Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
01/04/2020

Coronavirus et Afrique : quels enjeux ?

Coronavirus et Afrique : quels enjeux ?
 Mahaut de Fougières
Auteur
Responsable du programme Politique internationale

Depuis son apparition en décembre dernier, le Covid-19 s'est rapidement répandu à travers le globe, submergeant les systèmes de santé et fragilisant l'économie mondiale. Un temps épargné par l’épidémie, le virus semble aujourd’hui gagner du terrain sur le continent africain : 48 pays sont touchés à ce jour, dont l’Afrique du Sud, le Cameroun, le Kenya, le Sénégal ou encore le Maroc. Se répandra-t-il aussi largement qu’en Asie et en Europe ? Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), "l’Afrique doit se préparer au pire".

Le continent africain présente quelques atouts...

Pourtant, la démographie propre au continent africain laisse à penser que le continent pourrait ne pas être aussi touché par la pandémie que d’autres régions du monde. En effet, la classe d’âge la plus sujette à des complications au niveau mondial du fait de la pandémie est celle des plus de 65 ans. Or, en Afrique, continent très jeune, seule 4 % de la population appartient à cette classe d’âge (contre 20 % en France, 16% aux États-Unis et 11% en Chine). L’expérience africaine pourrait ainsi se démarquer de celle de ses voisins européens et asiatiques vieillissants. Autre facteur d’espoir évoqué à plusieurs reprises : le climat du continent, qui serait moins favorable à la propagation du virus. Cette théorie n’est néanmoins à ce jour soutenue par aucune donnée.

Par ailleurs, la crise sanitaire que nous vivons actuellement n’est pas la seule à avoir touché le continent africain ces dernières années. La crise sanitaire Ebola, par exemple, qui a provoqué la mort de dizaines de milliers d’Africains à partir de 2013, a fourni aux pays touchés une expérience de gestion de crise.

[Le virus] se répandra-t-il aussi largement qu’en Asie et en Europe ? Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), "l’Afrique doit se préparer au pire".

Cela explique probablement en partie qu’un grand nombre de pays du continent aient mis rapidement en place des mesures sévères telles que la vérification de température dans les aéroports, la fermeture des frontières, la suspension de vols internationaux ou encore des mesures d’isolation. La rapide propagation du virus en Europe avant de réellement toucher l’Afrique a également été à l’origine de la grande réactivité de certains gouvernement africains souhaitant anticiper la crise.  

… qui ne compensent pas les sources d'inquiétude

Néanmoins, un certain nombre de facteurs inhérents au continent africain constituent des freins à la mise en place de certaines mesures de prévention à la même échelle qu’en Europe ou en Asie.

  • La distanciation sociale s’avère complexe sur un continent où 70 % de la population urbaine (soit 200 millions de personnes) vit dans des bidonvilles surpeuplés.
     
  • En outre, 40 % des Africains vivent dans des environnements marqués par la pénurie d’eau, ce qui rend difficile des gestes simples (et efficaces) comme le lavage de mains régulier.
     
  • Enfin, les mesures de confinement ne permettant pas aux citoyens d’aller travailler pourraient s’avérer mettre en péril la survie de nombre d’entre eux, alors que la moitié de la population vit avec moins de deux dollars par jour, sans épargne ni patrimoine, et que le secteur informel représente 85,8 % des emplois.

Une désormais probable propagation du virus à grande échelle sur le continent cristallise les craintes de nombreux observateurs, qui estiment que les systèmes de santé des pays africains - certes à des niveaux différents -  ne sont pas armés pour faire face. Ils souffrent en effet de manque de moyens en termes de personnel médical mais également de matériel, notamment le matériel nécessaire spécifiquement pour soigner les patients atteints de ce virus. C’est ainsi le cas des respirateurs "qui se comptent en dizaines pour des millions de personnes". D’autant que le continent fait encore face à des maladies qui peuvent être soignées mais qui s’avèrent létales dans de nombreux cas : sida, tuberculose, malaria. La charge que le Covid-19 fera peser sur les systèmes de soins pourrait entraver le traitement de ces autres maladies. En outre, la question se pose de savoir comment le Covid-19 interagira avec ces maladies, ainsi qu’avec la malnutrition. Le taux de létalité en Afrique pourrait ainsi être plus élevé qu'ailleurs malgré la jeunesse de sa population.

Quid de l’économie ?

Quelles conséquences pour les économies du continent ? Difficile à dire précisément tant que nous n’aurons pas davantage de visibilité sur l’ampleur de la crise sanitaire en Afrique. Néanmoins, les effets se faisaient déjà ressentir avant même que le premier cas de contamination ait été annoncé. En effet, le commerce intra-africain représente aujourd'hui moins de 18 % des échanges du continent, ce qui signifie que l’économie africaine est largement dépendante de ses échanges avec le reste du monde. En outre, l’industrie du continent est en grande partie centrée sur les matières premières, dont les cours ont considérablement souffert avec la crise.

Le commerce intra-africain représente aujourd'hui moins de 18 % des échanges du continent, ce qui signifie que l’économie africaine est largement dépendante de ses échanges avec le reste du monde.

L'impact général est "plus grave qu'en 2008", selon Albert Zeufack, économiste en chef pour l'Afrique à la Banque mondiale.

Selon les ministres des Finances du continent, un plan de relance de 100 milliards de dollars – dont 44 milliards de dollars en dispenses de service de la dette – est nécessaire pour faire face à la crise. Si les pays occidentaux sont en mesure d’injecter des milliards dans leurs économies (4 000 milliards aux États-Unis, 750 milliards côté européen), ce n’est pas le cas des pays africains, qui, malgré de nombreuses initiatives nationales et régionales, ne pourront se passer du soutien de la communauté internationale pour surmonter cette crise.

L’Europe, qui a présenté le 9 mars dernier sa nouvelle stratégie globale concernant l’Afrique, saura-t-elle se montrer à la hauteur des défis posés à son partenaire africain ?

 

 

Copyright : Luca Sola / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne