Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
11/10/2016

Réformer sans trahir ? Le National Health Service (NHS) au Royaume-Uni

Imprimer
PARTAGER
Réformer sans trahir ? Le National Health Service (NHS) au Royaume-Uni
 Blanche Leridon
Auteur
Directrice Exécutive, éditoriale et Experte Résidente - Démocratie et Institutions

Suite de notre saga dédiée aux systèmes de santé étrangers.

Symbole du Welfare state, le système de santé britannique, le National Health Service (NHS), garantit depuis 1948 un accès à une couverture maladie gratuite et universelle à l'ensemble de la population. Comme les pays scandinaves et d'Europe méditerranéenne, le NHS appartient au modèle dit "béveridgien" : les soins sont financés par l'impôt et non par les cotisations prélevées sur les salaires, comme c'est le cas en France ou en Allemagne. Sous tutelle directe du ministère de la Santé jusqu'en 2012, le système de santé britannique s'est longtemps distingué de ses voisins européens par la forte prédominance du secteur public, prédominance qui tend à s'étioler depuis quelques années. Massivement plébiscité par les britanniques, le NHS a dû faire face à une lourde crise dans les années 80. Trois grandes réformes, menées par les gouvernements Thatcher, Blair et Cameron ont tenté successivement de le faire sortir de l'impasse en désétatisant un système excessivement bureaucratique, considéré comme inefficace.

Les principes fondateurs d'universalité, de gratuité et d'accès à des soins complets ont-ils survécu aux différentes réformes qui ont jalonné l'histoire récente du NHS ? Retour sur 30 ans d'évolution d'un système que beaucoup qualifient encore de "religion nationale". 

Un système structurellement défaillant

Le système de santé britannique traverse depuis la fin des années 80 une crise chronique due à des années de sous-investissements et de gestion bureaucratique. Conséquences : un allongement exponentiel des délais d’attente pour être soigné, une dégradation de la qualité des soins, qui impacte fortement l’état de santé de la population britannique et une perte globale d’efficience du système dans son ensemble.

Comme le montrent les indicateurs santé de l’OCDE, la qualité des soins prodigués en Angleterre est très inégale et d’un niveau inférieur à celui de beaucoup d’autres pays. A titre d’exemple, le Royaume-Uni se situe en queue du classement OCDE en matière de survivance à cinq ans aux trois cancers les plus fréquents (cancer colorectal, cancer des poumons, cancer du cerveau). De nombreuses marges d’amélioration demeurent également dans la prise en charge des maladies chroniques et dans la réduction des facteurs de risques.

Comment redonner à ce système les marges d’efficacité nécessaires à sa survie ? Les trois principales réformes menées depuis les années 80 ont toutes cherché à décentraliser, autonomiser et responsabiliser les acteurs de soins. Elles sont toutes passées par une augmentation des dépenses de santé, d’un niveau particulièrement faibles au début des années 1980.

Les réformes Thatcher et Blair

La première réforme, d’inspiration libérale, est conduite sous l’impulsion des gouvernements conservateurs de Margaret Thatcher et John Major. Dans le but de mieux réguler les dépenses de santé et de décloisonner un système verrouillé par sa bureaucratie, une logique de marché, qui distingue acheteurs et offreurs de soins, est introduite. Les compétences de gestion sont transférées aux médecins généralistes, les GPs (GP-fundholders), qui disposent d'un budget annuel leur permettant d’acheter les soins nécessaires aux populations du secteur dont ils ont la charge.

La deuxième réforme, née de la publication du livre blanc "The new NHS", est entamée en 1997, sous le gouvernement de Tony Blair. Très critique à l’égard du gouvernement précédent, cette réforme s’inscrit pourtant dans la lignée de celles entreprises par Thatcher. Elle est marquée par une très forte augmentation des ressources budgétaires allouées à la santé. En effet, alors que la dépense publique en matière de santé ne représentait que 7,2 % du PIB en 2000 (contre 8,1 % en moyenne dans l’UE selon des données OCDE), elle atteint les 9,2% en 2008.

La réforme porte également sur une refonte structurelle de l’organisation des soins : l’accent  est mis sur la coordination de la prise en charge médicale et sociale de la population avec la création de Primary care trusts, groupements de soins primaires qui associent médecins généralistes, infirmières, représentants des services sociaux, et se substituent aux GP-fundholders. Un organisme indépendant, le National Institute for Health and Clinical Excellence (le NICE), est créé afin de fournir, au niveau national, des conseils (National guidance) pour la promotion de la santé ainsi que pour la prévention et le traitement des problèmes de santé. Enfin, en 2003, l’autonomie des hôpitaux se développe considérablement avec la création des Foundation trust, établissements qui bénéficient de plus d’autonomie en matière budgétaire, en investissements et en choix de financement. On en dénombre 152 aujourd’hui sur le sol britannique.

Ces deux réformes ne parviennent cependant pas à enrayer la crise traversée par le NHS : ses dépensent augmentent sans qu’on constate pour autant d’amélioration sensible de l’état de santé de la population britannique. C’est dans ce contexte tendu qu’intervient la réforme de 2012, le "Health & social care act", conduite par le ministre conservateur Andrew Lansley. Cette réforme poursuit l’objectif d’amélioration de la qualité des soins de la réforme Blair tout en s’inspirant fortement de la réforme libérale conduite par le gouvernement Thatcher en 1991, par l’accélération de la mise en concurrence des offreurs de soins.

La réforme Lansley de 2012

Délégation de gestion
Entrée en vigueur le 1er avril 2013, la réforme Lansley est la plus importante qu’ait connue le NHS depuis sa création en 1948. Son objectif premier était de faire évoluer le NHS vers un système décentralisé, plus libéral et moins hiérarchique. Afin de lever les contraintes hiérarchiques qui pesaient sur la gouvernance du NHS (en matière de gestion budgétaire notamment) la réforme va dans un premier temps réduire les compétences du ministère de la santé, dont le rôle se cantonne désormais à la définition des  grandes orientations stratégiques. Le pilotage du système est, quant à lui, délégué à un nouvel organisme indépendant du Departement of Health, le NHS England qui supervise l’action de 211 Clinical commission groups (CCG) qui se substituent aux Primary care trusts issus de la précédente réforme.

Responsabilisation des médecins généralistes
Ces CCG regroupent des cabinets de médecine généraliste et spécialistes sur une zone géographique donnée. Dotés d’un budget global annuel d’environ 80 millions d’euros, ils sont chargés de la gestion des prestations sanitaires pour leur bassin de population, par contractualisation avec des acteurs publics et privés mis en concurrence. La plus grande implication des médecins généralistes (les GPs) dans la gestion de la dépense publique doit pouvoir garantir une meilleure adaptation des soins aux besoins du patient et freiner le gaspillage des ressources.

Dérégulation et réforme du financement hospitalier
Avec la réforme, les marchés publics de soins sont désormais soumis à la concurrence et les CCG deviennent compétents pour mettre en concurrence n'importe quel fournisseur de service (hôpital, entreprise sociale, fournisseurs du secteur privé, etc.). Ils doivent cependant répondre aux normes de bonnes pratiques imposées par le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) et la Care Quality Commission (CQC) et respecter les coûts fixés par le NHS. L’objectif affiché par le gouvernement est d’élargir le choix pour le patient et d’aider à stimuler les pratiques innovantes. La réforme modifie, par ailleurs, le mode de financement hospitalier et confirme l’établissement de tarifs nationaux. Cette réforme est également marquée par l’introduction progressive d’incitations à la performance, avec depuis 2014 un système de prime à la qualité pour les médecins généralistes.

Quel bilan à court terme ? 
Précisons tout d’abord que l’ensemble des réformes menées ont été des réformes contraintes, face à une opinion publique extrêmement attachée au NHS, et qui a toujours été rétive à tout changement dans son fonctionnement. Chacune d’entre elles semble donc inaboutie. La dernière de ces réformes est l’incarnation même de cet inaboutissement chronique.

Quatre ans après sa mise en œuvre, le bilan de la réforme est mitigé. Très peu soutenu par les praticiens anglais qui s’y sont opposés à plus de 90 %,  le "Health & social care act" a engendré une nouvelle gouvernance difficilement lisible, qui peut complexifier encore davantage le système. La qualité des soins, malgré les efforts entrepris par la réforme, demeure perfectible. Toutefois, selon les premières enquêtes du ministère de la santé on assisterait aujourd’hui à un un rééquilibrage de l’offre de soins en faveur du privé et à une maîtrise des dépenses de santé, avec une dépense par habitant contenue à son niveau de 2009, inférieure à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. Aujourd’hui, le NHS demeure indéniablement sous pression. Les pros Brexit, qui promettaient d’allouer l’ensemble des sommes dévolues à l’UE au financement du NHS, sont finalement revenus sur leur parole. L’avenir du NHS est donc plus que jamais incertain. 

Pour aller plus loin :

Réforme des systèmes de santé : l’Obamacare aux Etats-Unis

Réforme du système de santé : un "miracle" financier allemand ?

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne