AccueilExpressions par MontaigneDu Sénat au Capitole, quel avenir pour le Parti républicain et la politique américaine ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.13/01/2021Du Sénat au Capitole, quel avenir pour le Parti républicain et la politique américaine ?Trois questions à Maya Kandel Moyen-Orient et AfriqueImprimerPARTAGER Maya Kandel Historienne, chercheuse associée à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 (CREW) Le 6 janvier se sont déroulés deux événements importants dans la vie de la démocratie américaine : l’annonce de la double victoire démocrate aux élections sénatoriales en Géorgie, et l’assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump. Interrogée par Mahaut de Fougières, chargée d’études sur les questions internationales, Maya Kandel, historienne et spécialiste de la politique étrangère américaine, nous livre son analyse de ces événements et de leurs implications, alors que Joe Biden dispose désormais d’une courte majorité au Sénat et que le Parti républicain pourrait connaître d’importantes transformations dans les mois à venir.Quel regard portez-vous sur l’assaut du Capitole du 6 janvier dernier ? Quelles en sont les conséquences politiques ?L’attaque contre le Capitole constitue en quelque sorte l’héritage de Donald Trump ; la question centrale désormais est ce que va en faire le Parti républicain. Juste avant l’assaut, le leader républicain du Sénat, Mitch McConnell, pourtant fidèle du Président, déclarait, en parlant des contestations portées par Donald Trump et par ses alliés au Congrès contre la victoire de Joe Biden : "c’est une attaque contre les fondements juridiques de notre République et contre la souveraineté du peuple qui légitime notre République". Il ajoutait qu’il considérait que son vote pour certifier la victoire de Joe Biden était le plus important de sa carrière politique. Toute la lumière n’a pas encore été faite sur le degré de planification, les objectifs réels, au moins de certains, et la composition des participants, notamment les membres de milices d’extrême-droite. Quoi qu’il en soit, l’assaut a été violent et a fait cinq morts, dont un policier (un autre policier du Capitole s’est suicidé deux jours après). Au-delà, il faut insister sur la gravité symbolique et politique des événements du 6 janvier : une atteinte directe et violente aux institutions, incitée par le Président des États-Unis. L’objectif était bien de bloquer ce qui est normalement une formalité puisqu’elle intervient pour certifier le vote du Collège électoral et les élections déjà certifiées par chacun des 50 États. C’est aussi une atteinte au processus démocratique et au principe central de la transition du pouvoir : si des assistantes parlementaires n’avaient pas eu la présence d’esprit d’emporter les bulletins papiers du Collège électoral, le processus démocratique lui-même aurait été interrompu - puisque justement ces résultats n’avaient pas encore été certifiés par le Congrès. Or le soir-même, juste après les événements, près des deux tiers (65,4 %) du groupe républicain à la Chambre des représentants, et six sénateurs, dont Josh Hawley et Ted Cruz, tous deux considérés comme présidentiables héritiers du trumpisme, ont malgré tout voté contre la certification dans certains États, donc pour bloquer le processus de confirmation de l’élection de Biden. Il faut insister sur la gravité symbolique et politique des événements du 6 janvier : une atteinte directe et violente aux institutions, incitée par le Président des États-Unis.La question politique majeure désormais est ce que le Parti républicain va faire de cet héritage Trump, et comment ses membres élus vont se positionner par rapport à son chef, et au "grand mensonge" qu’il promeut depuis le 3 novembre, qui a d’ores et déjà affecté la légitimité de Joe Biden auprès d’une partie de l’électorat. Le "trumpisme" au sens de la redéfinition du Parti républicain engagée par Trump va certainement perdurer sur plusieurs aspects : nationalisme chrétien, rôle de la religion dans la société, État stratège industriel, ancrage géographique rural (zones économiques "perdantes de la mondialisation"), y compris dans ses ambiguïtés non tranchées sur la politique étrangère (isolationnisme ou nouvelle guerre froide contre la Chine). Mais Trump a apporté à cette redéfinition du parti un surplus illibéral, et, c’est désormais clair, anti-démocratique - puisque ses partisans refusent la règle de base de la démocratie, le transfert pacifique du pouvoir après des élections démocratiques. Mais les Républicains et la droite américaine font tout pour éviter ce débat, au nom de "l’unité nationale", et préfèrent débattre du pouvoir de Twitter, à quelques exceptions près comme le représentant Adam Kinzinger à la Chambre, la sénatrice Lisa Murkowski, ou le sénateur Patrick Toomey. Les suites judiciaires et politiques - et économiques, puisque de nombreuses