En ce sens, ses difficultés sont identiques à celles des régulateurs européens qui se confrontent au même casse-tête de la modération ex-post (et fort heureusement, la modération "prédictive", sur le modèle du "predictive policing", qui prédirait le contenu des publications des utilisateurs avant même que ceux-ci ne soient passé à l'acte, n'est fort pas encore à l'ordre du jour !). Pour le moment, Musk n'arrive pas à résoudre la quadrature du cercle car on ne commodise pas une valeur, la liberté, comme on fabrique des voitures ou des fusées. Tout le dilemme muskien est là. Il est, enfin, intéressant de noter que son arrivée à la tête de Twitter a créé un appel d’air pour l'alt-right et des groupes conspirationnistes de tous bords, Qanon au premier chef qui se métamorphose progressivement en un mouvement politique à part entière. Ses propres prises de position politiques (de plus en plus proches de l'Alt-Right, probablement, sous l'influence de ses ex-comparses de la "Paypal mafia", Peter Thiel, encore lui - Thiel a récemment investi dans Rumble, réseau fréquenté par l'AltRight et les Qanon - ou David Sacks) et idéologiques (long-termisme) brouillent encore plus les frontières du légal, de l’arbitraire et du légitime. L'invasion du Capitole le 6 janvier 2021, et plus récemment encore celle des principaux lieux de pouvoir à Brasilia le 8 janvier 2023, soulignent une fois de plus le rôle de prescription idéologique et politique des réseaux sociaux ou plus exactement de ceux qui les dirigent. Dans ces deux cas, les tergiversations de la direction (cas du Capitole) ou les décisions personnelles de Musk, enchevêtrées entre vision politique ("free-speech" absolu, notamment celui de l'extrêmes-droite) et intérêts économiques au Brésil, permettent de donner une caisse de résonance aux mouvements insurrectionnels.
Enfin, Tiktok, que la FCC (Federal Communications Commission) tente de bannir des États-Unis sous l'impulsion du Commissionner républicain Brendan Carr, a connu son premier revers en décembre 2022 suite à l'interdiction du réseau des appareils gouvernementaux sur fond de rivalité technologique sino-américaine. Le cas Tiktok répond aux mêmes injonctions de notre triptyque : modèle économique (hyper-viralité ciblant les adolescents prioritairement) poussé par le modèle technologique (Tiktok a développé l’algorithme de recommandation le plus efficace du marché) et servant, selon certains décideurs américains, une politique de captation des données à des fins d'espionnage, de manipulation et d’ingérence par Pékin. L'UE s'est également saisie du sujet.
Des acteurs géopolitiques hybrides
Le problème devient encore plus complexe quand la géopolitique du cyberespace s'en mêle. Les "luttes informationnelles" qui font rage ont mis en lumière un autre aspect, celui de la militarisation des réseaux sociaux devenus le théâtre d'opérations de cyber-déstabilisation, domaine hautement investi par les États. La guerre en Ukraine ou la confrontation franco-russe au Sahel pointent là encore le changement d’échelle, donc de nature, de ces nouveaux espaces de confrontation entre nations.
Ajouter un commentaire