Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
20/04/2016

Les réformes du marché du travail en Espagne

Imprimer
PARTAGER
Les réformes du marché du travail en Espagne
 Blanche Leridon
Auteur
Directrice Exécutive, éditoriale et Experte Résidente - Démocratie et Institutions


La réforme du Code du travail par ordonnances, premier chantier du quinquennat Macron, annonce des débats virulents, tant sur la forme que sur le fond. Avant la France, de nombreux pays européens se sont engagés sur cette voie. Comment ont-ils réformé leur marché du travail ? Quels sont les résultats ? Tour d'horizon dans six pays. Aujourd'hui : l'Espagne.

Blanche Leridon, Chargée d'études à l'Institut Montaigne, détaille les mesures prises par un pays marqué par une destruction massive d'emplois suite à la crise.

LE MARCHÉ DU TRAVAIL ESPAGNOL AVANT LES REFORMES

Une inversion drastique du taux de chômage après la crise

Avant la crise de 2008, la croissance espagnole est dynamique, portée par le développement des secteurs de la construction et de la consommation de biens et services. Ces secteurs, créateurs et pourvoyeurs d’emplois, ont permis de réduire significativement le taux de chômage en l’espace d’une décennie. De 24 % en 1994, il passe à 8 % en 2007.

La crise de 2008, aggravée par celle des dettes souveraines en 2011, a brutalement et massivement inversé cette tendance. Au premier trimestre 2013, le taux de chômage culmine ainsi à 26,3 %. Il est aujourd’hui redescendu à 20,4 % (données Eurostat, février 2016). Il reste également très élevé pour les moins de 25 ans (46 %). La hausse du chômage s’est, en outre, accompagnée d’un doublement du chômage de longue durée (de 18 % en 2008 à 52,8 % en 2014 selon le COE).

Une forte dualité du marché du travail


Le marché du travail espagnol est également marqué par sa forte dualité. Y coexistent en effet des emplois permanents très protégés par la législation et des emplois temporaires très flexibles, alimentés par une forte immigration. Ce modèle a permis, en temps de croissance positive, de créer de nombreux emplois. A l’inverse, en temps de récession il n’a fait qu’accélérer leur destruction, situation qu’a subie l’Espagne de façon particulièrement violente entre 2008 et 2013 (3,7 millions d’emplois détruits).

LES RÉFORMES DU MARCHÉ DU TRAVAIL EN ESPAGNE

Trois réformes structurelles ont été mises en œuvre entre 2010 et 2012. Bien qu’initiées par des gouvernements différents, elles s’inscrivent dans une continuité et poursuivent trois principaux objectifs :

  • la promotion de la création d’emplois par la flexibilisation ;
  • la réduction de la dualité du marché du travail ;
  • le renforcement de la négociation d’entreprise.


C’est le gouvernement socialiste de José Luis R. Zapatero qui lance le mouvement avec deux réformes : l’une adoptée en 2010 et l’autre, plus modeste, adoptée en 2011. Elles seront suivies par celle du gouvernement de droite de Mariano Rajoy, mise en place dès son arrivée au pouvoir en 2012.

Un assouplissement du régime de licenciement des CDI

Avec les réformes de 2010 et 2012, les règles du licenciement pour raisons objectives ou économiques deviennent plus favorables aux employeurs. La réforme de 2010 a ainsi élargie la définition des causes économiques, elle a simplifié les procédures de licenciement (passage de 30 à 15 jours pour la période de préavis), et en a réduit le coût.

La réforme de 2012 a amplifié chacun de ces trois volets en réduisant notamment l’indemnité versée par l’employeur en cas de licenciement injustifié (passage de 45 à 33 jours de salaire par année d’ancienneté) et en supprimant l’autorisation administrative en cas de licenciement économique collectif.

Notons enfin que cette vague d’assouplissement touche également le secteur public : une disposition autorisant l’application du licenciement pour causes économiques, techniques ou de production dans le secteur public est ajoutée au Statut du Travailleurs. Elle précise que « seront des causes économiques justifiant le licenciement dans le secteur public la situation d'insuffisance budgétaire survenue et persistante pour le financement des services publics correspondant (…) si elle se produit pendant trois trimestres consécutifs. » Précisons qu’en droit du travail français, le motif économique du licenciement ne s'applique pas au secteur public puisque ses employés sont rattachés à un régime différent de celui du secteur privé.

Un durcissement des conditions de recours au CDD


Trois éléments de la législation ont été modifiés afin de limiter le recours aux contrats à durée déterminée par les entreprises. L’indemnisation en cas de rupture de contrat est passée de 8 à 12 jours de salaire par année d’ancienneté ; la durée maximale du CDD a été ramenée à 24 mois (contre 3 ans avant la réforme) ; enfin, la réforme de 2012 a introduit une réduction des cotisations patronales lorsqu’une entreprise décide de transformer un contrat d’apprentissage en un contrat permanent, soit une réduction de 1 500 euros pendant 3 ans.

Un "contrat d’appui aux entrepreneurs" pour favoriser l’embauche en CDI

Introduit par la réforme de 2012, le "contrat d’appui aux entrepreneurs" a été conçu comme un outil au service de la réduction de la dualité du marché du travail en Espagne. Destiné aux entreprises de moins de cinquante salariés, il est assorti d’une période d’essai d’un an, à l’issue de laquelle le contrat est soumis à un régime identique à celui d’un CDI classique. Le régime social et fiscal rattaché à ce type de contrat est également très avantageux. Ce nouveau type de contrat devrait cependant disparaitre une fois le taux de chômage ramené sous la barre des 15 %.

Les modifications unilatérales du contrat de travail facilitées et une priorité à la négociation d’entreprise

Les réformes de 2010 et 2012 ont facilité la modification unilatérale du contrat de travail et la dérogation aux conventions collectives. Comme pour le licenciement des CDI, elles ont élargi la définition du motif économique qui justifie ces modifications, qu’il s’agisse du lieu de travail ou encore des conditions de travail. La réforme de 2012 a introduit la référence à la baisse des recettes ou des revenus pendant trois trimestres consécutifs et renforcé la négociation d’entreprise.

LES PREMIERS EFFETS MESURABLES DE CES REFORMES

Depuis 2014, de légers signes de reprise sont perceptibles sur le marché du travail espagnol. Ils ne doivent cependant pas masquer les nombreux défis auxquels le pays est toujours confronté. En effet, si l’on observe une reprise de la création d’emplois depuis fin 2013 (selon l’OCDE, la réforme de 2012 aurait permis la création de 25 000 emplois dans les 8 mois qui ont suivi la réforme), les emplois créés ne représentent finalement que 15% des emplois détruits depuis le début de la crise.

L’évolution du taux de chômage doit également être envisagée avec précaution. S’il a diminué de façon continue depuis 2013, il s’établit encore à un niveau très élevé en 2016 : 20,4 % contre 8,9 % dans l’UE 28, avec un taux de chômage des jeunes très élevé. Enfin, aucune évaluation ne permet de mettre en évidence un quelconque effet positif des réformes sur la dualité du marché du travail. Une personne au chômage a toujours 10 fois plus de chances d’intégrer un emploi temporaire plutôt qu’un emploi permanent, relève le COE. Des défis de taille demeurent donc pour récupérer les emplois détruits par la crise et réduire de façon durable et équitable le taux de chômage.

Aller plus loin :

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne