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07/12/2022

L'Institut Montaigne éclaire : Que peut faire l'Europe face à la loi américaine sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act) ?

L'Institut Montaigne éclaire : Que peut faire l'Europe face à la loi américaine sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act) ?
 Georgina Wright
Auteur
Directrice adjointe des Études internationales, Experte résidente
 Cecilia Vidotto Labastie
Auteur
Ancienne Responsable de projets - Programme Europe

La visite d'État d’Emmanuel Macron aux États-Unis début décembre s’est déroulée sur fond de tensions économiques entre Bruxelles et Washington. Le président français a plaidé la défense de l'industrie européenne, touchée par la nouvelle loi américaine sur la réduction de l’inflation (IRA). Souvent qualifié de "protectionniste", ce paquet législatif débloque plusieurs milliards de dollars en subventions et avantages fiscaux pour, entre autres, favoriser l’émergence d'une industrie verte américaine. Les principaux bénéficiaires seront le secteur américain des véhicules électriques et celui des énergies renouvelables. Alors que les principales dispositions de l'IRA entreront en vigueur le 1er janvier 2023, Emmanuel Macron espère obtenir des exemptions pour certaines industries européennes.

Comment comprendre ce défi ? C’est le sujet de cette dernière analyse de l'Institut Montaigne. La cinquième partie présente les différentes options envisageables pour l'Union européenne.

Qu'est-ce que la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act) ?

Le 16 août 2022, le Congrès américain a adopté une loi sur la réduction de l’inflation (appelée Inflation Reduction Act, également connue sous son acronyme IRA) qui entrera pleinement en vigueur le 1er janvier 2023.

Cette loi de près de 280 pages prévoit des mesures qui dépassent très largement la seule lutte contre l'inflation. On y retrouve, comme souvent dans la législation américaine, différents "paquets", sur des sujets extrêmement divers. Un volet climatique ambitieux d’abord, héritier du "Green New Deal" proposé par Biden en 2020, qui n'a pas trouvé de majorité parlementaire au Sénat, du fait notamment des blocages du sénateur démocrate Joe Manchin. Une nouvelle législation pour réduire le déficit budgétaire américain ensuite, qui introduit un impôt minimum de 15 % visant les entreprises dont les bénéfices dépassent un milliard de dollars par an. On y retrouve enfin de nouvelles mesures de politique industrielle ou encore la réduction du prix des médicaments sur ordonnance. Ce regroupement de sujets variés au sein d’un même texte parlementaire répond à une stratégie politique visant à garantir l’obtention d’une majorité.

Cette loi représente un tournant pour les États-Unis : elle veut permettre une réduction du déficit pour lutter contre l’inflation, tout en répondant au défi du changement climatique et en renforçant le système de sécurité social. Ainsi, l’administration américaine prévoit des investissements massifs à hauteur de $369 milliards dans l’industrie dite "verte" des États-Unis et $64 milliards dans le système de protection sociale. L’IRA partage quelques objectifs avec le NextGenerationEU, le plan d’investissement européen adopté après la crise sanitaire du Covid-19 pour relancer l’économie du vieux continent : la volonté d’assurer la croissance et le verdissement de l’économie. 

Pour le gouvernement fédéral, l'IRA représente "l'action la plus importante jamais entreprise aux États-Unis pour faire face à la crise climatique". 

Pour le gouvernement fédéral, l'IRA représente "l'action la plus importante jamais entreprise aux États-Unis pour faire face à la crise climatique". L’IRA devrait permettre une réduction des émissions des gaz à effet de serre de 42 % par rapport aux niveaux de 2005 d'ici 2030. Le gouvernement américain espère réduire ses émissions carbone en rendant plus abordables les véhicules électriques, les appareils à haut rendement énergétique, les panneaux solaires sur les toits, le chauffage géothermique et les batteries domestiques. Si l'IRA rend possible les objectifs à horizon 2030 des US, des politiques additionnelles seront nécessaires pour atteindre la neutralité carbone.