entreprises semblent remettre en question leurs liens avec Trump et leurs contributions aux campagnes des élus ayant voté contre la certification - seront cruciales pour l’avenir politique de Donald Trump lui-même. Au-delà, le 6 janvier pourrait provoquer au moins quelques départs du parti. La question sous-jacente est celle qui se pose depuis que le Parti républicain a scellé en 2016 son pacte trumpien en se donnant le milliardaire comme candidat : quelle est la part de " culte" ? Autrement dit : ses électeurs, plus précisément le surplus électoral qu’il a mobilisé, sont-ils attirés avant tout par le personnage, par les politiques qu’il a embrassées, par son attitude anti-système ? Les premiers sondages montrent des électeurs républicains fidèles à Donald Trump plus qu’au parti. La victoire de Joe Biden, puis des deux sénateurs démocrates en Géorgie, illustre à la fois l’évolution démographique de l’État et la capacité de mobilisation des démocrates, mais aussi une désaffection de certains électeurs et en particulier électrices autrefois républicains. Il est encore trop tôt pour mesurer toute l’ampleur des conséquences politiques, mais c’est bien le positionnement des Républicains qui importe aujourd’hui et qu’il faut scruter pour la suite, car cela affectera les rapports de force politiques au Congrès, que l’on aille vers une scission, ou simplement quelques départs. Avec l’élection de deux sénateurs démocrates en Géorgie, les Démocrates ont une courte majorité au Sénat. Cela permettra-t-il suffisamment de stabilité pour gouverner le pays, malgré les blocages que peuvent causer les Républicains et les dissensions qui existent au sein du camp démocrate sur certains sujets ? La victoire des Démocrates aux deux sénatoriales de Géorgie le 5 janvier a été complètement éclipsée par les événements du lendemain, mais elle est évidemment décisive : les Démocrates maîtrisent à nouveau tous les leviers exécutifs et législatifs du pouvoir ; les Républicains tiennent solidement la Cour Suprême, dont on peut attendre une politisation accrue. La majorité au Sénat est évidemment cruciale. Grâce aux deux victoires en Géorgie, les Démocrates ont la maîtrise de l’agenda du Sénat, des nominations, en particulier de la future administration Biden, et surtout des votes budgétaires et fiscaux, qui peuvent se faire à la majorité simple. Or, c’est bien par le budget que l’équipe Biden a prévu de dérouler son programme ambitieux de réformes économiques et structurelles, même si elle n’hésitera pas non plus à utiliser la voie réglementaire. Autre point crucial, les directions de commission, qui vont au parti majoritaire et jouent un rôle essentiel pour soumettre les projets de loi en séance plénière et donc au vote, ou pour convoquer des auditions. Les personnalités à la tête de chaque commission comptent : le sénateur Patrick Leahy, champion des droits de l’Homme pendant toute sa carrière, devrait présider la puissance Commission des appropriations (qui contrôle effectivement le budget de toutes les agences, en lien avec la Chambre). Aux forces armées, les règles de l’ancienneté impliqueraient une présidence de Jack Reed, Démocrate du Rhodes Island particulièrement attaché aux alliances et notamment à l’OTAN.Les Démocrates maîtrisent à nouveau tous les leviers exécutifs et législatifs du pouvoir ; les Républicains tiennent solidement la Cour Suprême, dont on peut attendre une politisation accrue.Aux affaires étrangères, le sénateur Menendez est en pointe contre les ventes d’armes américaines à certains pays du Moyen-Orient. Enfin, Bernie Sanders pourrait prendre la tête de la Commission du budget. Avec un Sénat 50-50, il devrait y avoir un nombre égal de Républicains et Démocrates sur chaque commission. C’est là où toute défection du Parti républicain serait cruciale, puisque si un sénateur républicain devient indépendant, la majorité démocrate ne dépend plus de la voix de Kamala Harris, et les Démocrates ont aussi une majorité dans chaque commission. Bien sûr, les Républicains au Sénat conservent des possibilités de blocage car, sur les autres sujets, la règle de la "flibuste" (filibuster) porte en fait la majorité nécessaire à 60 voix pour passer au vote, si la minorité décide d’empêcher la discussion. Par ailleurs, les dissensions entre Démocrates n’ont pas disparu - mais la nouvelle donne politique pourrait amoindrir le poids du sénateur Manchin, le plus conservateur des Démocrates du Sénat, souvent cité comme potentiel blocage sur des lois climatiques (il est néanmoins favorable à la géoingénierie, car il ne nie pas la réalité de la crise climatique). D’éventuels dissidents républicains devenus indépendants pourraient également jouer un rôle décisif. Certaines priorités annoncées par Biden pourraient d’ailleurs rallier sur un vote budgétaire des représentants et sénateurs républicains, en particulier en relation avec la pandémie, l’aide