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Rencontres
May 2016

Fiscalité du capital : cette étrange singularité française


A un an de l'élection présidentielle, le thème revient naturellement dans le débat et s'impose comme un enjeu majeur des programmes économiques des différents candidats.
Cohérence, justice, efficacité, lisibilité, stabilité, signal positif pour l'investissement, environnement favorable à la croissance et à l'emploi : les attentes sont nombreuses pour une imposition du capital qui ne semble plus répondre aujourd'hui à aucune logique.

A quoi ressemble une fiscalité du capital qui puisse atteindre ces objectifs ?

Pour y répondre, l'Institut Montaigne a réuni quatre spécialistes de la question le jeudi 19 mai. L'essentiel de leurs analyses et de leurs propositions.



Philippe Aghion, professeur au Collège de France

Philippe Aghion invite à fonder la réflexion sur les objectifs que l'on assigne à la fiscalité du capital : elle doit être au service d’une croissance inclusive pour toute la population. A l'instar des pays scandinaves, qui parviennent à soutenir leur croissance grâce à l’innovation et à maintenir leurs services publics sans avoir recours à une fiscalité punitive, il faut rechercher un système fiscal qui ne nuise pas à l’innovation. La Suède est à cet égard un modèle, tout en conservant la gratuité de l’éducation et de son système de santé, autant de services financés par l’impôt sans que celui-ci ne nuise à la croissance économique.

Comment parvenir à un tel résultat ? Dans les années 90, la Suède comme certains de ses voisins scandinaves a simplifié sa fiscalité. La simplicité d’un système fiscal garantit sa stabilité, ce qui fait défaut à la France. Elle a notamment limité à 57%l'imposition des revenus du travail, à un taux constant de 30% celle des revenus du capital et à 20% l'impôt sur les sociétés. Très simple, le système suédois est aussi très stable. Il permet de financer un haut niveau d’éducation qui stimule en conséquence l’innovation.

La recherche de la constance des taux d’imposition est un facteur essentiel aux yeux des investisseurs. L’instabilité permanente des taux d’imposition en France est impensable dans ces pays.


Céline Antonin, économiste à l'OFCE

Céline Antonin fixe comme principe essentiel pour la fiscalité du capital de déformer le moins possible le comportement des agents. En effet, taxer le capital revient à taxer la consommation future. Il faut rechercher le plus de neutralité possible en matière de fiscalité. Il existe 449 niches fiscales, fiscalités du travail et du capital confondues. Elles coûtent 83 milliards d'euros et se caractérisent par leur grande variété : on y trouve le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) comme le Crédit d’Impôt Recherche (CIR).

Pour réformer la fiscalité du capital et la rendre plus favorable à la croissance, il est nécessaire d'instaurer une base fiscale plus pertinente, en ayant recours à des assiettes plus larges et des taux plus faibles ; d'intégrer l’inflation dans les revenus du capital, afin de taxer les revenus réels et non les revenus nominaux comme on le fait actuellement ; de taxer davantage la rente immobilière plutôt que l’investissement productif ; d'ntégrer les plus-values sur les résidences immobilières dans l’assiette de la taxation sur le capital ; de taxer plus fortement les héritages et les rentes et de faciliter les donations, afin de favoriser la circulation du patrimoine ; enfin, de lutter contre la complexité du système en favorisant la stabilité fiscale et la sécurité juridique.




Jacques Delpla, professeur associé à la Toulouse School of Economics

En théorie, la taxation optimale du capital est nulle, l’individu ayant gagné de l’argent sur lequel il a déjà été taxé. La taxation du capital correspond dès lors à une double imposition. Cependant, sans l’intervention de l’Etat (infrastructures, sécurité, etc.), tous les biens patrimoniaux ont une valeur nulle. Il est donc nécessaire de taxer une partie du capital pour financer la valorisation de ce capital.

Jacques Delpla propose la mise en place d’un ISF généralisé, un impôt unique sur l'ensemble du capital, qui remplacerait tous les autres (impôt sur les sociétés, droits de succession, droits de mutation, etc.). Ce nouvel impôt serait nul en deçà de 30 000 euros de capital et de 2 % au-dessus ; aucune niche fiscale ne subsisterait ; les revenus du capital ne seraient pas taxés ; il pourra être acquitté en liquide ou en titres (equity), c’est-à-dire par le transfert à l’État de 2% de son patrimoine, qui le liquidera à la mutation suivante du bien.

Ce système réduirait massivement la taxation des entrepreneurs et augmenterait la taxation de la rente foncière. Par ailleurs, cet impôt bénéficierait prioritairement aux collectivités territoriales, alors incitées à favoriser les investissements d’infrastructures et l’aménité du lieu afin d’augmenter la valeur des biens immobiliers sur son territoire.


Michel Didier, président de Coe-Rexecode

Michel Didier a récemment co-signé avec Jean-François Ouvrard  L’impôt sur le capital au XXIème, une coûteuse singularité française. Cet essai évalue l’ensemble de la fiscalité qui influe sur les décisions d’accumulation du capital, donc in fine sur la croissance économique.

En France, la question est traditionnellement abordée sous l’angle de la répartition du capital entre les Français, négligeant ses conséquences économiques. La fiscalité du capital touche particulièrement les ménages, qui contribuent pour moitié aux 200 milliards d’euros qu’elle génère au total. En quinze ans, ces recettes sont passées de 38% des revenus du capital à 75%. Ce poids est bien plus important qu'en Allemagne par exemple : 37 milliards d’euros de plus pour les impôts qui reposent sur les entreprises et 40 milliards pour ceux qui pèsent sur les ménages, pour un écart total de 77 milliards.

Pour comprendre l’impact économique de cette fiscalité, il faut également désintéresser aux modalités de prélèvements. De ce point de vue, le système est particulièrement « désincitatif » à l’investissement. Lorsque le rendement du capital s’élève à 4%, l’ISFéquivaut à un impôt sur 25% des revenus du capital. Lorsque ce rendement chute à 0,5%, le seul ISF représente 200% des revenus. Cette situation pénalise la croissance économique et conduit à une mauvaise allocation de l’épargne dans le pays.

Par ailleurs, notre système d’escalade des taux, notamment des taux marginaux, engendre des situations intenables que les gouvernements successifs ont donc dû corriger par des dérogations et des plafonnements, c’est-à-dire des niches fiscales. Celles-ci nuisent elles aussi gravement à la croissance et induisent une instabilité permanente de la fiscalité du capital. La combinaison de ces niches permet par ailleurs à certains patrimoines importants d’échapper à l’impôt sur la fortune, effet pervers qui sape l'acceptabilité de l'impôt par tous.

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