S’agissant du déficit public, il devrait être considérablement réduit, de plus de $238 milliards d’ici 2031. (Le déficit pour l'année fiscale 2022 était de $1 375 milliard, soit 5,5 % du PIB des États-Unis). Néanmoins, certains économistes ou encore politiciens américains, tels que le député républicain Ted Cruz, considèrent que le paquet fera grimper les prix et l'inflation.

Quant au volet social, l’IRA doit permettre à Medicare, le système d’assurance maladie du gouvernement américain, de négocier directement le prix des médicaments et ainsi permettre à ses bénéficiaires d’avoir accès aux médicaments sur ordonnance à moindre coût. L’IRA prévoit de prolonger le programme "Affordable Care Act", une forme d’assurance universelle sur base volontaire, jusqu’en 2025. Par ailleurs, la nouvelle loi aménage les prestations de Medicare de manière à les rendre moins coûteuses et à pouvoir étendre ses bénéfices, sans augmenter les impôts.

Comment l'IRA bénéficie-t-il aux entreprises américaines ?

Le principal volet de l’IRA concerne le climat. En effet, les subventions industrielles et les incitations fiscales que la loi prévoit - pour un total de $369 milliards - visent à soutenir les industries dites "vertes" aux États-Unis. Concrètement, la loi introduit des crédits d'impôt sur l'investissement et sur la production pour les entreprises américaines qui investissent dans les technologies vertes, ainsi que des allègements fiscaux pour les consommateurs qui achètent "made in USA". Les mesures de l’IRA avantagent notamment les producteurs de voitures électriques, de batteries ou de panneaux solaires à condition qu’ils soient "made in America". Pour certaines subventions, les entreprises devront également démontrer qu’une majorité des composants qu’ils utilisent sont produits ou sourcés sur le sol américain.

Les aides d'État prennent différentes formes mais suivent la même logique : favoriser une production américaine et neutre en carbone. Le cas de l’industrie automobile est très révélateur. Aujourd’hui, plus d'un quart de la production mondiale de véhicules électriques est européenne, alors que la production américaine ne représente que 10 % de la production mondiale. Seulement 20 % de la chaîne d'approvisionnement se trouve en Europe. L’IRA veut inciter la production de véhicules électriques, tout en encourageant l’approvisionnement de composants américain.

Les aides d'État prennent différentes formes mais suivent la même logique : favoriser une production américaine et neutre en carbone. 

Dans cette logique, un véhicule électrique sera éligible à un crédit d'impôt pour l’acheteur si ces quatre conditions sont remplies : 

  1. L’assemblage final a lieu en Amérique du Nord ;

  2. La valeur du véhicule électrique s’élève à moins de $55 000, ou moins de $80 000 pour les SUV, les fourgonnettes et les camionnettes ; 

  3. Au moins 40 % des matières premières critiques de la batterie du véhicule sont extraites ou traitées aux États-Unis, ou dans un pays avec lequel les États-Unis ont un accord de libre-échange en vigueur. Le véhicule sera également éligible si les matières premières critiques ont été recyclées en Amérique du Nord. Le pourcentage de matières premières critiques qui doivent correspondre à ces critères augmentera au fil des années jusqu’à atteindre 80 % en 2026. Ce critère permet de bénéficier de la moitié du crédit ($3 750) ;

  4. Au moins 50 % des composants de la batterie sont fabriqués ou assemblés en Amérique du Nord. Ce seuil minimal augmentera au cours des années suivantes pour atteindre 100 % en 2029. La conformité avec ce quatrième critère permet de bénéficier de la moitié restante du crédit (3 750).

L’IRA supprime également le plafond de production qui empêchait les entreprises automobiles localisées aux États-Unis de bénéficier du crédit d'impôt une fois le seuil de 200 000 véhicules électriques produits franchi. Bien entendu, les crédits ne s'appliquent pas aux véhicules électriques produits ou assemblés en Europe ni en Chine.