économique, les infrastructures ou les transports. Les élus républicains ont comme les autres des électeurs durement affectés par les deux crises en cours, sanitaire et économique, et sont soumis à réélection dès l’année prochaine (midterms de novembre 2022, concernant tous les représentants et un tiers du Sénat, soit une vingtaine de sénateurs républicains en 2022). Que peut-on attendre de ce nouveau Sénat en matière de politique étrangère, alors que certains sujets tels que la politique à l’égard de la Chine font l’objet d’un relatif consensus bipartisan, et d’autres sont source d’importantes tensions entre les deux partis ?Au-delà de la priorité intérieure, les priorités du nouveau Congrès en politique étrangère étaient évidentes avant même la victoire en Géorgie : durcir la position américaine et renforcer la compétitivité face à la Chine, sur les questions technologiques, stratégiques et des droits de l’Homme ; réparer et resserrer les liens avec les alliés, en Asie surtout, mais aussi en Europe ; monter en puissance sur les questions cyber, en lien avec la Maison-Blanche (plutôt que contre elle, comme ce fut le cas sous Trump), avec un durcissement à cet égard vis-à-vis de la Russie, dans la foulée des révélations de l’immense hacking de l’entreprise Solarwinds. En revanche, tout nouveau traité paraît difficilement envisageable (sauf peut-être dans le domaine du contrôle des armements avec la Russie et/ou la Chine), car le blocage est ancien et la ratification nécessite 67 sénateurs, donc la majorité ne change rien. Enfin, suite aux événements du 6 janvier, le Congrès devrait s’emparer de la question du terrorisme intérieur, que le FBI considérait déjà comme la première menace sur le territoire américain. Son directeur Christopher Wray indiquait lors d’une audition au Congrès le 17 septembre 2020 que l’année 2019 a été la plus meurtrière en matière de terrorisme intérieur depuis 1995 et l’attentat d’Oklahoma City, l’acte de terrorisme intérieur le plus meurtrier de l’histoire américaine, avec 168 morts.Certaines priorités annoncées par Biden pourraient rallier sur un vote budgétaire des représentants et sénateurs républicains, en particulier en relation avec la pandémie, l’aide économique, les infrastructures ou les transports.Il faut aussi rappeler que le Congrès, pendant toute l’administration Trump, s’est démarqué du Président en politique étrangère de manière bipartisane, que ce soit pour préserver le budget de la diplomatie, protéger les alliances et même renforcer l’initiative de dissuasion européenne par exemple, ou voter des sanctions contre la Russie. Sur la Chine, un consensus bipartisan existe sur la nécessité d’une stratégie cohérente pour contrer la montée en puissance chinoise et faire face au défi technologique en particulier ; on reverra certains des projets de lois déjà déposés pour investir massivement dans certains secteurs de recherche de pointe. La priorité climatique, puisque la crise climatique a été érigée au rang de "menace existentielle" dans le programme démocrate, se fera par une combinaison d’actions exécutives (inventaire et annulation de dispositions prises par Trump, nouvelles réglementations, NDC prévus par l’Accord de Paris) et de choix budgétaires (infrastructures, transports, bâtiments, agriculture, incitations par les dépenses ou les impôts sur les énergies renouvelables, etc.), avec un effet non négligeable en termes de soft power et de leadership international. Il ne faut pas sous-estimer non plus l’importance montante des problématiques liées à la crise climatique dans la compétition géopolitique avec la Chine, car il s’agit aussi d’une compétition géoéconomique (avec une montée en puissance des nouveaux secteurs de pointe y compris pour l’export, des panneaux solaires aux batteries) et géotechnologique (5G, 6G, mais aussi géoingénierie).Enfin, les débats sur la régulation des plateformes et la section 230 de la loi Federal Communications Commission (FCC) de 1995 prendront une acuité encore renouvelée après l’assaut du Capitole et les décisions de Twitter, Facebook et d’autres plateformes qui ont suivi. Il existe des convergences entre les extrêmes des deux bords sur ce sujet, mais on devrait aussi voir de nouveaux positionnements suite aux événements du 6 janvier. Un dossier intérieur qui sera suivi de près par les Européens sans nul doute. Tout cela étant dit, il faut rappeler que l’attention accordée à la politique étrangère viendra après d’autres priorités et dépendra notamment des négociations autour du grand plan de relance annoncé, et surtout de l’évolution de la procédure de destitution, qui commence aujourd’hui. Copyright : Brendan Smialowski / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 11/01/2021 La "prise du Capitole", symptôme de nos démocraties malades Dominique Moïsi 05/01/2021 Faut-il une alliance globale des démocraties ? Michel Duclos Bruno Tertrais