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13/05/2020

Les États face au coronavirus - La Grèce, un modèle inattendu

Les États face au coronavirus - La Grèce, un modèle inattendu
 Marina Rafenberg
Auteur
Journaliste

Chronologie

  • 26 février : le premier cas de coronavirus est détecté dans le nord de la Grèce à Thessalonique, où une femme revenant de Milan est placée en quarantaine. Quelques jours plus tard, toujours dans le nord du pays, dans la ville de Kastoria, spécialisée dans le commerce des fourrures, deux personnes qui s’étaient rendues à un salon à Milan sont également testées positives au coronavirus. 
  • 1er mars : malgré la protestation des commerçants et hôteliers, le carnaval de Patras, le plus grand du pays, est annulé après seulement la confirmation de trois cas dans le pays. 
  • 12 mars : le premier mort du coronavirus, un retraité de 66 ans, est enregistré à l’hôpital universitaire de Patras, dans le nord-est du Péloponnèse. L’homme s’était rendu en Terre sainte avec un groupe de pèlerins fin février, dont une cinquantaine était tombée malade suite à leur voyage. Suite à ce premier mort, et avec à peine 117 cas de Covid-19, le gouvernement grec annonce devoir prendre des mesures drastiques pour éviter la propagation du virus : écoles, universités, crèches, cinémas, théâtres et lieux de divertissement ferment. 
  • 14 mars : les cafés, bars, restaurants, tavernes (à l’exception de la restauration à emporter et des livraisons), les centres commerciaux, les bibliothèques, les musées, les sites archéologiques ferment à leur tour.  Suite à un week-end ensoleillé où de nombreux citadins s’étaient rassemblés sur les plages privées des rivieras, le gouvernement décide également de les fermer. 
  • 15 mars : tous les voyageurs arrivant de l'étranger sont testés à l’aéroport et placés en quarantaine pour 14 jours. Les amendes en cas de violation des consignes s'élèvent jusqu'à 5 000 euros.
  • 17 mars : Le gouvernement annonce des mesures de confinement pour les camps de réfugiés à travers le pays. Les visites personnelles ou d’organisations humanitaires seront reportées. Les demandeurs d’asile sont par ailleurs priés de justifier leurs sorties limitées. 
  • 18 mars : les rassemblements de plus de dix personnes sont strictement interdits. Chaque personne enfreignant cette règle devra payer une amende de 1 000 euros. Le ministère de l’Economie grec annonce un paquet de mesures pour soutenir les PME et maintenir l’emploi. Une allocation de 800 euros en avril et mai est notamment versée pour les salariés mis au chômage partiel. 
  • 21 mars : les déplacements en bateau vers les îles sont strictement réservés aux résidents permanents. Les autorités craignent la propagation du virus dans ces déserts médicaux. 
  • 23 mars :  le confinement général est mis en place. Les déplacements doivent être justifiés par une attestation imprimée ou un système de sms avec les motifs suivants : activités professionnelles indispensables, achats de première nécessité, aide aux personnes en difficulté, activité physique ou promenade du chien. Les vols depuis et vers le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie, et la Turquie sont suspendus jusqu’au 15 mai. 
  • 2 avril :  23 cas de coronavirus sont détectés dans le camp de migrants de Ritsona, à une heure au nord d’Athènes. Ce sont les premières contaminations enregistrées parmi des demandeurs d’asile en Grèce. Mais les cinq hotspots des îles face à la Turquie qui suscitent le plus d’inquiétude à cause du surpeuplement et du manque d’hygiène n’ont enregistré aucun cas. 
  • 4 mai : Avec seulement 146 décès du coronavirus, et un nombre de nouveaux cas en baisse depuis mi-avril, la Grèce commence son déconfinement avec la réouverture des petits commerces, des salons de coiffure et de beauté. Dans les transports publics, les hôpitaux et chez les coiffeurs, le port du masque est rendu obligatoire. Les déplacements en dehors de sa région restent interdits. 
  • 11 mai : selon le plan de déconfinement du gouvernement, les classes de Terminale doivent faire leur rentrée. La semaine d'après, ce sera au tour des autres classes de lycée et de collège. Le reste des magasins doivent également rouvrir. 

Analyse

Gouvernée depuis juillet 2019 par le Premier ministre conservateur Kyriakos Mitsotakis, la Grèce s’est montrée, contre toute attente, un des pays de l’Union européenne à s’en être le mieux sorti dans la gestion de la crise sanitaire : au 4 mai, premier jour du déconfinement, le pays ne compte que 146 morts pour une population de 10,8 millions d’habitants. C’est un ratio beaucoup moins important que la Belgique par exemple, qui a enregistré 7 924 morts à cette même date pour une population de plus de 11 millions d’habitants. 

Selon un sondage réalisé début avril, 82 % des Grecs interrogés jugent positivement l'action du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis lors de la crise du Covid-19.

Partant avec d’importants désavantages au début de l’épidémie, son système de santé étant éprouvé par dix années d’austérité et une population vieillissante (22 % de plus de 65 ans), le gouvernement a pris dès l’apparition des premiers cas des mesures drastiques pour éviter la propagation du virus dans le pays et avoir le temps de préparer les hôpitaux. Les citoyens ont tout de suite adhéré à cette prise de décision rapide et se sont en grande majorité pliés aux règles de confinement, même pendant les fêtes de Pâques orthodoxe, la plus grande célébration religieuse du pays, où les fidèles se rendent habituellement à l’Eglise et se réunissent en famille. Les amendes, démarrant à partir de 150 euros pour tout déplacement non justifié, ont aussi joué un grand rôle de dissuasion. 

Selon un sondage réalisé début avril pour la chaîne de télévision Skai, 82 % des Grecs interrogés jugent positivement l'action du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis lors de la crise du Covid-19. Dans un pays sortant d’une crise économique sans précédent qui a amputé son PIB de 25 %, la défiance envers la classe politique était jusqu’à présent la norme. "Les choses ont changé en ce qui concerne la confiance en l’Etat. Les citoyens croient en l’Etat et aux experts, a soutenu le Premier ministre grec le 4 mai dernier. La première chose que j’ai faite a été d’ailleurs de donner la parole à notre plus grand épidémiologiste qui fait un briefing quotidien". Mesuré dans ses propos, humble, Sotiris Tsiodras, infectiologue de l’Ecole de médecine d’Athènes, diplômé d’Harvard, a en effet participé au succès de la communication gouvernementale. A 18h tous les soirs, il intervient à la télévision pour dresser un bilan de la situation dans le pays et répondre aux questions des journalistes. La protection civile grecque a également été omniprésente depuis le début de la propagation du virus dans le pays : envois à plusieurs reprises de sms de prévention aux personnes se trouvant sur le territoire grec, clips d’information diffusés toutes les 30 min à la télévision et à la radio. 

La propagation du virus 

L’apparition des premiers cas de contamination sur le territoire grec est liée à des personnes ayant voyagé en Italie. Le 26 février, une femme revenant d’un voyage d’affaire à Milan est testée positive à l’hôpital de Thessalonique. C’est le premier cas connu de coronavirus en Grèce, même si certains épidémiologistes estiment que d’autres cas non détectés avant cette date ont pu apparaître dans le pays. A chaque apparition de "cluster", notamment dans le nord de la Grèce, près de Kastoria, ou dans la région de l’Evros, le gouvernement n’hésite pas à mettre en quarantaine les villages. Mais le premier mort du coronavirus survient finalement le 12 mars à Patras dans le sud de la Grèce. Le retraité de 66 ans décédé faisait partie d’un groupe de pèlerins qui s’étaient rendus en Israël. La courbe des contaminations n’a jamais été aussi exponentielle que dans d’autres pays européens. Le nombre de morts n’a jamais augmenté de manière abrupte et les hôpitaux n’ont pas été débordés. 

