des clubs, des institutions culturelles, des terrains de jeu et des maisons closes, suspension des offices religieux et des voyages à l’étranger. Elle invitait également les Länder qui ne l‘avaient pas encore fait à fermer leurs crèches et leurs écoles. Ces mesures de distanciation sociale ont été renforcées le 22 mars, lorsque l’État fédéral et les Länder se sont accordés sur la fermeture des restaurants et des salons de coiffure et sur l’interdiction des rassemblements de plus de deux personnes dans l’espace public, exception faite des familles ou des personnes issues d’un même foyer. 

Comme le montrent les études consacrées au rôle des contacts sociaux dans la propagation des épidémies, l’intensité plus faible de ces derniers en Allemagne, par rapport à d’autres Etats européens, a pu contribuer à limiter la diffusion du virus.

Justifiée par l’urgence sanitaire et plutôt bien acceptée par la population, la mise en place de ces mesures a suscité en Allemagne deux débats importants. 

  • Le premier est lié à la structure fédérale de l’Allemagne. Dans la mesure où la lutte contre les maladies relève de la compétence des Länder, le gouvernement fédéral doit s’accorder avec les gouvernements des différents Etats pour décider de mesures de protection à mettre en place, tout en laissant aux Länder une marge de manœuvre importante pour les faire appliquer. Alors que la lutte contre l’épidémie appelle une réponse rapide et coordonnée, cette structure fédérale a pu apparaître comme un obstacle à une gestion optimale de la crise. C’est pour faire face à cette situation que le Bundestag a adopté le 25 mars 2020 une loi sur la protection des infections (Infektionsschutzgesetz) qui confère au ministre fédéral de la Santé des compétences renforcées en temps d’épidémie. Ce renforcement de l’État central, qui se traduit par une concentration des pouvoirs entre les mains de l’ambitieux ministre de la Santé Jens Spahn, apparaît comme une remise en cause du fédéralisme inscrit dans la Constitution.      
     
  • Le second débat suscité par l’adoption de ces mesures oppose les partisans d’une interdiction des contacts (Kontaktverbot) aux défenseurs d’un confinement (Ausgangsperre). A l’échelle de l’Allemagne, c’est finalement la formule plus modérée de l’interdiction des contacts qui l’emporte, même si différents Länder, à l’instar de la Bavière, de la Sarre et de la Saxe, ont choisi d’imposer des mesures de confinement plus strictes que celles qui prévalaient à l’échelle du pays. Pour comprendre les réticences de l’Allemagne vis-à-vis de mesures de confinement strictes, il convient de se référer à une phrase prononcée par la Chancelière lors de son allocution le 18 mars dernier : "nous sommes une démocratie : nous ne vivons pas par la contrainte, mais par l’information et la participation de chacun". L’expérience des dictatures qui marque l’histoire allemande semble ainsi inciter le pays à promouvoir un mode de gestion de crise moins coercitif que celui qui a fait ses preuves dans différents pays d’Asie et vers lequel tend actuellement la France. 

Pour autant, l’attente des Allemands vis-à-vis de mesures fortes en temps de crise se lit dans le regain de popularité du Ministre-Président de Bavière Marcus Söder (CSU), qui défend depuis le début de l’épidémie des mesures plus strictes que celles décidées au niveau fédéral et apparaît déjà sur le plan politique comme l’un des grands vainqueurs de l’épidémie. 

2. Identifier les porteurs du virus   

Les mesures de distanciation sociales adoptées par l’Allemagne s’accompagnent d’un recours aux tests plus développé que dans la plupart des États européens. La stratégie de dépistage massif pratiquée par l’Allemagne constitue, selon Christian Drosten, directeur de la Virologie à l’hôpital de la Charité de Berlin, “le premier facteur explicatif du faible nombre de morts en Allemagne

S’il n’est pas encore question de tester l’ensemble de la population, ce recours facilité aux tests permet de traiter les patients fragiles avant l’apparition des complications et d’isoler les porteurs asymptomatiques pour éviter de nouvelles contaminations. L’Institut Robert-Koch a ainsi précisé le 3 avril, que la capacité de l’Allemagne à tester sa population avait considérablement augmenté au cours des dernières semaines, atteignant 350 000 tests durant la dernière semaine de mars, et confortant l’objectif de 500 000 tests par semaine affiché par le gouvernement pour le mois d’avril. Le 26 mars, l’entreprise allemande Bosch annonçait par ailleurs la mise imminente sur le marché d’un "test rapide", permettant de traiter en deux heures et demie un échantillon pris dans le nez ou la gorge d'un patient et ce, sans devoir recourir à un laboratoire. 