Enfin, le projet de loi prévoit également des crédits supplémentaires pour inciter les consommateurs américains à acheter des véhicules électriques produits ou assemblés en Amérique du Nord, plutôt qu’en Europe ou en Asie. Par exemple, l’acheteur pourra toucher des crédits supplémentaires de 10 % si certaines matières premières critiques pour construire le reste du véhicule (pompe à chaleur, port de recharge) sont extraites, traitées ou recyclées aux États-Unis - ou dans un pays ayant conclu un accord de libre-échange avec les États-Unis tels que le Canada et le Mexique.

Pour toucher aux crédits, le revenu de l’acheteur devra être inférieur ou égal à $150 000 pour les personnes célibataires, à $225 000 pour les ménages avec enfants et à $300 000 pour les conjoints. Soit des chiffres bien supérieurs au salaire médian des États-Unis.

Grâce au crédit d'impôt pour les consommateurs d’une part, et à la suppression du plafond pour les producteurs de voitures électriques de l’autre, le gouvernement américain espère améliorer l’offre, tout en offrant aux consommateurs un plus grand choix de voitures électriques à prix compétitif.

À partir de quand les subventions financées par l’IRA seront-elles versées aux entreprises ?

L’IRA regroupe des secteurs différents (santé, environnement, industrie, etc.) et sa mise en œuvre s'étend sur dix ans.

L'IRA regroupe des secteurs différents (santé, environnement, industrie, etc.) et sa mise en œuvre s'étend sur dix ans.

Certaines clauses de l’IRA sont entrées en vigueur dès son adoption en août 2022. C’est le cas des critères d'éligibilité pour obtenir un crédit d'impôt au moment de l’achat d’un véhicule électrique : si la transaction a été réalisée après l'entrée en vigueur de la loi, le 16 août 2022, l’acheteur est éligible aux crédits d’impôt. L’application d’autres règles liées aux composants de batterie et aux minéraux critiques prendront effet le 1er janvier 2024

L'IRA a été adopté de justesse au Congrès, avec une marge de 220-207 et peut seulement être modifié avec l'accord des parlementaires américains. Avec une marge si serrée, il est peu probable que l’administration Biden soit prête à effectuer des changements majeurs.

Pourquoi le Commissaire européen responsable du Marché intérieur, Thierry Breton, qualifie-t-il l'IRA de défi existentiel pour l’Europe ?

La réaction européenne face à l'IRA est ambivalente. D’un côté, l’UE salue l’administration Biden pour son action décisive face au défi climatique. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, l’a dit clairement début décembre : désormais "l'Europe n'est plus seule dans la lutte contre le changement climatique". Cette volonté de bâtir une nouvelle industrie sur le sol américain a même bénéficié à quelques entreprises européennes, notamment celles de l'industrie lourde en Allemagne, qui ont vu le volume de leurs exportations vers les États-Unis croître de plus de 40 % en septembre 2022 par rapport à l'année précédente. 

Ce sont les conditions très contraignantes relatives à l'approvisionnement en minéraux utilisés dans les batteries, ou encore les conditions relatives au lieu d'assemblage, qui posent des difficultés aux Européens. L’IRA pénalise non seulement les véhicules électriques et batteries produits et assemblés en Europe, mais également les industries européennes basées aux États-Unis dont les chaînes d’approvisionnement se trouvent majoritairement en dehors du territoire américain. Toujours selon Ursula von der Leyen, l’IRA "risque d'entraîner une concurrence déloyale, de fermer des marchés et de fragmenter les mêmes chaînes d'approvisionnement critiques qui ont déjà été testées par le Covid-19". 