De même, si les masques manquaient au tout début de l’épidémie, les stocks ont vite étaient réapprovisionnés grâce notamment à des donations d’autres pays (Chine, Emirats Arabes Unis), de fondations privées d’armateurs et d’entreprises. La Grèce a aussi évité les hécatombes observées dans les maisons de retraite dans d’autres pays européens. Seules 10 % des personnes âgées sont placées dans des résidences, la grande majorité vit avec de la famille ou dispose d’aides à domicile. 

La courbe des contaminations n’a jamais été aussi exponentielle que dans d’autres pays européens.

Au 4 mai 2020, le taux de mortalité du Covid-19 en Grèce est de 5,4 % contre 7,13 % au niveau mondial et plus de 18% en France. Mais ces chiffres sont toutefois à prendre avec précaution puisque le nombre de tests réalisés varie d’un pays à l’autre. En Grèce, les tests réalisés sont peu nombreux et font d’ailleurs l’objet de critiques. Au 6 mai, 8,35 tests pour 1000 personnes sont effectués en Grèce. Le gouvernement a néanmoins affirmé que jusqu’à 500 équipes mobiles seront déployées dans les semaines à venir pour tester en priorité les populations vulnérables et les structures fermées (prisons, maisons de retraite…). A partir de la mi-avril, le nombre de personnes intubées à l’hôpital ne cesse de diminuer et le gouvernement peut établir un plan de déconfinement plus rapide que dans d’autres pays européens. 

Des mesures restrictives et rapides

Conscient des faiblesses du système de santé grec, et observant de près la situation dans le pays voisin, l’Italie, le gouvernement de Kyriakos Mitsotakis a voulu éviter le pire. En 2017, selon l’OCDE, il existait en Grèce 4,2 lits pour 1 000 habitants contre 6 pour 1 000 en France. Entre 2009 et 2015, les dépenses publiques de santé par tête ont chuté de 37,7 %, et plus de 20 % des unités de soins intensifs ou de soins spécialisés ont été fermées. Pour faire face à la crise sanitaire, le ministère de la Santé a annoncé l’embauche de 4 200 médecins et personnels hospitaliers. Le nombre de lits en réanimation passe de 565 fin février à 910 mi-mars, grâce notamment à la réquisition de lits dans les cliniques privées et dans les hôpitaux militaires.  

Dès le 12 mars, suite à un premier mort et avec à peine 117 cas de Covid-19, des mesures drastiques sont prises pour éviter la propagation du virus : écoles, universités, crèches, cinémas, théâtres et lieux de divertissement ferment.  Deux jours après, Athènes ferme tous les commerces non essentiels. En Italie, il aura fallu attendre dix-huit jours après le premier mort pour voir de telles mesures mises en place.

Ce plan de confinement s’accompagne également de la fermeture de la plupart des frontières terrestres du pays. A partir du 15 mars, tous les voyageurs arrivant de l'étranger sont testés à l’aéroport, amenés dans des hôtels réquisitionnés jusqu’au résultat, puis en cas de test positif placés en auto quarantaine pour 14 jours dans leur résidence déclarée aux autorités grecques. Les vols depuis et vers le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie, et la Turquie sont suspendus à partir du 23 mars et les liaisons aériennes vers d’autres destinations très réduites. 

Des mesures de confinement très dures sont également prises pour les camps de réfugiés à travers le pays à partir du 17 mars.

Des mesures de confinement très dures sont également prises pour les camps de réfugiés à travers le pays à partir du 17 mars. Les humanitaires ne sont plus autorisés à entrer dans les centres, les activités sont suspendues, les sorties limitées, un couvre-feu le soir est établi. Pour de nombreuses ONG, la surpopulation dans les îles de la mer Egée et le manque d’hygiène criant peuvent conduire à des drames. A Lesbos, dans le camp de Moria prévu pour 2 880 personnes, plus de 20 000 demandeurs d’asile s’entassent avec un manque d’eau, de sanitaires et un accès difficile aux soins.

Si le gouvernement (grec) veut sérieusement éviter une transmission du Covid-19 aux migrants et demandeurs d’asile, il a besoin d’augmenter le nombre de tests, de donner plus de tentes, d’installer plus de toilettes, des points d’eau, de distribuer du savon…”, dénonçait fin mars Human Rights Watch. 

