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29/03/2019

Chine-Europe : un divorce à l'italienne ?

Analyse croisée de François Godement et de Marc Lazar

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Chine-Europe : un divorce à l'italienne ?
 François Godement
Expert Résident, Conseiller spécial - Asie et États-Unis
 Marc Lazar
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

Les gouvernements italien et chinois ont signé le 23 mars un accord pour sceller l'entrée de l'Italie dans les "nouvelles routes de la soie", et cela malgré les réticences de Bruxelles. François Godement, conseiller pour l'Asie à l'Institut Montaigne et Marc Lazar, contributeur sur les questions politiques et institutionnelles françaises et européennes, analysent la situation.

La signature d'un protocole d'accord sur les routes de la soie est-elle un acte de soumission envers la Chine de la part de l'Italie ? #ViadellaSottomissione

FRANÇOIS GODEMENT

Oui et non.
 
Non d’abord : que le mythe de la route de la soie frappe de nouveau en Italie n'étonnera personne : depuis Matteo Ricci, ça n’est pas nouveau. Le gouvernement actuel finalise par un accord une rhétorique que ses prédécesseurs avaient déjà pratiquée.
 
Mais aussi oui, bien sûr, car l’Italie est la première grande économie occidentale à rompre les rangs, là où l’an dernier au Forum des routes de la soie à Pékin, la quasi totalité des Européens présents avaient refusé de signer un accord, car ils estimaient que le respect des règles et des normes internationales n'était pas assuré par la partie chinoise.
 
Oui aussi, car des membres du gouvernement italien ont explicitement présenté cela comme une contrepartie de la montée des ventes italiennes en Chine. Il faut souligner que la percée de la présence chinoise en Italie est plus ancienne et que quand des polémistes italiens s’en prennent à l’hypocrisie de l’Allemagne, ils oublient à quel point la Chine a été active en Italie via des achats majeurs comme Pirelli, ainsi que dans les télécoms et l’énergie, en plus de la prise de participation dans de très nombreuses entreprises italiennes.
 
En même temps, ce qui est frappant est que l’Italie n’est pas allée au bout de sa démarche. Elle a signé un mémorandum révocable, et y a inclus les normes européennes, qui de toute manière sont obligatoires pour les marchés publics en Europe. Et là où la partie chinoise espérait inclure la 5G, la polémique Huawei a poussé l’Italie à sortir la 5G de l’accord, et à la placer directement sous “golden power”, c’est à dire sous le contrôle du gouvernement avec droit de veto. Enfin, la polémique ouverte entre les deux composantes du gouvernement, le mouvement Cinq étoiles et la Ligue, en font une victoire assez fragile de la Chine.

MARC LAZAR

La question est brutale. L’Italie a toujours eu une attitude assez ouverte vis-à-vis de la Chine ces dernières années y compris avec le gouvernement précédent. Mais ici, nous assistons à un télescopage entre le document de l’Union européenne, qui expliquait que la Chine n’est plus un partenaire commercial mais un rival systémique, et l’Italie qui annonce quasi au même moment un accord avec la Chine. C’est cela qui a créé des tensions en Italie et en Europe. C’est d’ailleurs Luigi Di Maio qui a poussé à la rédaction d’un mémorandum de 29 accords, au lieu des 50 prévus au départ. L’Italie devient un partenaire important de la Chine avec une série de coopérations au niveau des startups, du secteur agro-alimentaire, du e-commerce, de l’archéologie, et de l’information. En plus de cela, il y a eu des accords avec des entreprises concernant les ports de Gêne et Trieste.

Peut-on parler de soumission ? Il faudra vérifier comment ces accords vont se concrétiser, mais il est certain que l'Italie se démarque.

Peut-on parler de soumission ? L’Italie s’est distinguée particulièrement à l’occasion de cette signature. C’est le premier pays parmi les fondateurs de l’Union européenne et parmi le G7 à signer un tel accord. Elle a suscité la colère américaine et et a créé des désaccords du côté de Bruxelles. L’Italie s’est une nouvelle fois isolée.

Il faut noter aussi que cela crée de très fortes tensions à l'intérieur du pays. Di Maio a présenté l'accord, soutenu par le président du Conseil Giuseppe Conte, mais la Ligue a exprimé son désaccord, et Salvini n'était pas présent à la cérémonie officielle ni à la signature. La Ligue a ainsi manifestement exprimé son désaccord. Le président de la République Mattarella a essayé de renouer le lien et d'apaiser les tensions avec les Etats-Unis et l’Union européenne, rappelant que cet accord ne brise pas la force de ces relations. Cela révèle une politique internationale italienne de navigation à vue, avec des contradictions internes au gouvernement, et démontre l’isolement de l’Italie. Peut-on parler de soumission ? Il faudra vérifier comment ces accords vont se concrétiser, mais il est certain que l'Italie se démarque.