En novembre 2022, la Commission européenne a publié une liste de neuf dispositions de l'IRA que l’UE souhaiterait voir modifier, ce qui permettrait, entre autres, aux consommateurs américains de toucher aux mêmes crédits d’impôts pour l’achat de véhicules électriques produits en Europe. Les États membres ont également partagé leurs préoccupations sur le caractère discriminatoire de l’IRA lors du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne en format Commerce du 25 novembre 2022. Les préoccupations majeures pour les Européens peuvent se résumer comme suite :

  1. La délocalisation de certaines industries de l'Europe vers les États-Unis, qui induirait que les produits seraient fabriqués aux US puis renvoyés en Europe ;

  2. Le protectionnisme de plus en plus assumé des États-Unis ;

  3. Le risque d'enclencher une course mondiale aux subventions et ses conséquences pour la souveraineté industrielle européenne.

Premièrement, l’IRA pourrait provoquer l’exode de certaines industries européennes vers les États-Unis. Beaucoup d’industries européennes, ainsi que des industries étrangères présentes sur le sol européen, seront pénalisées et un grand nombre d’entre elles semblent prêtes à relocaliser une partie de leur production aux États-Unis.

En septembre, Tesla a annoncé son souhait de recentrer ses activités aux États-Unis et de geler le projet d'une usine de batteries en Allemagne, selon The Wall Street Journal. D’après le Financial Times, Iberdrola, l’industriel énergétique espagnol, ou encore Safran, l’industrie spécialisée dans l’aéronautique, ont déjà délocalisé une partie de leurs activités aux États-Unis. 

Par ricochet, l'IRA pourrait accélérer la désindustrialisation européenne au moment même où l’UE cherche à relancer une politique industrielle pour booster son économie après la crise sanitaire et face à la guerre en Ukraine. C’est ce que le Président Macron a pointé du doigt lors d’une récente interview en soulignant que de "nouvelles règles ont été prises, en particulier, pour développer l’industrie verte sur le sol américain qui sont en train de nous faire beaucoup de mal" ajoutant que "de nombreux projets d’entreprises européennes prévus sur le territoire européen ne vont maintenant "plus se faire". Un rapport sur la confiance des grands patrons de l’industrie, publié en mai 2022 par le groupe d’influence European Round Table for Industry (ERT) et le think tank américain Conference Board, semble aller dans ce sens en montrant que la confiance des PDG dans l'industrie européenne est tombée à un niveau historiquement bas. Le niveau de confiance n’avait pas été aussi bas depuis le début de la pandémie.

Deuxièmement, l'IRA confirme une trajectoire américaine qui tend vers un protectionnisme commercial plus assumé. Cette trajectoire a commencé avec les taxes sur l'importation d’acier et l'aluminium introduites par Donald Trump en 2018. Bien que Joe Biden ait levé ces droits de douane additionnels, la tendance protectionniste semble encore être présente. 

Bien que Joe Biden ait levé ces droits de douane additionnels, la tendance protectionniste semble encore être présente. Avec l’IRA, si un consommateur américain a le choix entre deux modèles de véhicules électriques au même prix, il sera plus intéressant d’acheter une voiture américaine de la marque Tesla pour bénéficier d'un avantage fiscal, plutôt que de choisir un modèle européen tel qu’une BMW pour laquelle il n’y aura aucun crédit d’impôt.

L'IRA confirme une trajectoire américaine qui tend vers un protectionnisme commercial plus assumé. 

Même des pays ayant signé un accord de libre échange avec les États-Unis, tels que la Corée du Sud, seront lésés par ces mêmes règles d’éligibilité qui requièrent, entre autres, que les chaînes d’approvisionnement soient majoritairement américaines.

Enfin, la nouvelle approche américaine fait resurgir une question centrale pour la stratégie technologique et industrielle européenne. Ces dernières années, l’UE a fait des avancées majeures pour bâtir une Europe plus verte, plus numérique et plus résiliente. L’Union a besoin de ses industries pour rester compétitive, tout comme elle a besoin d’un marché mondial ouvert, au sein duquel commercialiser ses produits et services. L'échelle des politiques industrielles américaines, mais également chinoises, et leurs politiques de préférence nationale font réagir certains États européens, comme la France, qui appellent l’UE à envisager un grand programme de soutien aux entreprises européennes.

