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18/05/2016

Réformes du marché du travail : le dilemme danois

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Réformes du marché du travail : le dilemme danois
 Blanche Leridon
Auteur
Directrice Exécutive, éditoriale et Experte Résidente - Démocratie et Institutions


La réforme du Code du travail par ordonnances, premier chantier du quinquennat Macron, annonce des débats virulents, tant sur la forme que sur le fond. Avant la France, de nombreux pays européens se sont engagés sur cette voie. Comment ont-ils réformé leur marché du travail ? Quels sont les résultats ? Tour d'horizon dans six pays. Aujourd'hui : le Danemark.

Blanche Leridon, Chargée d'études à l'Institut Montaigne, se penche sur le Danemark, berceau de la "fléxicurité", qui n'a pas été épargné la crise.

Le marché du travail danois avant les réformes

Souvent présenté comme instigateur de la "fléxicurité", le modèle danois a longtemps combiné un système d’assurance chômage généreux, une législation du travail souple et une politique "active" de l’emploi. Très représentés (66,7 % contre 7,7 % en France en 2014, selon l’OCDE), les syndicats occupent une place centrale dans ce modèle : ce sont les conventions collectives qui régissent les questions salariales, le temps et les conditions de travail. Initié dès les années 1990, le système perdure aujourd’hui sous des formes renouvelées. Avec la crise, l’équilibre entre flexibilité et sécurité a connu de nombreux ajustements, la sécurité cédant souvent le pas à la flexibilité. Le rôle des syndicats a également été revu pendant la crise, de nombreuses réformes étant passées sans consultation préalable des partenaires sociaux. Que reste-t-il aujourd’hui de la "fléxicurité" danoise ? Décryptage.

Un pays touché plus brutalement par la crise que le reste de l’Union

Avec un taux de chômage de 3,8 % et un taux d’emploi de 77 % en 2007, le Danemark d’avant crise se caractérise par de très bonnes performances en matière de croissance et d’emploi. Mais dès 2008, l’impact de la crise se fait ressentir de manière plus brutale que dans les autres pays de l’Union. Ainsi en 2008, l’activité recule de 0,8 % alors qu’elle croît encore de 0,5 % dans le reste des 28 pays de l'Union européenne. Le taux de chômage atteint quant à lui 7,5 % en 2012. La réaction à la crise sur le marché de l’emploi, si brutale qu’elle soit, doit cependant être nuancée. Rappelons que le Danemark est entré dans la crise avec un taux de chômage particulièrement bas, la montée en flèche du chômage à cette période s’explique en partie par le brusque ajustement de la main-d’œuvre par rapport à l’activité. Face à cette situation, le Danemark a consacré 1,82 % de son PIB en dépenses de politiques actives du marché du travail (2013), c’est, selon le COE, l’effort le plus important de tous les pays de l’OCDE.

Les réformes du marché du travail au Danemark

  • Avant la crise, des politiques actives de "workfirst"

Le gouvernement en place entre 2001 et 2011 a renforcé la politique active du "workfirst", et ce bien avant le début de la crise. De quoi s’agit-il exactement ? Dès 2002, le programme "more people into employment" a combiné un certain nombre de mesures visant un retour rapide à l’emploi, en encourageant l’emploi direct et la sortie du système d’assurance chômage. On distingue ce type de politiques de celles dites de "trainfirst", qui se concentrent sur l’acquisition ou le développement des compétences des chômeurs dans le but d’améliorer leur employabilité. C’est ainsi qu’en 2002 ont été mis en place un calendrier précis pour les rendez-vous avec les demandeurs d’emplois, l’extension aux séniors des mêmes exigences et des mêmes sanctions que celles auxquelles sont soumis les autres demandeurs d’emplois et la réduction du montant des aides sociales au bout de six mois de chômage. La logique qui sous-tend l’ensemble de ces mesures est bien celle d’une incitation à reprendre un emploi le plus rapidement possible.