À Paris, le Président Xi Jinping s'est entretenu en format quadrilatéral avec Emmanuel Macron, Angela Merkel et Jean-Claude Juncker. Cette rencontre a-t-elle fait progresser la cause de l'unité européenne envers la Chine ?

FRANÇOIS GODEMENT

Dans tous les cas, c’est une réponse sans précédent à ce que l’on peut appeler le système de visite bilatérale de la Chine au sein de l’Europe. Si Xi Jinping démarche les pays un à un jusqu’à l’infiniment petit - en passant par Monaco -, Macron répond en associant à une visite d’Etat en France la chef du gouvernement allemand et le président de la Commission européenne, avec jusqu’au bout une expression européenne. C’est un contraste entre deux visions. Le plus intéressant est que la France ne semble pas en avoir souffert commercialement ou économiquement car le bilan de la visite est plutôt bon, par contraste avec les résultats réduits de la visite en Italie. Xi Jinping s’est finalement prêté de bonne grâce à l’exercice.

On peut observer une fois de plus que dans ses relations, la Chine pratique d’un côté la séduction verbale, mais de l’autre jauge ses interlocuteurs en fonction de leur pouvoir réel. En associant l’Europe, Macron n’a pas perdu, il a plutôt gagné en capacité de négociation, au moins à court terme. 

En associant l’Europe, Macron n’a pas perdu, il a plutôt gagné en capacité de négociation, au moins à court terme.

MARC LAZAR

Le geste symbolique était très fort, puisque Emmanuel Macron ne s’est pas contenté du bilatéral, mais a voulu organiser cela avec la chancelière allemande et le président de la Commission européenne, pour essayer de montrer à la Chine que l’Europe avait une stratégie cohérente et unifiée. Si l’acte symbolique est fort, la réalité est plus compliquée.

L’Italie a fait un autre choix, le Portugal et la Grèce également. D’ailleurs ces pays sont tous dans une situation difficile et entretiennent des relations bilatérales avec la Chine, ce qui nous pousse à nous demander si ce trio représente véritablement l'unité européenne. On peut ajouter que Juncker est en bout de course, et qu’il est président d’une Commission européenne qui existera jusqu’à l’automne mais qui ne sera pas renouvelée. Merkel est sur le départ, Macron est affaibli en termes de politique intérieure, et ses projets de relance européens ne se sont pas concrétisés. Une fois de plus aussi, c’est la France et l’Allemagne. Si cette relation forte franco-allemande est nécessaire à l’Union européenne, elle irrite en même temps des pays d’Europe centrale et orientale, qui peuvent voir cela comme le fait qu’ils dictent la politique européenne.

En revanche, les déclarations du Président chinois, qui insistait sur le multilatéral, peuvent être comprises de deux manières. D’abord, comme de pures déclarations diplomatiques sans conséquences, ou alors, du fait de l’attitude des Etats-Unis, comme le fait que les Chinois reviennent à espérer avoir une Europe unie pour un jeu non pas à deux, mais à trois.

Davantage d'accords commerciaux ont été signés à Paris qu'à Rome malgré le soutien italien aux routes de la soie. La diplomatie chinoise a-t-elle utilisé ces accords à des fins politiques ou sommes-nous dans un effort pour dissocier le business du politique ?

FRANÇOIS GODEMENT

On voit que les résultats de la visite en France sont dominés par la vente des 300 Airbus, un montant sur lequel subsistent des limites naturelles dans un temps court quand on connaît la capacité réelle des chaînes de production et l’abondance des commandes internationales dans ce segment des A320. C’est cela qui fait la différence avec l’Italie, bien sûr – et bien sûr l’activité Airbus est partagée entre plusieurs pays européens. L’autre très grand dossier, c’est à dire la création en Chine d’un centre de traitement des déchets nucléaires, reste au stade des pourparlers, et ce depuis des années. EDF, Fives et Schneider Electric décrochent des contrats importants dans le domaine de l’énergie en Chine et en association au Moyen orient. Un fonds d’investissement est créé pour les entreprises moyennes en Chine. Hors Airbus, on est à une dizaine de milliards, contre 2,5 en Italie. La levée d’interdiction de la volaille, après celle sur le boeuf l’an dernier, est toujours bonne à prendre, mais ne constitue peut-être pas une avancée stratégique ! En sens inverse, une entreprise française achète à la Chine dix grands porte-conteneurs. Le point essentiel est en effet que le président de la République a pu tenir un discours politique ferme sur l’Europe et sur la réciprocité, ainsi que sur les droits de l’Homme, certes de manière moins affichée. Et néanmoins les affaires se sont traitées normalement.

 

Copyright : Alberto PIZZOLI / AFP

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