Quelles mesures l'UE pourrait-elle prendre pour répondre au défi posé par l'IRA ?

On peut dénombrer cinq pistes d’action possibles pour l’UE et ses États-membres. Certaines pourraient être mises en œuvre simultanément.

1. Exemptions pour l'industrie européenne

Plusieurs États membres, dont la France, mais aussi des alliés tels que la Corée du Sud, le Japon et le Royaume-Uni, souhaitent garantir des exemptions à l'IRA pour certaines de leurs industries, comme c’est déjà le cas pour le Canada et le Mexique. 

Un des objectifs de la Visite d’État du Président Macron à Washington était, selon le Président lui-même, de "partager la manière dont nous [Européens] vivons les conséquences de cette réglementation" à un moment où l’actualité somme les Européens et les Américains à "agir encore plus de manière concertée, ensemble face aux défis mondiaux". 

Plusieurs États membres, dont la France, mais aussi des alliés tels que la Corée du Sud, le Japon et le Royaume-Uni, souhaitent garantir des exemptions à l’IRA pour certaines de leurs industries.

Lors de cette visite, le Président Biden a répondu "qu’il y a des ajustements que l’on peut faire", par exemple en accordant l’égalité de traitement entre les composants américains et européens ou encore en permettant aux consommateurs américains de bénéficier d'avantages fiscaux à l’achat d’un véhicule électrique produit majoritairement sur le sol européen. Pour poursuivre cet objectif, la Commission européenne et les États-Unis ont créé une task force conjointe au sein du Conseil du commerce et des technologies, fin octobre 2022, pour que l'UE puisse faire part de ses préoccupations à ses interlocuteurs américains. Le Commissaire européen Thierry Breton espère trouver une solution d’ici 2023

Néanmoins, il n’est pas si simple de garantir des exemptions sans l’approbation du Congrès. Certains démocrates ne semblent pas être prêts à faire des concessions : la sénatrice du Michigan Debbie Stabenow appelant aux Européens de "venir construire des usines sur le sol américain" s’ils veulent toucher aux subventions. Les Européens espèrent que le gouvernement américain puisse recourir à des pouvoirs exécutifs pour changer l’IRA au moment de son application, sans passer par un vote au sein du Congrès.

2. Un nouveau fonds de souveraineté européen et une simplification des règles européennes

Une autre option serait de doter l’UE d’un mécanisme de financement supplémentaire pour soutenir des projets industriels structurants, notamment sur le plan de l’innovation. En septembre 2022, Ursula von der Leyen a annoncé dans son discours sur l’état de l’Union vouloir créer "un nouveau fonds de souveraineté européen". Bien que la Commission européenne n’ait pas encore publié de plan d’action, le Commissaire Thierry Breton estime que le fonds, avec un financement d’environ 2 % du PIB de l’UE, soit €350 milliards, permettra "un soutien budgétaire direct, rapide et flexible à des projets bien identifiés présentant un intérêt pour la souveraineté de l'UE".

Plusieurs États membres, dont l’Allemagne, y sont favorables. Plutôt que de chercher des nouveaux financements, ils souhaiteraient que l’UE ré-affecte des fonds européens non utilisés, par exemple du "mécanisme européen de stabilité" ou encore les "fonds structurels". En même temps, l’UE veut travailler sur une "simplification des règles régissant les aides d'État, notamment pour faciliter les investissements publics dans la transition (environnementale)". Le Ministre français chargé de l’Industrie, Roland Lescure, soutient cette initiative : "l’UE dispose de peu de critères pour privilégier les achats européens [pour les appels d’offres publics]. Il faut y remédier sans pour autant fermer les frontières".