  • Pendant la crise : la sécurité ébranlée, la flexibilité conservée

Alors que le pays se caractérisait, jusqu’en 2008, par un régime d’assurance chômage généreux, pilier fondamental du modèle de "fléxicurité", la réforme de 2010 a restreint de façon drastique les modalités d’indemnisation. Cette réforme a touché la durée d’indemnisation, réduite de moitié (passage de 4 à 2 ans) ; les critères d’éligibilité, considérablement durcis, et la durée de travail requise pour être indemnisé (passage de 26 semaines à 52). Ces mesures, particulièrement brutales, ont été assouplies en 2012, afin d’en lisser les effets (extension des six mois des indemnités chômage pour certains chômeurs, mesures ciblées pour les chômeurs de longue durée, etc.).

Dans le même temps, les minima sociaux ont également été réformés. Les pensions d’invalidité ont été réduites en 2013, afin d’éviter une trop longue persistance des personnes dans ce régime ; l’aide sociale a été supprimée pour les moins de 30 ans et remplacée par une aide à la formation et une obligation de travailler ; une obligation de rechercher activement un emploi pendant trois mois pour les plus de 30 ans touchant l’aide sociale a été initiée, de même qu’une obligation d’effectuer un "nyttejob" (travail d’utilité sociale) à l’issue de ces trois mois. Ces mesures ont ébranlé les fondements de la "flexicurité", générant chez les syndicats un sentiment partagé d’érosion du filet de sécurité qui garantissait l’équilibre du modèle.

  • Préretraites, flexijobs : des mesures ciblées vers les publics vulnérables

Le mécanisme de préretraites, qui permettait de partir à la retraite à 60 ans au lieu de 65 a été réformé : l’âge d’entrée est repoussé et la durée du mécanisme est réduite de deux ans. Parallèlement, l’âge de départ à la retraite sera porté de 65 ans à 67 ans entre 2019 et 2022. Autre réforme : celle des "flexijobs" : ces emplois subventionnés qui permettent de maintenir des personnes dans l’emploi sont désormais ciblés sur les personnes aux capacités les plus réduites. Des "mini flexijobs" (10h ou moins par semaines) sont également ajoutés au dispositif. Enfin, la réforme vise également une entrée précoce des jeunes sur le marché du travail. Cela se traduit par un plafonnement de la durée de perception des allocations étudiantes : au-delà de cinq années d’études, l’étudiant ne peut plus y prétendre, il est donc incité à trouver un emploi.

Les premiers effets mesurables de ces réformes

  • Un retour de la croissance et de l’emploi

D’après les perspectives de l’OCDE pour 2015, l’emploi devrait continuer à croître de 1,4 % en 2016, après une croissance de 1,5 % en 2015. Si le taux d’emploi n’a pas retrouvé son niveau d’avant crise (77 % en 2007), il reste bien supérieur à la moyenne européenne (73,9 % contre 64,9 % en moyenne dans l’UE 28). De 7,7 % en 2011, le taux de chômage est passé à 5,8 % en mars 2016 (Eurostat), bien en dessous de la moyenne UE 28 (8,8 %). Le taux de chômage de longue durée, qui avait augmenté avec la crise, tend également à se stabiliser. Grâce aux réformes et aux évolutions démographiques, le gouvernement danois estime à 95 000 le nombre de personnes supplémentaires employées à temps plein d’ici à 2020.

  • Un pays qui a su évaluer l’impact des politiques menées

La réussite de ces réformes dépend pour beaucoup de la systématisation de l’évaluation des politiques mises en œuvre. Chacune des politiques menées a fait l’objet d’une évaluation qui a conduit le gouvernement à privilégier les mesures ayant vraiment porté leurs fruits : c’est le cas des mesures ciblant la recherche d’emploi, l’accompagnement individuel et les sanctions. Les dernières séries d’évaluation publiées en 2014 ont une fois de plus confirmé la pertinence de la priorité donnée aux dépenses actives pour l’emploi. Une politique que poursuit aujourd’hui le nouveau gouvernement de Lars Lokke Rasmussen.

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