La capacité de l’Allemagne à tester sa population a considérablement augmenté au cours des dernières semaines, atteignant 350 000 tests durant la dernière semaine de mars, et confortant l’objectif de 500 000 tests par semaine.

La mobilisation de l’industrie dans la lutte contre l’épidémie constitue l’un des éléments forts de la stratégie allemande face à la crise. L’industrie pharmaceutique est soutenue financièrement pour accélérer la recherche sur le vaccin, et l’entreprise allemande CureVac espère parvenir à développer un vaccin contre le Covid-19 à partir de l’automne 2020. De nombreuses usines, notamment dans le secteur automobile, ont réorienté leur production pour produire des masques, des respirateurs artificiels et du matériel de laboratoire. Le Ministre-Président vert du Bade Wurtemberg, Winfried Kretschmann a ainsi envoyé le 23 mars une lettre aux acteurs industriels de son État pour les encourager à réorienter leur production vers une véritable "économie de guerre". 

Au-delà des respirateurs, le besoin de masques de protection représente actuellement le plus grand défi de l’industrie allemande. Alors que la ville d'Iéna vient d’imposer le port du masque dans l’espace public, la plupart des acteurs politiques considèrent que cette obligation représentera un élément central de la stratégie allemande de déconfinement. Les grandes entreprises allemandes sont appelées à soutenir l’action du gouvernement pour acheter en Chine des masques de protection (début avril, le ministère de la Santé annonçait une arrivée de 20 millions de masques en Allemagne, non sans heurts avec les États-Unis), et le gouvernement appelle en parallèle à développer une production industrielle sur le territoire allemand.        

3. Renforcer les capacités du système de soin  

L’objectif central de la stratégie allemande est d’éviter une saturation du système de soin qui se traduirait par une hausse exponentielle des décès liés à l’épidémie : avec l’une des populations les plus âgées d’Europe, l’Allemagne connaît sa vulnérabilité face au Covid-19. Selon un rapport de l’OCDE et de la Commission européenne, l’Allemagne est, après la France, le deuxième pays de l’Union en terme de dépenses de santé ramenées au PIB et le premier pays de l’Union en terme de dépenses de santé par habitant. Les conséquences de cet investissement sont visibles sur le système de soin, qui apparaît comme l’un des mieux préparés d’Europe pour faire face à l’épidémie. 

Avant le déclenchement de la crise, l’Allemagne disposait de 28 000 lits en soins intensifs dont 20 000 équipés de respirateurs et selon la société allemande des hôpitaux, cette capacité a pu être augmentée rapidement pour atteindre début avril 40 000 lits de soins intensifs et 30 000 respirateurs. Une plateforme numérique (DIVI -Deutsche Interdisziplinäre Vereinigung für Intensiv- und Notfallmedizin) a par ailleurs été mise en place afin de coordonner à l’échelle du pays les places disponibles dans les hôpitaux. Le gouvernement fédéral a également lancé sous le titre #WirVsVirus (Nous contre le virus) un “hackathon” destiné à promouvoir les initiatives permettant de lutter contre la saturation des hôpitaux. La ville de Heidelberg a ainsi mis en place des “Corona-Taxis”, chargés de rendre visite aux patients atteints du Covid-19 et d’assurer leur transfert vers des hôpitaux, alors que la start-up Recare gmbh offre aux hôpitaux des solutions de prise en charge des patients à domicile, afin de libérer un maximum de places pour les victimes du Covid-19.   

L’Allemagne est, après la France, le deuxième pays de l’Union en terme de dépenses de santé ramenées au PIB et le premier pays de l’Union en terme de dépenses de santé par habitant.

Le système de soins allemand se caractérise par des investissements de long terme et une forte capacité d’adaptation. À titre de comparaison, l’Italie compte 5 000 lits en soins intensifs et la France, premier pays en terme de dépenses de santé ramenées au PIB, en compte à l’heure actuelle 7 000. Afin de désencombrer les hôpitaux français et italiens, les hôpitaux des différents Länder allemands ont commencé, à partir du 23 mars, à prendre en charge des patients issus de ces deux pays. Si dans un premier temps, l’Allemagne a adopté une position de repli vis à vis de l’Europe, le pays lie désormais sa stratégie de sortie de crise à celle du continent.        

Définir une stratégie de sortie de crise  

Un plan de sauvetage de l’économie de plusieurs centaines de milliards d’euros a été adopté par le Bundestag, le Parlement allemand, le 25 mars dernier. Ce plan de sauvetage prévoit notamment des aides massives aux entreprises et aux salariés, ainsi que la possibilité pour l'État de nationaliser partiellement des groupes stratégiques qui seraient menacés de faillite. S’il rompt avec l’orthodoxie budgétaire qui déterminait la vie politique allemande jusque là, ce plan de sauvetage a largement contribué à rassurer les experts et acteurs économiques outre-Rhin. Le 2 juin, les principaux partenaires de la coalition au pouvoir se sont réunis pour s’accorder sur un nouveau plan de soutien à l'économie allemande dont le montant pourrait de nouveau dépasser les 100 milliards d’euros. Deux semaines auparavant, la Chancelière Angela Merkel soutenait l'idée franco-allemande d’un fonds de 500 milliards d’euros composé de subventions à destination des secteurs économiques et des régions d’Europe les plus touchées par la crise. Comme l’exprime l’économiste Jean Pisani-Ferry dans une tribune du Monde: "la leçon de cette crise est allemande : pour ne pas devoir lésiner sur le keynésianisme face à des chocs financiers, sanitaires ou écologiques, mieux vaut disposer de marges d’action".

Le 30 mars 2020, le Conseil des sages économiques allemands a néanmoins reconnu qu’une récession pour l’année 2020 était inévitable et présenté trois scénarios d’évolution de la conjoncture économique, intimement liés à la durée des restrictions dans le pays. Dans le scénario dit "basic", qui prévoit un retour à la normale avant l’été, le Conseil des sages envisage une contraction de 2,8 % du PIB en 2020 et une croissance de 3,7 % en 2021. Dans cette publication, les sages appellent le gouvernement et les Länder à présenter rapidement un programme de sortie du confinement. 

Compte tenu de l’âge moyen des victimes, qui s’élève en Allemagne à 82 ans, le débat éthique pour savoir s’il convient de limiter les mesures de confinement aux personnes les plus âgées semble inévitable, en Allemagne comme dans de nombreux pays.

Un groupe d’experts présidé par l’économiste Clemens Fuest, directeur de l’Institut IFO à Munich, a ainsi publié le 3 avril une stratégie de sortie visant à renforcer l’immunité naturelle de la population en permettant aux secteurs économiques à haute valeur ajoutée et ceux où le risque d’infection est le moins élevé de reprendre progressivement leur activité. Une réouverture rapide des écoles et des universités et une reprises de l’activité dans les régions les moins touchées par l’épidémie représenterait les premières étapes de cette sortie du confinement s’attachant à concilier l’impératif de la reprise et la nécessité de protéger les personnes les plus fragiles. Compte tenu de l’âge moyen des victimes, qui s’élève en Allemagne à 82 ans, le débat éthique pour savoir s’il convient de limiter les mesures de confinement aux personnes les plus âgées semble inévitable, en Allemagne comme dans de nombreux pays. 

L’Académie nationale des sciences Léopoldina a également proposé des mesures progressives de dé-confinement, marquées par uneutilisation généralisée des masques de protection dans l’espace public et le recours à une application de traçage des personnes infectées, permettant d’alerter de façon anonyme les personnes courant un risque de contamination. Malgré la sensibilité de l’opinion publique allemande à la question de la protection des données, il est désormais probable que cette application, développée par l’Institut Fraunhofer Heinrich-Hertz sur le modèle d’une application utilisée par Singapour, soit l’un des éléments centraux du processus de déconfinement. Un avantage considérable de ce dispositif est que les données personnelles de l’individu ne sont jamais partagées : les informations sur les personnes croisées (chacune avec un identifiant anonyme, changé régulièrement) sont stockées localement (dans le téléphone), et non dans un serveur. Lorsqu’une personne est dépistée positive, elle peut décider, volontairement, de partager cette information, afin que les personnes qu’elle a croisées en soient informées, et qu’elles soient encouragées à se faire tester.