Une autre option serait de doter l’UE d’un mécanisme de financement supplémentaire pour soutenir des projets industriels structurants, notamment sur le plan de l’innovation.

L’Allemagne et la France appellent la Commission européenne à optimiser et accélérer la procédure d'approbation des subventions relative à ce qui relève de l’Important Project of Common European Interest (IPCEI) qui est beaucoup plus lente qu’aux États-Unis par exemple. Diminuer le temps d’approbation permettra notamment à l’Europe de rester un lieu d'investissement attractif pour les futures technologies dites vertes telles que les batteries, l'hydrogène et les panneaux solaires.

3. Nouveau plan d’investissement massif à l’échelle européenne

Troisième piste afin d'améliorer l’attractivité de l'Union européenne pour les investissements et la production industrielle : la mise en place de subventions européennes financées directement par une dette commune, tel le plan d’investissement NextGenerationEU doté d'une enveloppe de €750 milliards, adopté par l’Union européenne en décembre 2020 pour relancer l’économie après le Covid.
 
Cependant, beaucoup de capitales européennes s'opposent à la souscription d'un nouvel emprunt, d'autant plus que l'UE ne sait toujours pas exactement comment elle va rembourser le NextGenerationEU. Pour elles, l'option la plus favorable serait d’avoir recours à des fonds européens existants mais non utilisés.

Beaucoup de capitales européennes s'opposent à la souscription d'un nouvel emprunt, d'autant plus que l'UE ne sait toujours pas exactement comment elle va rembourser le NextGenerationEU.

Ces mêmes capitales identifient également des difficultés autour de la prise de décision. Si un nouveau plan d’investissement massif devait être lancé, cela signifierait que la Commission européenne serait responsable d’octroyer les fonds. Or, il est encore trop tôt pour déterminer exactement quelles industries ont été fortement pénalisées par l'IRA. Elles interrogent également l'utilité de ces pratiques de stimulation artificielle de l’industrie et se demandent si, à terme, elles ne favorisent pas davantage les entreprises établies disposant de bonnes techniques de lobbying, au détriment des plus innovantes. Certains diplomates européens redoutent enfin que les subventions européennes n'aillent dans la poche des actionnaires.

De façon générale, de nombreuses figures politiques européennes, telles que la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, la Commissaire européenne pour la Concurrence Margrethe Vestager, le Vice-Premier Ministre irlandais, Leo Varadkar, et même le Ministre français Bruno Lemaire redoutent la course aux subventions.

4. Subventions nationales, plutôt qu'européennes

Pour certains États membres, il s'agirait non pas d’adopter un nouveau plan d'investissement massif, mais bien de permettre à chaque État membre de décider de la meilleure façon de venir en aide à ses propres industries. Une telle démarche nécessiterait des exemptions temporaires aux règles européennes régissant les aides d'État, mais le choix final reviendrait aux capitales européennes, plutôt qu'à la Commission. 

Cette option n'est pas sans risques. Pour la Présidente de la Commission européenne, "se reposer uniquement sur les aides des États membres, aux marges de manœuvre budgétaires très diverses, risquerait d’alimenter des distorsions au sein même du marché unique". Les aides de l'Allemagne seraient sans doute très différentes des aides accordées par Malte ou Chypre.

5. Guerre commerciale avec les États-Unis pour ses pratiques anti-concurrentielles

L’UE veut à tout prix éviter une guerre commerciale avec les États-Unis qui serait "coûteuse pour tout le monde" et qui pourrait nuire à la transition écologique. 

Pour éviter un tel scénario, le Chancelier allemand Olaf Scholz a lancé un appel en faveur d'un accord sur les tarifs industriels entre les États-Unis et l'UE, une idée qui a été rapidement rejetée vu la complexité de négocier un tel accord. Les 27 se rejoignent néanmoins sur le besoin de renforcer les règles de l'organisation mondiale du commerce (OMC) - un principe déjà mentionné dans la stratégie de politique commerciale de l'UE publiée en 2021. Réformer l’OMC est également une priorité pour le Conseil du commerce et des technologies (CCT) qui réunit l’administration américaine et l'Union européenne.