L’épidémie de Covid-19 donne l’opportunité au gouvernement conservateur de mettre enfin en application son plan de centres de détention fermés. Durant des mois, les autorités locales et insulaires s’opposaient, parfois avec violence, à l’inauguration de nouveaux camps fermés avec une plus grande capacité d’accueil. Désormais, les travaux progressent et une nouvelle loi, qui doit être votée au Parlement durant le mois de mai, doit avaliser le projet. Dans les cinq hotspots (Lesbos, Samos, Kos, Chios, Leros) face à la Turquie, aucun cas de coronavirus n’a été détecté jusqu’à la mi-mai. Mais sur le continent, deux camps à Ritsona et à Malakassa, au nord d’Athènes, et un hôtel dans le Péloponnèse hébergeant 470 demandeurs d’asile ont été mis en quarantaine pendant 14 jours après la découverte de plusieurs cas de coronavirus. 

Un déconfinement et des craintes pour l’économie

Le 28 avril, le Premier ministre grec annonce un plan détaillé de sortie du confinement. Le 4 mai, les citoyens grecs n’ont plus besoin d’autorisation pour sortir de chez eux, certains petits magasins rouvrent. Dans les transports, les hôpitaux, les salons de coiffure et petits magasins, le port du masque est rendu obligatoire. Le 11 mai, les terminales font leur rentrée dans l’optique de passer l’examen d’entrée à l’université. Le 18 mai, les autres classes du lycée et du collège reprennent et les Grecs pourront se déplacer en dehors de leur préfecture. Les hôtels, ouverts toute l’année, et restaurants pourraient reprendre leur activité à partir du 1er juin mais avec des précautions : distanciation sociale, ports de gants et de masques pour le personnel… 

Le gouvernement grec, à la mi-mars, a pris des mesures pour soutenir l’emploi et les PME : allocation de 800 euros pour les salariés en chômage partiel et les indépendants, reports des paiements d’impôts et des prêts aux banques, baisse des loyers pour les commerçants… 

Le confinement général imposé va entraîner un recul du PIB de 10 % en 2020.

Mais les inquiétudes sont grandes dans un pays qui se relève à peine de dix années de récession. Alors qu’Athènes tablait sur une croissance de 2,4 % pour 2020, le confinement général imposé pour endiguer la pandémie va entraîner un recul du Produit intérieur brut (PIB) de 10 % en 2020, avant une reprise de 5,5 % en 2021, selon le Fonds monétaire international. Le secteur du tourisme, moteur de l’économie qui embauche près de 20 % de la population, craint des pertes immenses. "Dans le meilleur des scénarios, la Grèce va pouvoir commencer son activité touristique à partir du 1er juillet et nous travaillons afin d'atteindre cet objectif", a déclaré le Premier ministre grec dans une interview à la chaîne de télévision américaine CNN. 

Athènes compte sur sa maîtrise impeccable de la crise sanitaire pour attirer des touristes et pourrait selon le ministre du Tourisme, Haris Theocharis, mettre en place un système de "passeport de bonne santé" délivré aux voyageurs testés négatifs au coronavirus depuis leur aéroport de départ. Un projet de corridors sûrs, permettant de transporter des touristes depuis des pays peu touchés par le virus, est également en discussion entre la Grèce, Chypre, Israël, l’Autriche, la Norvège, le Danemark, l’Australie, la République Tchèque et Singapour. 

Longtemps dépeint comme le mouton noir de l’Europe durant la crise de la dette, la Grèce a dévoilé un nouveau visage. Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis se présente depuis son élection comme un homme politique pragmatique, omniprésent, méticuleux dans sa communication. Au sortir de cette crise sanitaire, il se retrouve renforcé sur la scène politique grecque et européenne mais devra très vite faire face à un défi de taille avec une nouvelle récession économique en perspective.

 

Copyright : Sakis MITROLIDIS / AFP

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