Le 15 avril 2020, lors d’une conférence de presse en présence du Maire de Hambourg et du Ministre-Président de Bavière, la Chancelière Angela Merkel a présenté la première étape de la stratégie allemande de dé-confinement. Elle a tenu à rappeler que la maîtrise de l’épidémie en Allemagne ne représentait qu’un "succès d’étape particulièrement fragile" (ein zerbrechlicher Zwischenerfolg), en rappelant que les règles de distanciation sociale restaient en vigueur jusqu’à la fin du mois d’avril et en recommandant fortement le port du masque dans les transports publics et dans les magasins. La Chancelière a également insisté sur la nécessité de suivre la chaîne des contaminations, en faisant référence à l’application de traçage en cours d’élaboration et à un recours accru aux tests.  
 
Plusieurs mesures ouvrent parallèlement la voix à un dé-confinement progressif, prévoyant notamment la réouverture des commerces de moins de 800 m2, des librairies et des concessionnaires automobiles depuis le 20 avril, alors que les salons de coiffures ne pourront rouvrir que le 4 mai. La Chancelière a également annoncé une reprise progressive de l’enseignement, en commençant par les classes préparant à un examen. A partir du 4 mai, les écoles pourront rouvrir progressivement, à condition de présenter un « concept d’hygiène » propre à chaque établissement. À partir du 15 mai, les hôtels, les bars et les restaurants peuvent rouvrir à condition de respecter la distance d’1,5 mètre entre les clients ; toutes les grandes manifestations sont en revanche suspendues jusqu’au 31 août. Le 21 avril, le Ministre-Président de Bavière et le Maire de Munich annonçaient par ailleurs l’annulation de la fête de la Bière (Oktoberfest), l’un des plus grands rassemblements du pays.        
 
Face au risque d’une "fuite en avant", le virologue Christian Drosten, l’un des scientifiques les plus influents d’Allemagne, a mis en garde contre une réouverture trop rapide, qui pourrait favoriser une nouvelle vague de contamination. Mais dans la mesure où seuls les Länder sont compétents pour décider des mesures de confinement, des différences importantes apparaissent d’une région à l’autre, rendant difficilement tenable les contraintes qui continuent d’être imposées dans les régions les plus strictes. Avec le dé-confinement s’ouvre immanquablement un débat de plus en plus virulent sur la légitimité et l'efficacité des mesures restrictives toujours en vigueur. À partir du 13 mai, des manifestations réunissent dans les grandes villes d’Allemagne des opposants aux mesures de restrictions imposées par le gouvernement, suscitant l’émergence d’un nouveau mouvement de contestation, alors qu’un débat émerge sur la possibilité d’imposer à la population de se faire vacciner une fois le vaccin contre le Covid-19 disponible. Début juin, le sentiment général en Allemagne est celui d’un pays parvenu à gérer une crise qui appartient dorénavant au passé. 

Conclusion

Du fédéralisme au respect de la discipline budgétaire en passant par la protection des données personnelles, la crise a remis en cause les fondamentaux de la vie politique allemande. L’Allemagne révèle cependant la capacité de son système de soin et de son économie à absorber ce choc sans précédent. 

Cette “résilience” caractérise également le système politique allemand. En montrant qu’elle conservait la maîtrise de la situation et que le pays état relativement bien préparé pour faire face à l’épidémie, la Chancelière retrouve dans cette crise une aura ternie depuis plusieurs années. Renonçant à toute rhétorique martiale, la Chancelière entend démontrer que la préparation de l’Etat et la responsabilité des citoyens sont à même d’apporter à la crise sanitaire une réponse aussi efficace que celle des régimes autoritaires. Comme le montrent les derniers sondages, le parti populiste AfD est la première victime du succès de la Chancelière. Cette crise pourrait contribuer à rebattre les cartes de la lutte pour sa succession. Au milieu de cette crise, le ministre de la Santé Jens Spahn et le Ministre-Président de Bavière Marcus Söder, s’imposent incontestablement comme les nouveaux “hommes forts” du conservatisme allemand.   


COPYRIGHT : CORINA FASSBENDER / AFP

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