Vu le contexte géopolitique actuel, l’unité Transatlantique est une priorité. Le CCT du 5 décembre était la dernière échéance de dialogue entre l’Europe et les États-Unis. Parmi ses priorités, l'UE portait notamment : l’obtention de résultats concrets sur le dossier IRA, la discussion autour d’initiatives visant à faciliter le commerce, la mise en œuvre d’une initiative transatlantique sur le commerce durable et l'accélération de la transition verte d'une manière mutuellement bénéfique.

Vu le contexte géopolitique actuel, l’unité Transatlantique est une priorité.

Quelle a été la réaction de la France face à l'IRA ?

Les Français ne cachent pas leur inquiétude vis-à-vis de ce nouveau texte de loi. Lors de sa visite d’État à Washington, Emmanuel Macron a défini l'IRA comme une initiative "super agressive" et considère que ces choix "vont fragmenter l'Occident". Le Ministre chargé des Comptes publics, Gabriel Attal, a déclaré que l’Inflation Reduction Act "pèse aujourd’hui sur nos industries et implantations industrielles" et selon le Ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, le véritable risque pour l’Europe est "le décrochage technologique, industriel et économique, qui laisserait le champ libre aux États-Unis et à la Chine". 

Les entreprises sont les premières à avoir sonné l’alarme sur ce dossier, suivies par la Commission qui s'est saisie du sujet lors du discours sur l'état de l'Union prononcée par la présidente Ursula von der Leyen le 14 septembre 2022. Une task force conjointe UE-US dédiée a été créée dans la foulée. À mesure que la date d’entrée en vigueur de l’IRA - prévue pour le 1er janvier 2023 - approche, la tension se fait de plus en plus grande autour de ce texte.

La France souhaite que la réaction de l'Union européenne parvienne à donner "un nouvel élan" à l'industrie du continent par des actions concrètes. L'Elysée souhaite provoquer "une riposte de la part des capitales du Vieux Continent, que ce soit sur le plan fiscal, ou en matière de soutien à l’investissement" et envisage la création d'un dispositif européen d'aide aux entreprises pour faire face aux offensives américaines et chinoises. La France a déjà évoqué la possibilité d’un "Buy European Act" qui permettrait aux Européens d'adopter des dispositions visant à privilégier les produits européens dans le cadre des achats publics. À ce stade, la proposition manque encore de précision.

Quelle a été la réponse des États-Unis face aux préoccupations européennes ?

Les États-Unis ont mis en garde contre une guerre commerciale. Katherine Tai, représentante au Commerce de l'administration Biden, a déclaré au Financial Times que l'UE "devrait introduire davantage de subventions". En même temps, les États-Unis ont également été critiques de certaines mesures prônées par l'Union européenne, tels le Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) qu’ils considèrent aussi comme une mesure protectionniste qui vise à désavantager les producteurs externes à l'UE. 

À l'occasion de la visite d'État du Président Macron à Washington D.C. fin novembre, le Président Biden a promis d’examiner la possibilité d'exemptions pour l’industrie européenne. Les délibérations entre l'administration américaine et la Commission européenne sont en cours.

Les États-Unis et l'Europe veulent également construire un agenda commun pour renforcer la résilience des chaînes d'approvisionnement. Si les gouvernements des États-Unis et de l'UE veulent devenir moins dépendants des importations chinoises et russes, ils doivent chercher à améliorer le commerce bilatéral, et non le restreindre en adoptant des mesures qui favorisent avant tout la production nationale. "On veut réussir ensemble, pas l’un contre l’autre" ajouta le Président Macron à Washington en décembre 2022.

 

Ce billet a été rédigé avec l’aide de Camilla De Luca, assistante chargée d’études au programme Europe.

 

Copyright : Mandel NGAN / AFP

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